“Les six prochains mois seront très tendus à plusieurs niveaux”, lance Bob Kabamba, politologue et professeur à l’Université de Liège.
La plupart des voyants sont au rouge dans une République démocratique du Congo qui doit organiser l’élection présidentielle et législative le 20 décembre prochain, dans un climat de suspicion absolue et de tensions exacerbées tant sur le plan sécuritaire que social, économique, politique et même confessionnel et ethnique.
“Sur le plan social, la hausse des prix sur les biens de première nécessité à de fortes répercussions sur le quotidien de tous les Congolais. Les prix des transports, notamment, sont en forte hausse et la situation est encore plus grave à la campagne que dans les villes. Car cette hausse empêche les agriculteurs de faire acheminer leur production vers les marchés. Des récoltes pourrissent sur place et les agriculteurs sont sans revenus”, explique encore Bob Kabamba..
Face à cette explosion du coût de la vie, les Congolais constatent une explosion du nombre d’institutions en tout genre avec pléthore de conseillers budgétivores, généralement issus d’une même région. “On a parfois le sentiment que des nouveaux services apparaissent tous les jours. Ces services, ces institutions engloutissent l’argent de l’État, ce qui ajoute encore à la difficulté des Congolais”, confirme M. Kabamba.
Insécurité à tous les niveaux
”Le secteur minier traverse aussi une passe très compliquée. Tout le secteur de la sous-traitance qui est entre les mains de Congolais subit de fortes prédations. Les grands groupes miniers, eux, sont de plus en plus agacés parce qu’ils ont payé la TVA mais l’État est incapable de la leur rembourser. L’État doit plusieurs centaines de millions à ces sociétés. Parallèlement, la fameuse renégociation du non moins fameux contrat chinois n’avance pas”, poursuit encore Bob Kabamba. “Ce tableau débouche sur une hausse quotidienne de la grogne sociale, il faut craindre, dans ce contexte, qu’un jour une pette étincelle embrasera une grande ville avec le risque que ce mouvement fasse rapidement tache d’huile”.
Question sécuritaire, plus de 120 groupes actifs ont été identifiés dans l’est de la RDC. Le M23, proche du Rwanda, est le groupe le plus actif et le mieux organisé. “Ce mouvement en a profité de l’accalmie de ces dernières semaines pour se réarmer, se réorganiser et recruter”, expliquent plusieurs experts.
”Les observations des experts de l’ONU sont très claires sur les liens entre le M23 et le Rwanda mais en se focalisant sur Kigali, tout le monde ferme les yeux sur l’Ouganda. Bunagana, c’est la frontière entre la RDC et l’Ouganda. Si les Ougandais veulent mettre fin aux agissements du M23, ils peuvent fermer cette frontière qui est aussi un pôle de financement pour les rebelles”, continue le politologue qui pointe aussi les tensions autour des groupes étrangers comme les ADF ou les FDLR. “Les premiers, des terroristes islamistes ougandais, viennent de massacrer des dizaines de jeunes dans un pensionnat à deux kilomètres de la frontière congolaise. Les seconds sont des opposants au régime rwandais. Les deux groupes donnent des arguments aux deux pays pour frapper sur le sol congolais. N’oublions pas le leitmotiv du pouvoir rwandais qui veut que “quel que soit le niveau de la menace, il faut l’éliminer”.
Toutes ces poches de tensions, ces régions en guerre, provoquent aussi un déplacement massif de la population et donc une modification démographique dans les Kivu et l’Ituri. « Ce qui est humainement insupportable et aura des conséquences sur le futur processus électoral », explique un observateur onusien.
Fort de ce constat sécuritaire, une question s’impose, l’armée congolaise a-t-elle les moyens de mettre fin à cette situation. Pour Jean-Jacques Wondo, analyste et expert militaire la réponse est claire : “Non. Militairement, la RDC n’est pas en mesure de répondre aux attaques dans l’est de la RDC et ce n’est pas la présence, désormais, de mercenaires étrangers qui va permettre de résoudre cette crise”. Depuis plusieurs mois maintenant, un contingent de “soldats” de type européen est clairement visible dans la région de Goma. “Ils ont pris leur quartier dans deux hôtels de la ville”, confirme Bob Kabamba, qui a séjourné au printemps dans le chef-lieu du Nord-Kivu. “Il y a très peu d’unités combattantes parmi ces mercenaires”, poursuit M. Wondo qui insiste sur la très difficile collaboration entre ces troupes et les Forces armées congolaises (FARDC). Une analyse confirmée par plusieurs témoignages que La Libre a pu recueillir auprès de militaires congolais qui mettent en avant les inégalités de traitements entre eux et “ces mercenaires qui sont logés dans les hôtels, qui mangent et boivent tous les jours au restaurant quand nous recevons à peine de quoi survivre”, explique un sergent déployé dans la région de Goma, rejoint par un de ses collègues qui stigmatise aussi la différence de moyens. “Le nouveau matériel roulant qui arrive est destiné à ces mercenaires. Nous, on garde nos vieilles jeeps qui tombent toujours en panne. La population se moque de nous. C’est aussi très difficile à vivre, surtout quand vous voyez que ces mercenaires ne sont jamais en première ligne”.
