«Nollywood permet à la société nigériane d’être en discussion avec elle-même»

«Nollywood permet à la société nigériane d’être en discussion avec elle-même»

RFI : Bonjour Serge Noukoué. Comme chaque année depuis maintenant 11 ans, vous rendez hommage à travers la Nollywood week au cinéma nigérian sous toutes ses formes. Vous proposez un panorama de ce qui sort de l’imaginaire des réalisateurs et des scénaristes nigérians. Qu’est-ce que l’on va pouvoir découvrir au cinéma L’Arlequin à Paris ?

SN : La nouveauté cette année, c’est l’aspect un petit peu technologique des histoires qui sont racontées, puisque, non seulement il y a les films sur grand écran que l’on a l’habitude de voir, les court métrages, les longs métrages, mais cette année, on a également des films en réalité virtuelle, donc des films immersifs 360° avec casque. Et c’est vrai que l’on n’associe pas de manière spontanée l’Afrique avec ces avancées technologiques. Pourtant, le continent et le Nigeria en particulier sont assez à la pointe de ces nouvelles manières de raconter des histoires. Et c’est quelque chose que l’on a voulu mettre en avant cette année avec ces nouveaux médiums.

Mais aussi avec des médiums tels que le jeu vidéo. Donc c’est vraiment une sorte de nouvelle ampleur d’expansion, on va dire, des cinémas africains. Parmi les films en réalité virtuelle qu’on va pouvoir découvrir durant le festival, on peut citer Daughters of Chibok, un film consacré à l’enlèvement de ces lycéennes de Chibok, il y a un peu plus de 10 ans, au nord du Nigeria. Il y a même exactement 10 ans, c’était en 2014. Et c’est une manière aussi de rendre hommage à cette réalité tragique.

Puisque aujourd’hui, 10 ans plus tard, il y a toujours certaines de ces filles qui n’ont pas été retrouvées. C’est un film aussi qui a été primé dans d’autres festivals comme celui de Venise. Vous donnez aussi un coup de projecteur sur une autre thématique assez peu traitée dans le cinéma africain, la question LGBT, avec un film du réalisateur Babatundé Apowolo, intitulé Toutes les couleurs du monde, en référence, on l’imagine, aux couleurs du drapeau LGBT. Exactement.

C’est un film qui a commencé sa carrière à Berlin, à la Berlinale de l’année dernière. Et c’est vrai que c’est un film rare, puisque c’est une thématique qui n’est pas souvent traitée. On rappelle quand même que l’homosexualité est interdite au Nigeria et dans beaucoup de pays africains. Et je pense que ce film l’aborde avec subtilité, sous l’angle d’une amitié qui évolue. Ce n’est pas un film polémique. C’est un film basé sur une belle histoire entre deux personnes. C’est l’une des forces d’ailleurs du cinéma nigérian que de s’emparer des problématiques sociales. Beaucoup de films sont consacrés à la criminalité, aux violences policières, etc.

Comment évolue ce cinéma nigérian ? Je pense qu’en fait le cinéma est certainement un des meilleurs miroirs de la société nigériane. On peut faire tous les reportages qu’on veut, tous les documentaires possibles, on n’aura jamais cette proximité et en même temps cette justesse pour traiter certaines problématiques de la société nigériane.

C’est pour ça que Nollywood est important. Il permet au monde de voir ce qui se passe au Nigeria et aussi à la société elle-même d’être en discussion avec elle-même sur certaines thématiques qui parfois peuvent être taboues. Le Nigeria est une société tellement complexe que c’est une belle opportunité que d’avoir cette fenêtre qu’offre Nollywood.

C’est aussi un cinéma très populaire sur le continent. Et effectivement, il traverse les frontières à l’intérieur de l’Afrique et même au-delà. Cette circulation est amplifiée par les plateformes de streaming, notamment. On a ainsi, de temps en temps, des films africains, et particulièrement du Nigeria, dans le « top ten » en France, parmi les films les plus vus. De même pour des territoires assez étonnants comme le Luxembourg ou l’Uruguay.

Donc, cela montre effectivement qu’il y a une appétence, un intérêt. Mais je dirais quand même qu’il y a encore un petit bémol à ça, c’est qu’il y a encore trop peu de ces films qui sortent en salle ensuite en France. Ce que l’on peut dire à l’adresse des distributeurs spécialement, c’est qu’il y a depuis quelques années un véritable saut qualitatif du cinéma nigérian, qui se traduit justement par une apparition de plus en plus forte sur les plateformes Netflix, Disney+, Amazon…

La question de la qualité pouvait être un obstacle, il y a quelques années encore, mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas. On est dans des standards complètement internationaux. C’est plus aujourd’hui une question d’ouverture et de curiosité.  Nollywood, c’est donc à partir de ce jeudi au cinéma l’Arlequin, à Paris.

On peut aussi, j’imagine, regarder un certain nombre de choses sur le site dédié. Effectivement, il faut aller sur le site www.nollywoodweek.com pour voir la programmation, les bandes-annonces, etc.

Et faire son choix. Je crois qu’il y en a pour tous les publics, y compris les enfants, puisque le dimanche matin, on aura des projections de films pour la jeunesse. Ce qui permet aux jeunes afro-descendants et aux jeunes Africains de se projeter sur des héros qui leur ressemblent. 

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