Doctrine nucléaire russe: Les frappes en profondeur de l’Ukraine et toute attaque contre la Biélorussie pourraient désormais déclencher une réponse atomique
Une doctrine nucléaire est un cadre stratégique établi par un État possédant des armes nucléaires, qui définit les principes, politiques et conditions régissant le déploiement, la dissuasion et l’éventuelle utilisation de son arsenal nucléaire.
Elle précise les circonstances dans lesquelles les armes nucléaires pourraient être employées, les objectifs visés, ainsi que les engagements en matière de non-prolifération et de sécurité internationale. L’objectif principal d’une doctrine nucléaire est de prévenir les conflits nucléaires en dissuadant les adversaires potentiels, tout en protégeant la souveraineté et les intérêts nationaux de l’État concerné.
En Russie, le président russe Vladimir Poutine a annoncé une série de mises à jour de la stratégie nationale d’utilisation des armes nucléaires, visant à répondre à l’évolution de la situation militaire et politique mondiale ainsi qu’à l’émergence de nouvelles menaces. Ces modifications interviennent dans le contexte tendu du conflit en Ukraine et des relations difficiles avec l’OTAN.
La question a été abordée lors d’une session du Conseil de sécurité russe mercredi dernier, à laquelle ont participé les ministres de la Défense et des Finances, ainsi que les chefs du SVR (Service de renseignement extérieur), du FSB (Service fédéral de sécurité), de Roscosmos (agence spatiale russe) et de Rosatom (agence nucléaire russe). Compte rendu officiel du Kremlin
“Aujourd’hui, la triade nucléaire reste la garantie la plus importante de la sécurité de notre État et de nos citoyens, un instrument pour maintenir la parité stratégique et l’équilibre des forces dans le monde”, a déclaré Poutine. Discours de Vladimir Poutine
1. Attaque par un “État non nucléaire”
La première mise à jour proposée à la politique d’État “élargit la catégorie des États et des alliances militaires” auxquels la dissuasion nucléaire s’applique, et “complète la liste des menaces militaires” que la dissuasion vise à neutraliser. Cela signifie que “toute agression contre la Russie par un État non nucléaire, mais avec la participation ou le soutien d’un État nucléaire”, sera considérée comme une “attaque conjointe”, franchissant ainsi le seuil nucléaire.
Bien qu’aucun pays n’ait été explicitement nommé, cette disposition s’applique clairement à l’Ukraine, si celle-ci frappe le territoire russe avec des armes fournies par les États-Unis ou d’autres alliés nucléaires de l’OTAN. Poutine a déjà déclaré que de telles frappes impliqueraient une participation active du personnel et des équipements militaires étrangers, les mettant en conflit direct avec la Russie. Analyse sur le site de France 24
2. Abaissement du seuil nucléaire
Les révisions proposées précisent également les conditions dans lesquelles la Russie peut recourir aux armes atomiques, à savoir “la réception d’informations fiables sur un lancement massif d’armes d’attaque aériennes et spatiales et leur franchissement de notre frontière d’État”.
Cela inclut non seulement les missiles balistiques traditionnels, mais également les armes hypersoniques et autres technologies avancées. Cette clarification vise à dissuader toute tentative d’attaque préventive ou surprise contre la Russie. Détails sur le site de RFI
3. Extension de la protection à la Biélorussie
Pour la première fois, la Russie a explicitement indiqué que sa dissuasion nucléaire pourrait être utilisée en cas d’agression contre la Biélorussie, membre de l’État de l’Union avec la Russie. Cela inclut une “menace critique à notre souveraineté” par l’utilisation d’armes conventionnelles, selon la proposition. Tout cela a déjà été convenu avec Minsk et le président Alexandre Loukachenko, a déclaré Poutine mercredi. Informations sur l’État de l’Union Russie-Biélorussie
Cette mesure renforce l’alliance militaire entre les deux pays et envoie un message clair aux pays voisins et à l’OTAN quant aux conséquences potentielles d’une agression contre la Biélorussie. Analyse de l’Institut français des relations internationales (IFRI)
4. Quelle était la doctrine précédente ?
Le document adopté en 2020 définissait quatre situations dans lesquelles Moscou pouvait activer la dissuasion nucléaire :
- Si elle recevait des “informations fiables” sur le lancement de missiles balistiques contre elle-même et/ou ses alliés.