Démobilisation générale
Dans ce contexte, il ne faut pas s’étonner de “la démobilisation des troupes congolaises et même des nombreuses désertions”, poursuit Jean-Jacques Wondo qui évoque les “chiffres fictifs qui sont la règle dans l’armée congolaise. Un bataillon, c’est entre 600 et 900 hommes, au Congo, en réalité, ce n’est parfois que 250 hommes.”. Des chiffres gonflés qui permettent à la hiérarchie militaire de faire de substantiels bénéfices en empochant la solde des “soldats inconnus”.
”L’armée et les secteurs de la sécurité sont devenus des pompes à fric”, explique un employé d’une structure internationale basé à Kinshasa. “À Kinshasa, le général Ntumba, le chef de la Maison militaire, s’occupe de tout, du matériel à acheter aux troupes à envoyer sur le terrain”, explique un gradé de Kinshasa, confirmé par Jean-Jacques Wondo. “Le général Ntumba ne délègue que les opérations sur le terrain au général Chico Tshitambwe, (NdlR : sous-chef d’état-major des FARDC chargé des opérations). Mais ils ne prennent conseil auprès de personne, même pas les chefs des régions militaires ou les commandants de secteur. Tshitambwe prend ses unités pour aller combattre sur le front même si ce ne sont pas les plus aguerries.” “Ils ont un monopole des actions militaires, reprend le gradé en poste à Kinshasa, Tout sert à se faire de l’argent.” Tous insistent sur les achats militaires réalisés ces derniers mois. “Des achats qui se font de gré à gré et de manière désordonnée”, insistent les uns. “On n’achète pas en fonction de nos besoins mais du catalogue et des rétrocommissions que viennent proposer les marchands d’armes”, confirment d’autres. “Ce n’est pas parce qu’on additionne du matériel militaire qu’on va gagner une guerre. Il faut une stratégie générale qui sous-tende ces achats”, reprend Jean-Jacques Wondo.
Une guerre comme cache-misère ?
Depuis de longues semaines, le président Tshisekedi laisse entendre qu’il pourrait passer à l’action contre les rebelles du M23 et le voisin rwandais. Certains généraux se montrent aussi menaçants. “Ce sont des postures qui doivent rappeler au peuple que la RDC est un grand pays”, poursuit Jean-Jacques Wondo. “Des mots qui doivent essayer de resserrer l’unité nationale”, confirme Bob Kabamba. “La guerre peut être une manière de camoufler un bilan désastreux à la veille d’une élection”, ajoute encore M. Wondo qui explique que le président de la République se laisse influencer “par le discours de certains généraux qui lui brossent un portrait irréel de nos effectifs et de nos moyens malgré les achats d’armes et la présence des mercenaires”.
Quid des nouvelles recrues – estimées à 10 000 volontaires – qui se retrouvent sur la base militaire de Kitona dans le Kongo central pour une formation ? Des jeunes gens, essentiellement, qui ont répondu à l’appel du chef de l’État après de forts accrochages avec le M23. “C’est de la chair à canon. Si des militaires aguerris ne parviennent pas à stopper les rebelles, que voulez-vous faire avec ces volontaires ?”, interroge M. Wondo. “Leur situation est très compliquée, ils vivent dans des conditions très difficiles. Ils se sont engagés la fleur au fusil, comme les jeunes sur le front européen en 1914. Aujourd’hui, ils ont faim, ils vivent dans des conditions très difficiles et pourtant ils sont encore loin du front”, confirme le gradé kinois qui avoue ne pas comprendre « comment on va pouvoir s’échapper de cette descente aux enfers ».
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