L’axe de l’hubris : Trump, Netanyahu et la décomposition géopolitique de l’Occident

Trump

Face à la folie interventionniste de Trump et à la manipulation stratégique de Netanyahu, l’Occident vacille, sans vision ni voix, au bord d’une guerre mondiale qu’il prétend encore éviter

Depuis que les États-Unis ont lancé une frappe préventive sur les installations nucléaires iraniennes, le monde assiste, une fois de plus, à la reconstitution tragique d’un scénario désormais bien rodé : une puissance militaire agissant dans l’urgence, guidée davantage par l’orgueil que par la raison, et une communauté internationale spectatrice, paralysée par son inconsistance stratégique. La différence cette fois ? L’ampleur du risque — car ce conflit n’est pas seulement une énième démonstration de force ; il pourrait bien devenir le prélude d’une conflagration mondiale.

L’attaque américaine, ordonnée par le président Donald Trump dans un climat de tension extrême entre Israël et l’Iran, a été décidée contre l’avis d’une partie de ses propres conseillers. Le geste en dit long sur l’état d’une superpuissance dirigée par impulsion, où la stratégie cède la place au narcissisme présidentiel. À travers ce coup de force, Trump impose son fantasme de puissance messianique, écrasant toute voix dissonante, réduisant la complexité du réel à une démonstration de feu destinée à flatter sa base et humilier ses ennemis.

Et pendant que la Maison-Blanche s’enferme dans sa logique du choc, les dirigeants européens – Emmanuel Macron, Ursula von der Leyen, Keir Starmer – brillent par leur silence. Face à l’événement, ils n’ont offert qu’une série de réactions tièdes, de formules creuses et de « préoccupations exprimées ». La scène géopolitique les renvoie à leur impuissance. L’Europe se contente d’endosser le rôle d’acteur secondaire dans une pièce écrite et dirigée à Washington et Tel Aviv.

Mais c’est la figure de Benjamin Netanyahu qui domine cette séquence avec un éclat particulièrement sombre. Depuis trois décennies, il construit sa carrière politique sur un récit d’apocalypse nucléaire. Depuis les années 1990, il proclame que l’Iran est à « quelques mois » de posséder la bombe. Aucune de ses alarmes n’a été confirmée. Aucun rapport du Mossad, aucune évaluation indépendante de l’AIEA, n’a jamais validé ses prédictions. Pourtant, il persiste, inlassablement. Il vend la peur comme d’autres vendent des armes : avec méthode, efficacité, et une absence totale de scrupules.

Netanyahu n’est pas un simple manipulateur politique. Il est l’architecte d’un univers narratif où l’angoisse existentielle d’Israël est utilisée comme levier diplomatique, et comme monnaie de chantage auprès des États-Unis. Washington ne soutient plus seulement un allié ; elle est désormais instrumentalisée par lui. Ce lien fusionnel entre la survie politique de Netanyahu et les leviers stratégiques américains transforme la politique étrangère des États-Unis en extension du survivalisme électoral israélien. Israël, jadis rempart occidental dans la région, devient un poids mort, un fardeau idéologique porté par des dirigeants qui ont perdu tout sens de la mesure.

Ce qui rend cette situation plus grave encore, c’est que l’obsession de Netanyahu pour l’Iran semble avoir fini par produire ce qu’elle prétendait éviter. En diabolisant sans cesse Téhéran, en torpillant l’accord sur le nucléaire iranien (JCPOA), en sabotant toutes les tentatives de dialogue, le Premier ministre israélien a contribué à pousser l’Iran vers la militarisation de son programme nucléaire. Une prophétie autoréalisatrice, née non pas de la stratégie, mais de la paranoïa.

Et pourtant, dans cette atmosphère de tension extrême, l’Iran, sous la direction de l’ayatollah Ali Khamenei, a pour l’instant répondu avec une prudence calculée. Le missile qui a frappé la base d’Al Udeid au Qatar n’était pas une escalade irréfléchie, mais une mise en garde mesurée, un rappel que toute attaque aura un coût. Il serait simpliste de présenter Téhéran comme un modèle de modération. Mais il serait tout aussi irresponsable de nier que la surenchère vient principalement de l’axe Washington-Tel Aviv.

Les conséquences de cette frappe américaine pourraient être incalculables. Si l’Iran choisit de riposter plus violemment, l’ensemble du Moyen-Orient pourrait basculer dans un conflit ouvert. Les bases américaines en Irak, en Syrie, au Koweït ou au Qatar seraient immédiatement visées. Le Hezbollah pourrait ouvrir un second front au nord d’Israël.

Les milices chiites pro-iraniennes, de la Syrie au Yémen, entreraient dans la danse. Ce serait la multiplication des fronts, l’effondrement du statu quo régional, et peut-être, l’engrenage d’un affrontement impliquant des puissances extérieures — Russie, Chine, États du Golfe. Ce qui se dessine n’est pas une guerre localisée, mais le brouillon d’une guerre mondiale.

Et face à cela, que propose l’Occident ? Rien. Ni vision de sortie de crise, ni architecture diplomatique alternative. Le multilatéralisme est moribond. L’ONU, paralysée. L’Europe, absente. L’Afrique, silencieuse. Les grands médias eux-mêmes participent souvent à la confusion en reproduisant les éléments de langage des chancelleries dominantes, en occultant les dynamiques profondes, en réduisant des conflits structurels à des récits binaires.

L’heure est venue de poser les questions que tous les faucons de guerre refusent d’entendre : que veut-on réellement obtenir par la force ? Que se passera-t-il une fois la poussière retombée ? Qui reconstruira ce que l’on aura détruit ? Et à quel prix ?

Les États qui s’engagent dans des conflits sans plan de sortie ne défendent pas leur sécurité. Ils sacrifient leur avenir. L’histoire l’a déjà démontré — en Afghanistan, en Irak, en Libye, au Sahel. La stratégie du chaos perpétuel est un leurre. Le leadership authentique ne se mesure pas à la quantité de bombes larguées, mais à la capacité d’éviter qu’elles soient nécessaires.

Le monde ne peut plus se permettre un nouveau cycle de destruction aveugle. Il est temps d’exiger des comptes. Il est temps de rompre avec les messies de la peur et les fauteurs de guerre en costume trois pièces. Car si nous ne reprenons pas la maîtrise de notre avenir collectif, nous en resterons les otages — condamnés à revivre les mêmes erreurs jusqu’à l’effondrement final.

@jean_marco_ban










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