Depuis le lundi 24 avril, une délégation de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) emmenée par son représentant pour l’Afrique centrale, Alphonse Wéguena, est présente à Kinshasa à l’invitation du président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), Denis Kadima.
Au centre de cette mission exploratoire de l’OIF, l’audit du fichier électoral dans la perspective des élections présidentielles et législatives du 20 décembre prochain. L’OIF dispose d’une expertise reconnue mondialement dans ce domaine. En 2018, notamment, ces experts s’étaient penchés sur le fichier électoral dont se prévalait la Ceni, présidée alors par le très kabiliste Corneille Nangaa. Il avait fallu trois semaines, du 6 au 25 mai 2018, à ces experts pour “nettoyer” un fichier électoral brut de plus de 46 millions d’électeurs inscrits.
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Près de 7 millions de “faux électeurs”
“Les auditeurs de l’OIF ont eu accès au fichier brut […] Sur un total de 46 862 423 électeurs initialement enrôlés, 6 837 526 ont été radiés du fichier national par la Ceni”, peut-on lire dans le Rapport final de l’OIF publié en 2018.
Dans ce fichier brut, les experts ont détecté de nombreux “soucis” comme l’inscription de mineurs, l’enregistrement d’électeurs sans prise d’empreintes digitales… “Pour déceler tous les doublons possibles, il faut entrer dans le fichier ligne par ligne”, explique un expert contacté par La Libre. “Un travail de bénédictin”, enchaîne un autre, “et cela nécessite du temps”. Ce que n’a pas prévu Denis Kadima dans son calendrier “très serré” qui octroie 5 jours aux experts pour nettoyer l’actuel fichier brut. “Infaisable. On l’avait dit dès que le calendrier a été publié. Mais la Ceni n’a rien voulu entendre”. Aujourd’hui, “évidemment, ça coince”, constate un de nos spécialistes.
“La faute au Rwanda”
Depuis le début de semaine, le torchon brûle à Kinshasa entre les représentants de l’OIF et la Ceni. Le dernier argument susurré par les Congolais : la personnalité de la présidente de l’OIF, Louise Mushikiwabo, ancienne ministre des Affaires étrangères… du Rwanda. “Kinshasa espérait que pour éviter toute tension autour de sa présidente, l’OIF accepterait de se plier au calendrier congolais, quitte à être moins regardant sur le contenu d’un fichier qui pose questions”. Les membres de l’OIF ont fait comprendre qu’il n’en serait rien.
Début d’un bras de fer qui a vu naître, mardi 26 avril, une structure baptisée Front des congolais pour la Sauvegarde de l’Intégrité Territoriale. Une organisation qui prévoit de lutter pacifiquement pour le respect du territoire congolais mais qui annonce aussi le lancement ce mardi 2 mai d’une “campagne nationale en faveur d’une pétition contre l’audit du fichier électoral par l’OIF, institution internationale dirigée par une ressortissante rwandaise, pays agresseur de la RDC et spécialiste en matière d’infiltration. Les données stratégiques des citoyens congolais ne peuvent être livrées à une pareille organisation…”
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Le pouvoir congolais espérait pourtant pouvoir mettre en avant cet audit international pour crédibiliser sa démarche et les résultats à venir de ces élections. “Certaines voix annoncent déjà un audit mené par une structure congolaise, inexistante aujourd’hui, ce serait complètement loufoque et personne n’y croirait”, poursuit un de nos spécialistes qui s’attend à ce que l’audit “passe à la trappe purement et simplement. L’argument de la protection des données stratégiques qui pourraient tomber entre les mains rwandaises n’est pas crédible mais dans le climat actuel, cet argument pourrait passer dans une opinion publique congolaise chauffée à blanc”.
Une argumentation confirmée par la sortie ce vendredi de Jérôme Bonso, président de la Ligue Nationale pour des Élections Libres et Transparentes (LINELIT) et coordonnateur de la plateforme Agir pour des Élections Libres et Transparentes (AETA). Originaire du Grand Kasaï, comme Félix Tshisekedi, M. Bonso explique que “la Ceni n’est plus obligée de recourir aux cabinets d’audit externe international de son fichier électoral dans le contexte de l’agression de la RDC avec la complicité de certains pays étrangers”.
Denis Kadima, lors de son passage à Bruxelles fin 2022, avait expliqué qu’avec le temps qui lui était imparti, il ne fallait pas s’attendre à un scrutin sans tache, une prédiction qui prend tout son sens aujourd’hui.
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