Le 20 septembre, devant les chefs d’État et de gouvernement réunis à New York pour la 77e session de l’Assemblée générale des Nations unies, le président de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi, a rappelé que son pays est victime d’une crise “sécuritaire aiguë” qui dure depuis plus de 20 ans dans l’est de son territoire. Une “crise, expliquait-il, causée principalement par les convoitises que suscitent ses fabuleuses richesses naturelles et les ambitions de puissance de certains de ses voisins”. Il stigmatisait ensuite le “mal sécuritaire qui continue à ronger mon pays”, malgré les efforts internes et la présence militaire massive de l’ONU en RDC depuis 23 ans. Il regrettait encore que plusieurs accords signés avec les groupes armés, et même avec les pays voisins, sous la garantie de la communauté internationale, n’ont duré que quelques mois.
Quelques jours plus tard, interrogé par RFI et France 24, le président Tshisekedi revenait sur les problèmes qui subsistent au sein de son armée en expliquant qu’elle est encore composée d’anciens militaires zaïrois, de troupes issues de diverses rébellions, qu’il s’agit d’un “brassage, un mixage, de plusieurs corps en un seul corps et tout ça fait qu’il y a des officiers qui continuent à obéir à leurs autorités anciennes”. Avant d’ajouter : “Tout cela, c’est à travailler. Il faut purger, séparer le bon grain de l’ivraie. […] Savoir qui sont les éléments qui peuvent continuer leur carrière là-dedans et qui il faut extirper pour impulser une nouvelle dynamique…”
Dans la foulée, il explique que l’arrestation, le 20 septembre, du général Philémon Yav, surnommé le “Tigre du Katanga”, s’inscrit dans cette logique. Le général, qui dirigeait la troisième zone de défense qui couvre les provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu, de l’Ituri, du Maniema et de la Tshopo et qui commandait dès lors les opérations contre le M23, est soupçonné d’intelligence avec l’ennemi, de “trahison”, selon le président.
En 2020, le général Philémon Yav est présenté par Jean-Jacques Wondo, analyste, expert en question militaire et animateur du site afridesc.org, comme faisant “partie de ces généraux réputés très proches de Joseph Kabila. Plusieurs sources des renseignements militaires et des unités opérationnelles les décrivent comme étant des hommes de main de Kabila”.
Volée de promotions
Quelques jours plus tard, début octobre, de retour au pays, Félix Tshisekedi, semblant poursuivre ce “nettoyage” de l’armée congolaise, annonce une imposante série de mises à la retraite et, parallèlement, une tout aussi longue liste de promotions.
Parmi ces promus, le général Jacques Tchaligonda Nduru, devenu chef d’état-major général adjoint, chargé des opérations et du renseignement. Cet homme, dont le nom est orthographié au moins de cinq façons différentes, est bien connu depuis une vingtaine d’années tant sur les terrains d’opération que… dans les cours et tribunaux internationaux. Il est l’incarnation du militaire “brassé” et “mixé” qu’évoquait le président Tshisekedi dans son interview new-yorkaise pour justifier la difficulté de gérer l’armée congolaise.
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En 2019, Jean-Jacques Wondo tirait le portrait de ce militaire issu des mouvements rebelles du RCD-K/ML, puis de l’Union des patriotes congolais (UPC) et de sa branche militaire, les Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC), dirigée par Thomas Lubanga et Bosco Ntanganda. Les deux hommes ont été condamnés par la Cour pénale internationale de La Haye pour crime de guerre et même de crime contre l’humanité pour Bosco Ntanganda pour des actes commis essentiellement dans la province de l’Ituri.
Tchaligonda cité de nombreuses fois
S’il n’est pas poursuivi par la CPI, le nom de Tchaligonda revient une trentaine de fois dans les deux dossiers à charge de Lubanga et de Ntanganda sur les exactions commises par les membres de l’UPC/FPLC. Les Nations unies et l’ONG Human Rights Watch, notamment, ont aussi inventorié les crimes commis par ce mouvement rebelle au sein duquel sévissait le commandant de brigade qui allait devenir le général des Forces armées de la RDC Jacques Tchaligonda, élevé, ce mois d’octobre par le président de la république Félix Tshisekedi au rang de chef d’État-major général adjoint.
Une promotion qui pose évidemment son lot de questions.
Comment un rebelle ayant sévi pendant des années dans l’est de la RDC peut-il aider à ramener la paix et la sérénité dans cette région et, au-delà, dans le pays ?
Comment croire en une réelle volonté de réformer l’armée congolaise dans le chef du président Tshisekedi quand on voit que d’anciens rebelles cités par la CPI continuent leur progression hiérarchique ?
Quid des accords de coopération militaire signés par notre défense nationale avec cette armée qui héberge de tels officiers ? La liste des interrogations est encore longue…
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