
En pleine tempête diplomatique, Cyril Ramaphosa débarque dans l’Ovale pour sauver l’accès sud‑africain au marché américain, défendre sa réforme agraire et déminer les accusations de « génocide blanc ». Entre show trumpien et realpolitik, récit d’un bras de fer sous haute tension.
C’est un Ramaphosa au sourire crispé qui a franchi, mercredi, le portique de sécurité de la Maison‑Blanche. Face à lui, Donald Trump, impérial dans son fauteuil, entend surtout parler de “farm murders” et dérouler son film choc sur des tombes de fermiers blancs.
La scène, digne d’un mauvais docudrame, occulte d’emblée l’objet officiel de la visite : sauver l’AGOA, cet accord qui garantit depuis 2000 à l’Afrique du Sud un accès privilégié au marché américain, et plaider pour des investissements high‑tech à l’heure où Tesla et Starlink lorgnent le continent.
Ramaphosa sait qu’il joue gros : Washington est son deuxième partenaire commercial derrière Pékin, et la récente coupe sèche de l’aide américaine a déjà fait chuter les tests VIH dans les townships. Or Trump menace d’enfoncer un clou plus douloureux encore : réactiver des droits de douane de 30 % sur les fruits, le vin et l’automobile sud‑africains, arme fatale pour des filières qui emploient près d’un demi‑million de travailleurs noirs. Pretoria, engluée dans un chômage record et un rand vacillant, n’a pas la moindre marge.
Dans le Bureau ovale, le locataire républicain multiplie les diversions : après la vidéo, des coupures de presse brandies comme des preuves irréfutables. « Death, death, death », martèle‑t‑il en tournant les pages. Impassible, Ramaphosa rappelle que la criminalité touche d’abord les Noirs, majoritaires dans le pays, sans nier les meurtres de fermiers.
Trump coupe court : « Les farmers ne sont pas noirs. » L’échange, tendu, révèle deux visions irréconciliables : pour l’Américain, la “genocide hysteria” sert d’argument‑massue pour attaquer la loi de réforme foncière ; pour le Sud‑Africain, cette même loi est la clef d’une justice attendue depuis la fin d’un apartheid qui a volé terre et dignité aux populations noires.
Pourtant, derrière le théâtre d’ombres, la partie se joue ailleurs. Johann Rupert, magnat du luxe et faiseur de rois au Cap, a discrètement orchestré la rencontre, soutenu par le golfeur Ernie Els, habitué des greens trumpiens de Palm Beach. Objectif : préserver les débouchés américains de Richemont tout en sécurisant le renouvellement de l’AGOA.
Rupert, qui ne cache pas ses inquiétudes pour l’emploi, prêche un rapprochement à coups d’arguments économiques ; Ramaphosa, lui, mise sur l’attrait des « critical minerals » — manganèse, platine, vanadium, indispensables à la transition énergétique made in USA — pour amadouer un Trump viscéralement protectionniste.
Mais le chef d’État sud‑africain arrive lesté d’un fardeau diplomatique : à La Haye, son gouvernement accuse Israël de génocide à Gaza. Trump, soutien indéfectible de l’État hébreu, a déjà prévenu qu’il n’en attend “rien de bon”. Pis : il a expulsé l’ambassadeur sud‑africain et offert des visas humanitaires aux Afrikaners qui se disent persécutés.
Dans les couloirs du Département d’État, certains parlent d’un « apartheid inversé ». Ramaphosa, vétéran des négociations constitutionnelles des années 1990, sait que l’étiquette est toxique ; il rappelle la clause de justice sociale inscrite dans la Constitution arc‑en‑ciel et la possibilité, pour toute expropriation, d’un recours juridictionnel. À ce jour, martèle‑t‑il, aucune ferme n’a été saisie sans indemnisation.
L’impasse idéologique n’empêche pas les affaires : Elon Musk, enfant de Pretoria devenu chouchou trumpien, pourrait obtenir des droits de douane allégés pour importer ses Model Y en échange d’un réseau de superchargeurs du Cap à Durban. Starlink, bloqué pour l’instant par la régulation sud‑africaine, voit s’ouvrir une fenêtre si Ramaphosa décroche le feu vert de l’ICASA.
Dans la même veine, le ministre de l’Agriculture, John Steenhuisen, ferraille pour élargir les quotas de bœuf et d’agrumes sans droits de douane. Les républicains du Midwest apprécieraient cet afflux de grain sud‑africain pour nourrir leur bétail ; les fermiers du Limpopo, eux, redoutent l’effondrement de leurs marges.
Reste la question raciale, fil rouge de la rencontre. Les quotas de Black Economic Empowerment exigent des entreprises qu’elles cèdent 30 % de leur capital à des groupes historiquement défavorisés ; Trump veut les faire sauter pour ses multinationales. Ramaphosa tient bon : sans ces instruments, argue‑t‑il, l’Afrique du Sud replongerait dans l’enfer des inégalités coloniales.
Joshua Meservey, de l’ultra‑conservateur Hudson Institute, assure que « tant que Pretoria brandira la discrimination positive, aucun deal global ne sera possible ». Mais le président sud‑africain parie sur la puissance du business : si Tesla installe ses gigafactories, si Starlink illumine les zones rurales, alors même les sénateurs texans pourraient fermer les yeux sur les “racial requirements”.
Lorsque la réunion touche à sa fin, Ramaphosa lâche une pique en référence au Boeing 757 offert le matin même par le Qatar aux États‑Unis : « Désolé, je n’ai pas d’avion à vous donner. » Trump esquisse un rictus. Sur le tarmac d’Andrews, avant de s’envoler, le Sud‑Africain confie à la SABC : « Que cela nous plaise ou non, nous sommes liés aux États‑Unis. Alors, parlons‑nous. »
Dans son entourage, on dit la mission “à demi réussie” : pas de promesse ferme sur l’AGOA, mais des groupes de travail lancés sur l’énergie, le numérique et la sécurité rurale — drones, caméras thermiques, satellites. Suffisant pour desserrer l’étau ? Réponse lors du prochain tweet présidentiel : en trumpisme, la diplomatie se mesure à 280 caractères.
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