Dakar:
Léa-Lisa Westerhoff « Nous voulons rester dans la légalité » et « éviter toute violence », insistent les organisateurs pour justifier cette décision de reporter la marche silencieuse qui était prévue ce mardi dans la capitale du Sénégal.
Car les dernières tentatives de rassemblement se sont soldées par des échecs, voire transformées en affrontements avec les forces de l’ordre qui dispersent le moindre attroupement à coups de gaz lacrymogènes, faisant même trois morts par balles depuis le 9 février. En lieu et place de la grande marche annoncée par Aar Sunu Élection (« Protégeons notre élection »), nouvelle plateforme de la société civile, on pouvait voir cet après-midi un impressionnant dispositif des forces de l’ordre.
Des centaines de gendarmes gilet pare-balle et matraques à la main déployés tout le long du parcours, des dizaines de pick-up aussi de la gendarmerie, la plupart des magasins fermés, un blindé était même garé sur le rond-point qui devait servir de point de départ. Autant de signes clairs de l’interdiction de manifester.
Officiellement, la préfecture a interdit la manifestation parce qu’elle risquait de perturber la circulation. Mais, en parallèle, selon plusieurs sources, des discussions sont en cours, entre les autorités et certains acteurs politiques autour de possibles mesures d’apaisement. Un timing qui pourrait expliquer cette nouvelle interdiction de manifester, selon les organisateurs de cette marche.
Car, depuis quelques jours, le pouvoir tente une décrispation. Le signal de la télévision privée Walf tv a été rétabli et, le 12 février, les deux anciens présidents du Sénégal avant Macky Sall, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, ont appelé au calme et au dialogue dans une déclaration commune. À lire aussiSénégal : les deux anciens présidents Abdou Diouf et Abdoulaye Wade appellent à l’apaisement « Nous n’avons rien contre des mesures d’apaisement », répond Aar Sunu Élection.
« Ils veulent se donner du temps pour pouvoir annoncer leurs mesures d’apaisement », explique ainsi l’un des organisateurs, le professeur de droit constitutionnel Babacar Gueye. « Si les solutions vont dans le sens de l’apaisement, pourquoi pas ? », avant d’ajouter que la position du collectif n’a pas changé : il faut une présidentielle au plus tard le 2 avril, date de la fin du mandat du président Macky Sall.
En attendant, le collectif a appelé à l’organisation d’une nouvelle marche silencieuse à Dakar et sur toute l’étendue du territoire national samedi 17 février à partir de 11h du matin. Ils ont déposé une demande en ce sens.
Une nouvelle marche prévue samedi, avec un itinéraire approuvé par le préfet de Dakar cette fois. Pour le chercheur Elimane Kane, il faut être irréprochable sur le respect des règles L’ONU « profondément préoccupée », Paris appelle à « un usage proportionné de la force »
À Dakar et dans le reste du pays, les collèges et lycées sont appelés à interrompre leurs cours en signe de contestation par rapport au report de la présidentielle. Et dans plusieurs grandes villes du pays, comme à Ziguinchor ou Saint-Louis, des appels à la mobilisation circulent sur les réseaux sociaux. Des réseaux difficilement accessibles de nouveau aujourd’hui, alors que les données mobiles ont de nouveau été coupées par les autorités sénégalaises. L’ONU, de son côté, a réagi ce matin.
Elle se dit profondément préoccupée de la situation au Sénégal et demande des enquêtes. Elle dénonce notamment un recours disproportionné à la force contre les manifestations. La France, elle, a appelé ce mardi après-midi à « faire un usage proportionné de la force », à travers une déclaration du porte-parole adjoint de son ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
De son côté, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme Volker Türk, se dit « profondément préoccupé par la situation tendue ». L’organisme onusien, basé en Suisse, appelle les autorités à faire respecter le droit à manifester et la liberté d’expression. Dans un contexte où les manifestations autorisées ou non pourraient se multiplier, le Bureau des droits de l’homme des Nations unies demande « à tous les acteurs de s’abstenir de recourir à la violence », notamment aux forces de défense et de sécurité.
L’organisme onusien indique : « à la suite d’informations faisant état d’un recours inutile et disproportionné à la force contre les manifestants, nous demandons aux autorités de respecter les droits humains ». Suite à la mort de trois personnes, à l’arrestation d’au moins 266 personnes, l’agence estime que des enquêtes doivent être menées « rapidement » et les « responsables amenés à rendre des comptes ».
Le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme interpelle également sur le dialogue politique annoncé par le chef de l’État Macky Sall, Volker Türk appelle à un dialogue aussi « large que possible », avec une « véritable participation des groupes d’opposition, des femmes, des jeunes et des groupes marginalisés ».
Dans une vidéo, le Collectif des universitaires pour la démocratie appelle Macky Sall à respecter le calendrier électoral Au Sénégal, au sein des campus, la mobilisation des professeurs se poursuit. Les 8 universités du pays sont en grève depuis le 12 février et jusqu’à ce 13 février soir suite à la mort d’un étudiant à Saint-Louis.
Après la diffusion d’une tribune il y a 8 jours, c’est au travers d’une vidéo sur les réseaux sociaux que le Collectif des universitaires pour la démocratie appelle le chef de l’État à respecter le calendrier électoral, rapporte Guillaume Thibault. « Faire Face », c’est le titre de cette vidéo de 2 minutes directement adressée au Président Macky Sall.
Sur fond noir, elle s’ouvre avec une ambiance de tirs d’armes à feu. Les professeurs de droit des universités du Sénégal apparaissent les uns après les autres. « Le samedi 3 février, vous avez décidé d’abroger le décret portant convocation du corps électoral pour l’élection présidentielle. Le lundi 5 février, les députés de la majorité ont reporté la date de cette élection de 10 mois », y rappelle un premier intervenant.
« Ces actions illégales, illégitimes, sont le dernier acte d’une longue série de manquements graves portés à notre démocratie », accuse un autre. Déjà mis en avant dans une tribune publiée le mardi 6 février par le même collectif d’universitaires, les arguments sont repris dans cette vidéo, notamment l’appel au respect de la constitution. « Monsieur le Président, nous exigeons le rétablissement immédiat du calendrier électoral, la garantie du bon fonctionnement des institutions, l’équilibre des pouvoirs et le respect des droits humains.
Car, ces éléments constituent une nécessité absolue et une urgence nationale », assure une troisième. Le CUD, le Collectif des universitaires pour la démocratie qui diffuse cette vidéo, né au lendemain de l’annonce du report du scrutin présidentiel, compte aujourd’hui plus de 200 membres au Sénégal et dans la diaspora.
Soyez le premier à commenter