
C’est une image qui a fait le tour du monde, mais pour toutes les mauvaises raisons. Lors de sa récente rencontre avec le président sud-africain Cyril Ramaphosa, Donald Trump a brandi une vidéo qu’il affirmait être une preuve du « génocide des fermiers blancs » en Afrique du Sud.
L’homme d’affaires redevenu politicien voulait une fois de plus frapper fort sur les thèmes de l’expropriation, des crimes raciaux et de la « défense de la civilisation occidentale ». Mais il y avait un problème – et de taille : la vidéo en question ne venait pas d’Afrique du Sud. Elle montrait des corps sans vie jonchant une route défoncée… à Goma, en République démocratique du Congo.
Grâce à une enquête minutieuse de l’agence Reuters et à la collaboration d’activistes locaux, les origines de la séquence ont été formellement retracées. Il s’agissait d’images filmées lors d’une attaque du M23 dans la province du Nord-Kivu, en 2024.
On y voit les conséquences sanglantes d’un affrontement entre milices congolaises et groupes rebelles soutenus par le Rwanda. Les morts sont congolais. Les coupables, eux, ne sont ni des fermiers, ni des victimes d’un conflit foncier, mais les produits directs d’une guerre régionale aux relents géopolitiques étouffés par l’indifférence internationale.
La manipulation est grossière mais révélatrice. Dans un monde saturé d’images, où l’émotion précède souvent la vérification, il est devenu courant de détourner les souffrances africaines pour servir d’autres récits.
Ce recyclage macabre transforme des morts congolais en éléments de propagande raciale à usage électoral américain. Les larmes versées à Goma deviennent des arguments pour restreindre l’immigration ou dénoncer des gouvernements noirs en Afrique australe.
Mais ce scandale pose une question plus profonde : pourquoi les drames du Congo sont-ils si facilement détournés ? Parce que les morts congolais n’ont pas de visage médiatique, pas de nom dans les chancelleries occidentales, pas d’existence politique.
Ils deviennent interchangeables, symboles anonymes d’un mal généralisé. Et dans ce vide narratif, chacun projette ce qu’il veut : un génocide blanc pour les uns, une guerre contre le terrorisme pour d’autres, un simple « désordre africain » pour les plus cyniques.
Ce n’est pas la première fois que les douleurs congolaises sont décontextualisées. On se souvient de ces photos d’enfants-soldats utilisées dans des campagnes caritatives européennes sans mentionner les causes politiques du conflit.
Ou de ces vidéos de femmes violées circulant sur les réseaux sociaux sans aucun respect pour leur dignité. Le Congo, dans l’imaginaire global, reste un décor tragique malléable à souhait – une tragédie dont le monde ne retient que l’esthétique du chaos, jamais la complexité ni les responsabilités.
Il est temps que cela cesse. Il est temps que les morts de Goma soient reconnus pour ce qu’ils sont : les victimes d’un conflit régional négligé, alimenté par des puissances voisines, toléré par une communauté internationale trop préoccupée par ses intérêts stratégiques pour se soucier des vies humaines.
Le fait que ces images aient été utilisées pour un tout autre débat, dans un tout autre continent, devrait faire honte à tous ceux qui prétendent défendre la vérité et les droits humains.
Que reste-t-il à faire ? Pour commencer, redonner aux morts leur histoire. Chaque Congolais tué à Goma, à Rutshuru ou à Beni mérite qu’on dise pourquoi, comment, et par qui. Ensuite, construire une mémoire médiatique rigoureuse, ancrée dans la vérité des faits, capable de résister à la récupération idéologique.
Et enfin, rappeler à la face du monde que les tragédies africaines ne sont pas des accessoires narratifs pour les campagnes électorales du Nord global. Ce sont des vies réelles, des douleurs profondes, et des vérités qu’il est temps d’écouter.
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