RDC : L’enregistrement des électeurs est chaotique, peut-on encore éviter un glissement ?

RDC : L’enregistrement des électeurs est chaotique, peut-on encore éviter un glissement ?

On n’y arrivera pas comme ça”, lance un habitué des cycles électoraux en Afrique.
Denis Kadima, le patron de la Commission électorale indépendante (Ceni) est pointé du doigt. “C’est certainement un bon observateur des scrutins, mais un piètre organisateur, en tout cas dans un pays aussi vaste et peu développé que le nôtre”, enchaîne Luc Malembe, ancien activiste de la Lucha qui a goûté à la prison sous Kabila et sous Tshisekedi pour avoir osé critiquer leur pouvoir, aujourd’hui passé dans le camp de Martin Fayulu.

En République démocratique du Congo, où les élections législatives et présidentielles sont prévues le 20 décembre prochain, l’enregistrement des électeurs a commencé le 24 décembre dernier. Cinquante millions d’électeurs devraient pouvoir y participer. Leur enrôlement, dans un pays sans état civil relève de la gageure. Denis Kadima a découpé le pays en trois zones. Approximativement, 16 millions d’électeurs à inscrire dans chacune d’entre elles. Un mois par zone. “Impossible”, avaient prévenu plusieurs spécialistes électoraux. Lors de son passage par Bruxelles, le 2 décembre dernier, à l’occasion d’un séminaire organisé au palais d’Egmont par l’institut éponyme, Denis Kadima avait expliqué que, désigné à ce poste en 2021, il manquait de temps pour organiser des élections parfaites. “On ne peut me demander le beurre et l’argent du beurre”, avait-il répété à plusieurs reprises. “Il était crispé ce jour-là”, se souvient un des participants. “Il ne s’est pas attardé. Il y avait un vrai malaise”. “Il nous avait prévenus, mais là, avec ce qui est en train de se mettre en place, on n’a clairement que le chaos qui se dessine”, enchaîne un autre invité de ce séminaire.

Ce n’est pas un scrutin qui se prépare, mais un désordre et un désastre”, explique un observateur qui s’est rendu dans différents centres d’inscription à Kinshasa et au Kongo central, et qui a additionné les expériences dans les provinces du grand Bandundu et du grand Équateur sans avoir reçu les accréditations demandées à la Ceni pour faire ce travail d’observation. “À Matadi, sur 35 bureaux cartographiés, 13 sont fictifs. Ce sont de simples maisons, pas des centres d’inscription.”

L’opacité règne en maître

Tous les témoignages soulignent “l’amateurisme du processus”, selon les termes d’un responsable de la société civile du Kwilu. “C’est le 4e cycle électoral organisé et on n’a tiré aucun enseignement depuis 2006. Le travail est bâclé. Comment expliquer autrement qu’une école qui n’existe plus a été reprise comme lieu d’enrôlement ?” s’interroge un prêtre catholique. “Il faut reconnaître que certains points ont été améliorés, tranche un expert onusien, mais ce sont des gouttes d’eau dans un océan de médiocrité”, poursuit-il. “Si le travail de préparation n’est pas fait au minimum, si la formation du personnel est bâclée, si on ne recrute pas ses agents sur base de leurs qualités, mais sur base politique ou ethnique, on se tire une balle dans le pied”, continue le prêtre. “L’application qui a été développée pour faciliter l’inscription n’est pas utilisée”, explique un Kinois qui a voulu s’enregistrer en s’identifiant via cette application “qui génère un QR code que la plupart des agents en poste ne savent pas scanner. Il est donc souvent demandé à l’électeur de recommencer toute la procédure manuellement”. Des témoins dans la capitale confirment largement ce scénario.

À Kinshasa, certains bureaux ont volontairement limité le nombre d’inscrits par jour. Dans l’un d’eux, c’est 45 électeurs par machine. Soit moins d’un dixième de ce qu’il faudrait réaliser pour atteindre les chiffres voulus par la Ceni et nécessaires si elle veut inscrire 50 millions d’électeurs en trois mois”, poursuit un expert. “Les gens paient 3 000 francs congolais (1,5 dollar) aux policiers de faction devant le bureau contre un jeton avec lequel ils reviennent le lendemain. Il ne faut pas oublier que cette carte d’électeur sert aussi de pièce d’identité. Certains sont donc prêts à payer pour l’obtenir.”

Silence

La Ceni, elle, se tait. “Elle a juste communiqué, un jour, qu’elle avait atteint le million d’inscrits. Un chiffre invérifiable, rappelle un expert électoral. Les exemples de défaillance dans le process, par contre, inondent les réseaux. Les vidéos d’installation dépourvues de tout, y compris du kit électoral, se multiplient ».

Ici, dans le grand Équateur, on a le sentiment d’être oubliés. Les machines sont arrivées tardivement et équipés de panneaux solaires bon marché qui ne fonctionnent que quelques heures par jour. En période de pluie et en forêt, c’est une hérésie de parier sur cette technologie”, martèle une ancienne élue kabiliste qui a “tourné définitivement le dos à la politique”.

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Face à ce silence de la Ceni “qui a pourtant tous les chiffres chaque jour”, les observateurs tentent de recueillir un maximum de témoignages pour leurs propres calculs. “Sur base des nombreux bureaux visités par nos amis à Kinshasa, dans le Kongo central et dans les anciennes provinces de l’Équateur et du Bandundu, on pense que ce samedi 14 janvier, soit en trois semaines, il y a maximum 1,8 million d’inscrits. Il reste donc une semaine pour inscrire au moins 14 millions d’électeurs. C’est impensable”, poursuit un prêtre.