- Si une arme nucléaire ou tout autre type d’arme de destruction massive était utilisée contre la Russie et/ou ses alliés.
- Si un ennemi agissait contre des “installations étatiques ou militaires critiques” pouvant perturber la réponse des forces nucléaires russes.
- Si la Russie subissait une attaque conventionnelle qui “menacerait l’existence même de l’État”.
Texte officiel de la doctrine nucléaire russe de 2020
5. Pourquoi ces changements sont-ils proposés maintenant ?
Plus tôt cette année, Poutine a déclaré que certaines mises à jour de la doctrine pourraient être nécessaires, compte tenu des nouvelles menaces émergentes de l’OTAN. Le vice-ministre des Affaires étrangères Sergueï Riabkov a décrit la doctrine existante en juin comme étant “trop générale” et a déclaré que l'”ignorance” occidentale obligeait la Russie à préciser “plus clairement, plus distinctement, plus définitivement ce qui pourrait se passer” si l’Occident poursuivait ses “actions inacceptables et escalatoires”. Interview de Sergueï Riabkov
Depuis mai, le gouvernement à Kiev a réclamé que les États-Unis et leurs alliés lèvent toutes les restrictions sur l’utilisation de leurs armes contre la Russie, ce que Moscou a clairement indiqué représenterait une implication directe de l’Occident dans le conflit. Article du Monde sur les demandes de l’Ukraine
Poutine a réitéré mercredi que l’utilisation des armes nucléaires reste une “mesure extrême” pour protéger la souveraineté russe, mais que Moscou doit prendre en compte le fait que la “situation politico-militaire moderne évolue de manière dynamique… y compris l’émergence de nouvelles sources de menaces militaires et de risques pour la Russie et nos alliés”. Déclaration de Poutine sur le site du Kremlin
Contexte international et réactions
Ces annonces surviennent dans un contexte de tensions accrues entre la Russie et l’Occident, notamment en raison du conflit en Ukraine qui dure depuis 2022. Les livraisons d’armes occidentales à l’Ukraine, y compris des systèmes avancés, ont suscité de vives réactions de la part de Moscou. Conflit en Ukraine : point de situation
Les pays de l’OTAN, de leur côté, accusent la Russie de menacer la sécurité européenne et mondiale par ses actions militaires et sa rhétorique nucléaire. Les experts internationaux craignent une escalade qui pourrait conduire à un affrontement direct entre la Russie et l’OTAN. Analyse sur le site de l’OTAN
Implications pour la sécurité mondiale
Les modifications proposées à la doctrine nucléaire russe pourraient abaisser le seuil d’utilisation des armes nucléaires, augmentant ainsi les risques pour la sécurité mondiale. En incluant des attaques par des États non nucléaires soutenus par des puissances nucléaires, la Russie élargit les conditions dans lesquelles elle pourrait recourir à son arsenal nucléaire.
Cela soulève des inquiétudes quant à la stabilité stratégique et à l’équilibre des pouvoirs, éléments cruciaux pour prévenir une confrontation nucléaire. Les experts appellent à des efforts diplomatiques pour réduire les tensions et éviter une nouvelle course aux armements. Rapport de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI)
La Russie cherche à adapter sa doctrine nucléaire aux réalités géopolitiques actuelles, en réponse aux actions perçues comme hostiles de l’OTAN et de l’Ukraine. Ces changements potentiels mettent en lumière les défis auxquels est confrontée la sécurité internationale et l’importance du dialogue pour éviter une escalade nucléaire.
Pour aller plus loin :
- Discours et déclarations officiels de Vladimir Poutine : Site du Kremlin
- Analyse de la doctrine nucléaire russe : Institut français des relations internationales (IFRI)
- Contexte du conflit en Ukraine : Le Monde – International
- Rapports sur la sécurité mondiale : Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI)
- Position de l’OTAN sur la dissuasion nucléaire : OTAN – Dissuasion nucléaire
Note : Cet article a été rédigé en se basant sur les informations disponibles jusqu’en septembre 2021. Pour les dernières mises à jour, il est recommandé de consulter des sources d’actualités récentes.
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