C’est un débat technique, mais capital au Sénégal. Une partie de la crise politique en cours se joue entre les lignes de la Constitution sénégalaise et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Ce mercredi 7 février, le ministre des Affaires étrangères Ismaïla Madior Fall, qui est agrégé de droit public et de sciences politiques, professeur des universités, a estimé que le Conseil constitutionnel ne pouvait pas être saisi du texte de loi constitutionnelle voté le 5 février par la majorité à l’Assemblée nationale.
« Le Conseil constitutionnel est compétent au Sénégal pour connaître des lois ordinaires, des lois organiques, mais pas des lois constitutionnelles, a indiqué le chef de la diplomatie sénégalaise chez nos confrères de France 24. Un juge constitutionnel ne contrôle pas les lois constitutionnelles. C’est une jurisprudence constante que le pouvoir constituant est souverain et qu’une loi constitutionnelle ne peut pas être contrôlée, a fortiori censurée par la juridiction constitutionnelle ». Concrètement : les recours engagés devant l’instance sont, selon lui, voués à l’échec.
Contacté par RFI, un autre spécialiste sénégalais, Sidy Alpha Ndiaye, lui aussi agrégé de droit public et professeur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, a une lecture complètement différente de la compétence du Conseil constitutionnel.
Selon lui, le Conseil est pleinement compétent. « Il y a une jurisprudence du 18 janvier 2006 du Conseil constitutionnel sénégalais, explique-t-il, qui dit qu’il est possible de contrôler une loi constitutionnelle si la loi constitutionnelle a été adoptée dans une période de crise (art.52 par exemple) ou si la loi constitutionnelle touche à une matière qui est considérée comme étant intangible, notamment la durée du mandat. » Et cet autre juriste d’estimer :
« La vérité du droit est de dire que, puisque cette loi de révision porte sur une clause d’éternité, elle peut et elle doit faire l’objet d’un recours. » En 2006, rappelle Sidy Alpha Ndiaye, le Conseil constitutionnel s’était déclaré incompétent, mais avait énoncé les critères suivant lesquels il aurait pu l’être, et notamment le non-respect de l’alinéa 7 de l’article 103 de la Constitution : « La forme républicaine de l’État, le mode d’élection, la durée et le nombre de mandats consécutifs du président de la République ne peuvent faire l’objet de révision. »
Il ajoute : « Quand on reporte l’élection, on touche fondamentalement à la durée du mandat. » 01:13 Sidy Alpha Ndiaye, agrégé de droit public et professeur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar Laurent Correau Le report est-il constitutionnel ? Le report du scrutin prévu le 25 février s’est-il fait dans le respect du droit constitutionnel ? Sur le fond, Ismaïla Madior Fall, estime que « la décision de décalage de la date de l’élection présidentielle […] jusqu’au 15 décembre 2024 s’est fait d’après la Constitution, dans le respect scrupuleux de la Constitution sénégalaise. »
Ministre sénégalais des Affaires étrangères répond à France 24 « Je ne suis pas non plus d’accord, répond Sidy Alpha Ndiaye. Le président de la République ne peut pas reporter une élection. C’est la Constitution qui prévoit les conditions de report d’une élection. Même l’Assemblée nationale ne peut pas reporter une élection. L’élection présidentielle au Sénégal ne peut être reportée que par le juge électoral suprême, le Conseil constitutionnel.
Il n’appartient qu’au Conseil constitutionnel de reporter une élection pour quelques jours (art. 29 de la constitution, art.34 de la constitution du Sénégal.) Nul autre organe n’a cette prérogative ». Le ministre a enfin indiqué dans l’interview à France 24 que le report du scrutin « n’est pas une initiative du président de la République » : « Le président de la République n’est pas l’auteur de cette proposition de loi, il n’en est pas l’initiateur ou l’inspirateur. Tout est parti d’une délibération parlementaire.
C’est le groupe parlementaire du PDS [le Parti démocratique sénégalais, de Karim Wade, dont la candidature avait été rejetée, Ndlr], qui est un parti d’opposition, qui a déposé la proposition de report de l’élection. » Ce 7 février s’est réuni un collectif composé de 13 des 20 candidats à la présidentielle. Ils dénoncent un coup d’État constitutionnel de Macky Sall pour reporter l’élection et se maintenir à un poste qu’il devait quitter à expiration de son mandat, le 2 avril prochain.
« Passé ce délai, Macky Sall ne sera plus reconnu comme président de la République. Il ne pourra poser aucun acte qui va engager le Sénégal », a déclaré Aly Ngouille Ndiaye, candidat et ancien ministre.
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