Face à ce qui se dessine comme un échec, que va faire Denis Kadima qui a défié tout un peuple et une batterie d’experts en prétendant pouvoir relever le défi de cette élection éclair ? “Tout le monde attend qu’il prenne une décision. Il doit prolonger la période d’enrôlement, au moins pour la première zone, lâche un expert électoral congolais. Mais le vrai responsable, même s’il va tenter une fois encore de se dédouaner, c’est le président de la République. C’est lui qui a imposé Kadima en se moquant des Églises catholiques et protestantes. C’est lui qui a tribalisé cette fonction en choisissant un Kasaïen. Il ne peut pas échapper à cet échec.”

Quand se tiendra le scrutin ?

Dans ce contexte, les élections ne se tiendront pas avant 2025”, lâche un “vieil” observateur de la vie politique congolaise. “Il y a deux thèses, poursuit un avocat de Kinshasa. Soit on dépasse la date du 20décembre pour la tenue du scrutin et il faut une large négociation ou une grande table ronde pour envisager une transition qui se ferait avec un président largement amputé de ses pouvoirs, soit, poussé par son premier cercle, Félix Tshisekedi veut coûte que coûte organiser ce scrutin en décembre prochain, quitte à ce qu’il soit chaotique et non représentatif. Rien ne semble tranché, mais on a déjà enterré l’idée du scrutin apaisé.”

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On a le sentiment que la Ceni veut privilégier une zone géographique”, constate un pasteur “inquiet de cette tribalisation porteuse de toutes les dérives et de toutes les violences”. “La carte du Congo, c’est 60 % à l’Est et 40 % pour le Centre et l’Ouest. Ils vont essayer de renverser la donne en enregistrant différemment”, selon Bob Kabamba, politologue et professeur à l’université de Liège, qui ajoute : “Évidemment, quand il faudra négocier la répartition des sièges au Parlement, ça va coincer. Les pointures de l’Est comme Bahati, Kamerhe, Paluku et autres n’accepteront pas de perdre leur pouvoir, de risquer de ne plus exister politiquement.” “D’autant que cette nouvelle carte électorale ne repose que sur une tricherie de la Ceni”, explique un élu du Maniema. “Si on doit vivre un tel scénario, l’Union sacrée de Tshisekedi explosera”, renchérit un représentant de la société civile de l’Ituri, province toujours sous état de siège, “ce sera un échec de plus pour Tshisekedi.”

Quid de l’enrôlement à l’Est ?

À Beni et Butembo, on n’a pas pu voter en 2018. Plus de 1,2 million de Congolais ont été privés d’un droit essentiel. Cela ne peut plus se reproduire », explique un humanitaire installé au Sud-Kivu. “L’Ituri et le Nord-Kivu, les deux provinces sous état de siège, représentent 12 % de l’électorat, comment va-t-on y organiser des élections, alors que certaines régions sont toujours traversées par des accès de violence ?” interroge un expert électoral qui “avoue ne pas avoir la réponse”.

À l’Est, le M23 n’a peut-être pas encore posé sa dernière carte, rappelle Bob Kabamba. Au vu du chaos électoral, on peut envisager un changement de revendications. Un M23 plus congolais peut peut-être trouver une nouvelle place.” Dans ce grand Est swahilophone, plusieurs politiciens de poids se posent des questions sur les réelles intentions de Félix Tshisekedi. “La confiance n’est pas, ou plus, au rendez-vous”, poursuit l’un de ses élus.

Félix nous emmène droit dans les troubles”, confie un prêtre de Kinshasa qui se souvient de la mobilisation emmenée par l’Église catholique en 2016 et 2017 à la fin du règne de Joseph Kabila. “On va remobiliser le peuple, annonce-t-il. On ne peut pas accepter ce qui se prépare sans broncher.” L’Église catholique a-t-elle encore la capacité de le faire ? “Absolument, reprend le prêtre qui concède toutefois que des “tensions sont apparues avec le clergé kasaïen. Il y a une tribalisation aussi à ce niveau”. Rendez-vous est donné au mois de février. “Il ne faut pas gâcher la visite du pape en RDC entre le 31 janvier et le 3 février. Des émissaires se sont rendus au Vatican, il y a eu beaucoup d’échanges avec le nonce. On espère que François trouvera les mots pour mettre en garde le pouvoir et sensibiliser la population.”

Sous Kabila, quand on mobilisait, on pouvait compter sur l’UDPS, surtout dans la capitale”, rappelle Luc Malembe, l’ancien de la Lucha. “Aujourd’hui, ils ne sont plus là, mais ils ne sont plus non plus comme un seul homme derrière Tshisekedi. Beaucoup sont déçus.” “L’UDPS va payer cher sa guerre avec Jean-Marc Kabund, l’ancien patron du parti, qui n’a pas son pareil pour mobiliser la masse populaire”, explique un parlementaire kinois. Pour nos interlocuteurs, en cas de dépassement de calendrier et de transition, Félix Tshisekedi sera “vite isolé” et “affaibli”. Tous osent la comparaison avec Kabila qu’ils présentent comme “plus puissant que son prédécesseur, mais contraint finalement de lâcher le pouvoir”. “Or, le système Tshisekedi fait de plus en plus penser à l’Akazu de Habyarimana”, ose Bob Kabamba “avec le poids de l’épouse, une famille qui accapare le pouvoir et l’argent. Si ce groupe sent qu’il est menacé, il peut recourir à des extrémités…”

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