
L’histoire des faibles est toujours racontée par la bouche des vainqueurs. Le silence des opprimés est l’encre invisible des archives officielles.
Par Noé Ishaka – Chroniqueur, Chercheur en psychologie politique et affaires africaines
Le contexte historique : Un héritage colonial perpétué
Comprendre l’effacement de la mémoire congolaise exige de remonter à la Conférence de Berlin de 1885, lorsque les puissances européennes ont partagé l’Afrique comme un gâteau impérial. Le Congo devint la propriété personnelle du roi Léopold II, qui y orchestra l’une des exploitations humaines les plus brutales de l’histoire coloniale. Le pillage du caoutchouc fut remplacé au fil du temps par l’exploitation de l’uranium, puis des minerais stratégiques du XXIe siècle.
La dictature de Mobutu Sese Seko, soutenue par les États-Unis pendant la guerre froide, a consolidé un État patrimonial et corrompu, affaibli par des ajustements structurels imposés par le FMI et la Banque mondiale dans les années 1980. Ce vide institutionnel a laissé le Congo vulnérable aux invasions de ses voisins après la chute de Mobutu en 1997. Ce n’est pas une crise récente, c’est une tragédie annoncée, tissée par plus d’un siècle de domination étrangère et d’abandon planifié.
Acteurs émergents : Et la Chine dans tout cela ?
Alors que l’Occident finance les rebelles par des alliances stratégiques opaques, la Chine avance en silence. Elle est désormais l’un des principaux investisseurs dans les infrastructures et les mines congolaises, via des partenariats dits « gagnant-gagnant » souvent critiqués pour leur manque de transparence. Pékin, qui se garde bien de toute ingérence politique apparente, gagne du terrain dans la région avec des contrats à long terme qui échappent aux médias occidentaux.
La RDC pourrait bien devenir une nouvelle ligne de front dans une guerre froide renouvelée, où les rivalités entre l’Occident et la Chine façonnent l’avenir d’un pays sans lui donner voix au chapitre. Qui contrôle le cobalt contrôle l’avenir énergétique du monde. Et ce contrôle, une fois de plus, échappe aux Congolais.
Témoignages : Redonner la parole aux invisibles
Pour éviter que cet article ne reste dans l’abstraction, écoutons les voix que l’histoire officielle refuse d’entendre.
Julienne Lusenge, militante congolaise des droits des femmes, rappelle dans un récent discours : « Chaque mine de coltan cache un viol, chaque gramme de cobalt transporte le cri d’une mère qui a tout perdu. » Fred Bauma, défenseur de la démocratie, quant à lui, affirme : « Tant que les Congolais n’écrivent pas eux-mêmes leur histoire, ils continueront à disparaître de celle des autres. »
Dans un camp de déplacés près de Goma, une jeune fille de 13 ans dit calmement : « Je n’ai pas de pays. Mon pays, ce sont les collines où je ne peux plus retourner. » Ce sont ces voix que le monde doit écouter, ces vérités que les chiffres ne capturent pas.
Que faire ? Recommandations pour une justice globale
- Un embargo international sur les minerais extraits dans les zones de conflit, en particulier ceux exportés via le Rwanda sans certification indépendante.
- La mise en place d’un tribunal international indépendant sur les crimes de guerre en RDC, selon les recommandations du Rapport Mapping.
- Des mécanismes de traçabilité renforcés dans la chaîne d’approvisionnement technologique mondiale.
- Un soutien renforcé aux médias, chercheurs et écrivains congolais, pour qu’ils reprennent le récit en main.
- Un engagement de l’Union africaine pour sortir d’une posture de silence complice et devenir une force active de médiation et de justice continentale.
Choisir la mémoire ou l’oubli
Les archives futures demanderont des comptes. Les enfants congolais d’aujourd’hui liront-ils demain l’histoire d’un peuple abandonné, ou celle d’une nation qui s’est levée malgré l’effacement ?
Le monde ne peut plus prétendre ne pas savoir. Il sait, il choisit. Et ce choix détermine s’il sera complice de l’oubli ou artisan de la mémoire.
L’histoire du Congo ne doit pas être une note de bas de page dans les récits des puissants. Elle doit être un chapitre central dans l’histoire universelle de la justice et de la dignité humaine.
Car la mémoire est une forme de résistance. Et résister, c’est refuser d’être effacé. Le moment est venu de ne plus seulement pleurer les morts, mais de se battre pour que plus aucun vivant ne soit condamné au silence. L’histoire nous jugera non pas sur notre compassion, mais sur notre courage à exiger justice.
Questions de discussion proposées
Sur le contexte historique :
- En quoi le passé colonial belge influence-t-il encore les dynamiques actuelles de pouvoir en RDC ?
- Peut-on parler de continuité entre l’exploitation coloniale et la prédation contemporaine des ressources ?
- Les institutions financières internationales ont-elles favorisé ou affaibli la souveraineté congolaise ?
Sur les acteurs internationaux : 4. La Chine constitue-t-elle une alternative réelle ou un nouvel acteur impérial dans la région ? 5. Le Congo est-il en train de devenir le champ de bataille d’une guerre froide entre la Chine et l’Occident ?
Sur les témoignages : 6. Pourquoi les voix congolaises sont-elles absentes des débats internationaux ? 7. Comment les témoignages des victimes peuvent-ils devenir des leviers de transformation sociale et politique ?
Sur les solutions proposées : 8. Un tribunal international peut-il réellement être impartial face aux pressions politiques ? 9. Comment rendre les multinationales responsables de leur rôle dans l’exploitation des minerais de conflit ? 10. L’Union africaine est-elle en mesure de faire respecter les principes de souveraineté et de justice dans la région ?
Sur la mémoire et l’action : 11. L’oubli du Congo est-il une ignorance involontaire ou un acte stratégique ? 12. Quels rôles peuvent jouer la diaspora et la jeunesse congolaise dans la réécriture de leur histoire ?
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