Guerre sans fin, stratégie sans cerveau : L’illusion militaire de l’Occident

Parler de l’intervention militaire américaine en Iran comme d’un choix réfléchi relèverait de la mauvaise foi ou de la comédie noire. Bombarder les sites nucléaires iraniens en espérant que la poussière retombe sur un ordre nouveau n’a jamais été, et ne sera jamais, une stratégie cohérente. C’est le fantasme d’une superpuissance qui, depuis la fin de la guerre froide, confond la démonstration de force avec la résolution des problèmes.

Le président américain, auréolé de sa posture martiale, vient d’offrir au monde une nouvelle illustration de la diplomatie à coups de missiles. Rien ne dit « politique étrangère responsable » comme l’envoi d’ogives en territoire ennemi, sans plan de sortie, sans vision à long terme, et sans même une définition claire du mot « victoire ».

Ce retour au vieux manuel de la CIA – celui qui sent le papier jauni, la naphtaline et l’échec systémique – annonce déjà une suite bien connue. La phase un : intervention. La phase deux : enlisement. La phase trois : retrait humiliant, abandon d’un gouvernement fantoche et chaos généralisé. Le schéma est aussi prévisible que lassant, un éternel recommencement qui donne à l’expression « erreur historique » toute sa signification.

Car à chaque fois, les États-Unis démontrent qu’ils maîtrisent mieux l’art de détruire que celui de reconstruire. Leurs bombes peuvent réduire en poussière une infrastructure militaire ou civile, mais elles échouent systématiquement à transformer un terrain miné en société stable. On observe aujourd’hui en direct ce théâtre tragique où des nations bardées de technologies meurtrières foncent tête baissée dans des conflits avec le discernement d’un touriste ivre traversant une autoroute. La stratégie, si on peut encore utiliser ce mot, ressemble davantage à de l’improvisation kafkaïenne qu’à une planification rationnelle.

Il suffit de prononcer les noms d’Afghanistan ou d’Irak pour voir surgir les fantômes d’interventions ratées. Vingt ans de guerre en Afghanistan, des milliards engloutis, des milliers de vies fauchées, pour finalement redonner le pouvoir au même groupe que l’on était venu déloger. Quant à l’Irak, ses “missions accomplies” arborées sur des bannières présidentielles se sont dissoutes dans le sable brûlant des déserts ensanglantés, laissant derrière elles des guerres civiles, des factions terroristes, et une déstabilisation régionale durable.

Et malgré tout cela, la question de la stratégie post-intervention semble toujours absente. On entre dans un conflit comme on entre dans un casino : avec espoir et arrogance, convaincu que cette fois-ci, la chance tournera. Mais sans sortie, une guerre devient un gouffre. C’est ainsi que les conflits ponctuels se transforment en guerres perpétuelles, aspirant argent, vies humaines et crédibilité avec l’efficacité froide d’un broyeur institutionnel.

Ce vide stratégique s’accompagne d’une mécanique cynique : pour les décideurs, la guerre est utile. Elle permet de galvaniser l’opinion, de détourner l’attention des faillites domestiques, de justifier la surveillance de masse et l’autoritarisme rampant. Les coûts sont socialisés – payés par les soldats, les civils bombardés, et les contribuables. Les bénéfices, eux, vont aux fournisseurs d’armements, aux contractants privés, et aux stratèges de salon qui ne rendront jamais de comptes.

Ce n’est pas seulement une tragédie militaire. C’est une trahison politique. Une démocratie envoie ses enfants à la guerre non pour les sacrifier à l’aveugle, mais pour défendre des intérêts clairs et planifiés. En l’absence d’objectifs définis, ce n’est plus une guerre : c’est un abattoir bureaucratique, un gaspillage organisé de ressources, de temps et d’humanité.

Quant à la communauté internationale, elle se contente de ses lamentations rituelles. Elle observe, impuissante, pendant que des superpuissances jouent avec la géographie d’autrui comme avec un jeu de société. Et pendant ce temps, les conséquences s’accumulent : vagues de réfugiés, résurgence des groupes extrémistes, tensions interétatiques, et conflits par procuration en série.

Le Moyen-Orient, plus que tout autre région, témoigne de l’ineptie méthodique des interventions militaires décidées sans vision politique. Les leçons de l’Histoire ne sont plus ignorées : elles sont méprisées avec superbe. Et chaque fois qu’on promet que “cette guerre sera différente”, on s’apprête à répéter le même échec, avec la même mauvaise foi.

La vérité est simple, brutale, et universelle : il n’y a pas de victoire militaire durable sans stratégie de sortie. Et aucune guerre ne mérite d’être commencée sans que les dirigeants aient le courage d’énoncer, noir sur blanc, ce à quoi ressemblera la fin du conflit.

Plutôt que de se précipiter dans de nouvelles guerres comme on appuie sur une gâchette, peut-être faudrait-il redonner toute sa place à ce qui fait la paix : la diplomatie, la reconstruction, la négociation politique. Ce sont ces démarches discrètes, laborieuses et sans éclat médiatique, qui offrent les seuls résultats durables. Mais elles n’alimentent ni les discours patriotiques, ni les sondages, ni les profits industriels.

Il est urgent d’exiger des dirigeants qu’ils pensent la guerre avant de la déclencher, qu’ils définissent la victoire avant d’envoyer un seul soldat au front. Sans cela, nous resterons prisonniers d’un cycle autodestructeur où les conflits se succèdent comme les saisons, toujours plus vides de sens, toujours plus chargés en souffrance.

Car tant que les guerres seront déclenchées sans vision, elles s’éteindront sans gloire. Et la seule chose qui survivra à ces désastres répétés, ce sera l’arrogance de ceux qui prétendent encore agir au nom de la sécurité, tout en semant l’instabilité.

Réflexions finales

Ce n’est pas la guerre qui est la véritable faillite de notre époque — c’est la manière dont nous y entrons, sans y penser, sans y réfléchir, comme si l’histoire n’avait rien à nous apprendre. Ce que nous appelons aujourd’hui “intervention stratégique” n’est bien souvent qu’un euphémisme sophistiqué pour désigner l’improvisation meurtrière de nations incapables d’imaginer autre chose que la force pour résoudre ce qu’elles ne comprennent pas.

À force de confondre puissance militaire et sagesse politique, nous avons inversé les rôles de l’intellect et de la force brute. Les bombes parlent à la place des diplomates, les missiles remplacent les traités, et l’on promet la paix avec le fracas des armes. Pourtant, chaque guerre que l’on déclenche sans plan est une dette morale contractée auprès des générations futures.

Les grandes puissances ne tombent pas parce qu’elles sont attaquées. Elles s’effondrent de l’intérieur, rongées par leur propre aveuglement. L’ennemi n’est pas toujours celui que l’on vise à l’extérieur, mais bien souvent la certitude, l’orgueil, et l’incapacité d’imaginer la fin avant même d’avoir commencé.

Le courage aujourd’hui n’est plus de frapper le premier. Il est dans la retenue, dans la lucidité, dans la capacité de dire non à l’escalade quand tous réclament le feu. Il est dans la vision de ceux qui, face aux sirènes de la guerre, savent que la seule véritable victoire est celle qui préserve la vie et la dignité — pas celle qui remplit les cimetières.

Pensons avant de tirer. Nommons la paix avant qu’elle ne devienne un souvenir. Car dans un monde au bord du basculement, le plus grand acte de force est peut-être, enfin, de désarmer.

@sifa_nshombo

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