Le “Quoi qu’’il en coûte” macronien est devenu la nouvelle ligne de communication officielle du pouvoir à Kinshasa quand il s’agit d’évoquer la présidentielle et les législatives annoncées pour le 20 décembre prochain. Malgré les bruits de botte dans les provinces du Kivu et de l’Ituri, qui ont jeté des centaines de milliers de personnes sur les routes de l’exil, malgré les tensions communautaires dans l’ouest du pays, malgré les difficultés liées au manque d’infrastructures, au retard pris par certaines commandes de machines à voter, malgré les tensions politiques, malgré le refus de certaines formations de participer à ce qu’elles jugent être “une mascarade électorale” dans laquelle “les jeux sont pipés”, la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), grande organisatrice du scrutin, et le président de la République Félix Tshisekedi, candidat à un second mandat, martèlent leur détermination à tenir le calendrier coûte que coûte. Lors de son récent voyage au Brésil, le président congolais a répété devant la diaspora congolaise : “Je sais qu’il y a, en interne comme en externe, des personnes qui veulent saboter le processus électoral. Mais je vous assure que je reste déterminé à réussir ce pari”.
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Doutes et répression
Malgré cette détermination affichée au sommet du pouvoir, le doute s’installe à Kinshasa sur la possibilité et la vraie détermination à organiser ces scrutins. “Le financement ne suit pas”, explique un membre de la Ceni qui pointe la lenteur dans les décaissements des fonds par le ministère des Finances. “C’est un constat qu’on dresse depuis plus d’un an”, poursuit-il. “Tous ces retards ont un impact sur le respect du calendrier qui est déjà très serré”. Beaucoup soulignent l’impossibilité de tenir un scrutin sérieux dans l’est du pays. “Dans la situation actuelle, il est impensable d’organiser un vrai scrutin dans les deux Kivu et dans l’Ituri. Or ce sont des zones très peuplées et déterminantes dans une élection nationale”. “Même à Kinshasa, on peut se poser des questions sur l’organisation de ce scrutin”, explique un membre d’une instance internationale. “Les poches de violence communautaire sont aux portes de Kinshasa et l’assassinat du porte-parole de l’opposition Chérubin Okende a été vécu comme un séisme dans les postes diplomatiques. Un crime crapuleux à quelques mois des élections, des opposants sous les verrous sous des prétextes douteux, la volonté d’organiser des élections vraiment inclusives et réellement démocratiques en prend un coup”, poursuit-il, tout en expliquant que “ce ne sont pas les fêtes réussies des jeux de la Francophonie qui vont exonérer le pouvoir de ses responsabilités”.
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Dans ce contexte, le parti Ensemble pour la République de Moïse Katumbi est au cœur de ces dossiers. “C’est déjà le principal opposant et le retrait de la course à la présidentielle des formations de Kabila et de Fayulu l’expose encore un peu plus”, poursuit un diplomate. Le collectif des avocats de Salomon Kalonda, le conseiller spécial de Moïse Katumbi, jeté en prison le 30 mai dernier appuie cette vision. “On vient d’apprendre que notre client, très affaibli par ses 75 jours de détention dans la prison militaire de Ndolo, doit comparaître ce 17 août. Nous avons été notifiés 72 heures à l’avance, sans avoir eu accès au dossier. Ce sont des procédés très inquiétants mais pas étonnants dans la logique de condamnation qui prévaut au sein de notre justice militaire. Le pouvoir veut passer en force”, indique, ce mardi 15 août, un des avocats de Salomon Kalonda.
Tentatives de négociations avec le Katanga
“La pression monte de partout”, explique un autre diplomate qui pointe, lui, la nécessité d’un dialogue entre les leaders politiques de tous bords. “C’est presque un passage obligatoire dans ce pays”. Ce n’est pas Joseph Olenghankoy, le patron du Comité de suivi des accords de la saint Sylvestre (CNSA) qui dira le contraire, lui qui a été mandaté par la présidence pour mener une mission auprès de l’ancien président Joseph Kabila et du leader de l’opposition Moïse Katumbi. Une mission qu’il a menée en toute discrétion dans la capitale du Haut-Katanga alors que tous les regards étaient concentrés sur les jeux de la Francophonie à Kinshasa. Embarrassé par notre appel, Joseph Olenghankoy explique avoir aussi rencontré les autres candidats et certaines personnalités. “J’ai vu Fayulu, Sesanga même Mukwege”, lance-t-il sans nier sa venue discrète à Lubumbashi. Objectif non avoué, évoquer la possibilité d’une négociation dans l’éventualité d’un report des élections. “Dans toute démocratie, il faut privilégier le dialogue”, explique-t-il. Pourquoi ce dialogue alors que le pouvoir insiste sur le respect de la constitution et sur la tenue du scrutin le 20 décembre prochain. “Il faut mettre tous les scénarios sur la table”. Comme un report de quelques mois ou plus ? “No comment”, coupe Olenghankoy qui insiste sur les “discussions franches avec deux personnes de principe”. A Lubumbashi, dans les états-majors des deux hommes, on reconnaît la rencontre. “Pourquoi cette demande de négociation dans un pays où tout va bien, où on fait la fête à Kinshasa”, explique-t-on, un rien cynique, dans le camp Kabila. “Comment évoquer un dialogue alors que nous avons notre porte-parole à la morgue et le conseiller spécial en prison”, ajoute-t-on chez Katumbi. Faut-il y voir une fin de non-recevoir définitive à une négociation. Le ton est à l’affirmative dans les QG des deux leaders katangais. Joseph Olenghankoy se contente d’expliquer qu’il a rédigé “un rapport de mission qui est entre les mains du président de la République”.
La tenue d’un scrutin crédible le 20 décembre est largement remise en cause. “Il faudra se mettre autour de la table mais qui aura les meilleurs atouts”, s’interroge un diplomate qui rappelle les événements de fin 2016. “Le président qui doit demander ce tour de table est inévitablement affaibli”, conclut-il.
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