Comment la Russie use de la désinformation pour s’implanter en Afrique

Comment la Russie use de la désinformation pour s’implanter en Afrique

Il ne fait guère de doute que la Russie a contribué à préparer les esprits au Niger au coup d’État qui a évincé le président Mohamed Bazoum. On observe aujourd’hui dans ce pays un phénomène déjà constaté en Centrafrique, au Burkina Faso, au Mali : l’expression d’une hostilité croissante de la population envers l’Occident et la France, en particulier, doublé d’un puissant courant de sympathie pour la Russie. C’est le drapeau de cette dernière que l’on voit flotter dans les manifestations qui se sont déroulées ou se déroulent dans les pays concernés. Et c’est de la Russie, incarnée sur le sol africain par la milice paramilitaire Wagner, que la population réclame la protection, contre les djihadistes, dans les pays où ils sont présents, mais aussi contre les forces françaises, présentées comme une force d’invasion agressive.

➡Vidéos anti-France

2 vidéos circulent pour décrédibiliser la France en Afrique et promouvoir Wagner comme solution. Difficile de dire si oui ou non ces vidéos sont téléguidées par des services russes, mais cela montre l’agressivité dans la désinformation.

12/23 pic.twitter.com/19WwBlNTjj

— Cartes du Monde (@CartesDuMonde) January 23, 2023

Le ressentiment qui peut exister contre l’ancienne puissance coloniale française ne suffit pas à expliquer cette situation. La Russie a allumé il y a quelques années en Afrique un feu de propagande et de désinformation, qu’elle entretient soigneusement. Dans un rapport publié en mai 2022, le Centre d’études stratégique de l’Afrique, qui dépend du Département américain de la Défense, dénombre une cinquantaine d’opérations de désinformations sponsorisées par la Russie menées dans 16 pays africains (1), dont les premières remontent à 2014, en Libye.

La désinformation russe poursuit plusieurs objectifs

Les objectifs visés par Moscou sont divers. Ils vont de la tentative façonner des récits servant les intérêts russes à celle de manipuler des élections en dénigrant et/ou en favorisant un parti ou un candidat, en passant par la diffusion de message qui jettent le discrédit sur des individus ou des institutions. locaux Il s’agit aussi de propager des discours ciblant la France, les États-Unis, l’Union européenne (UE), les Occidentaux en général et les Nations unies. Après avoir fait ses preuves en République centrafricaine, cette stratégie est menée tambour battant en Afrique de l’Ouest, l’ancien pré carré de la France, depuis 2020, avec le succès que l’on constate.

Depuis le début de l’année 2022, Moscou travaille aussi à diffuser sur le continent africain la vision du Kremlin, sur la guerre en Ukraine et ses conséquences. La Russie véhicule notamment dans les pays africains le message, trompeur et mensonger, que l’UE contribue à la pénurie alimentaire mondiale en frappant de sanctions les produits alimentaires et les engrais russes et en conservant pour elle les céréales ukrainiennes. Or, les produits et les engrais russes sont précisément exemptés de sanctions européennes et que c’est la Russie qui empêche l’Ukraine d’exporter sa production agricole via la mer Noire.

Des tactiques diverses

Les tactiques utilisées par la Russie pour ses opérations de désinformation en Afrique sont diverses : Moscou s’assure le concours d’acteurs locaux – des politiques, des personnalités du monde des affaires ou des influenceurs – ou de médias du pays pour porter sa voix. Les propagandistes russes s’appuient aussi sur des médias factices. L’ONG Reporters sans frontières pointait récemment qu’au Burkina Faso, un réseau de faux médias – a déclenché une campagne de dénigrement à l’encontre des deux journalistes françaises de Libération Agnès Faivre et Sophie Douce expulsées du pays et trois de leurs confrères burkinabé, après avoir révélé que l’armée locale était responsable du meurtre d’enfants et d’adolescents. Ces “médias” , dont CCB TV News et Wadjey’s TV, avaient en commun d’être liés au Groupe panafricain pour le commerce et l’investissement (GCPI) . Dirigé par le Burkinabé Harouna Douamba, décrit comme proche du patron de Wagner Evgueni Prigojine, ce groupe installé au Togo qui a fait ses armes médiatiques en Centrafrique, se targue de mettre en réseau une vingtaine de médias africains en ligne – dont les home pages sont étrangement semblables, comme la ligne éditoriale pro-Kremlin.

Comme ils le font en Europe et aux États-Unis, les propagandistes russes font également un large usage des réseaux sociaux. Un rapport publié en juillet 2023, l’ONG Reset.Tech fait état “d’un réseau coordonné d’au moins 57 pages Facebook qui diffusent et amplifient la propagande du Kremlin à destination du public africain francophone”. Ces pages auraient, ensemble, une base de 5,1 millions de followers. Pour appâter ceux-ci, ces pages commencent par présenter du contenu humoristique, puis se transforment en “faux médias”. En mars et juin de cette année, ce réseau aurait publié 11 700 posts qui auraient généré 9,2 millions d’interactions, selon la même source.

Reset Tech épingle également la chaîne Youtube, Ébène TV, active depuis 2021. Elle publie des contenus systématiquement anti-français et pro-russe à foison, en français – les textes sont dits par un logiciel sur fond d’images fournies par des médias russes comme Sputnik ou RT, ou par des vidéos volées de médias occidentaux, dont le sens est altéré par le commentaire. Une récente vidéo d’Ébène TV postée ce lundi diffuse ainsi la fausse information que la France tire sur les manifestants au Niger.

Les Européens assez démunis

Face à cette stratégie russe réfléchie et menée de longue date, les Européens apparaissent assez démunis. En France, le Service technique et opérationnel de l’État chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques (Viginum), travaille à débusquer les sites et comptes russes liés à la Russie ou à Wagner qui publient des contenus hostiles à la France. Déjà très active pour démonter la désinformation visant l’Europe, la division de communication stratégique du Service européen d’action extérieure devrait accorder une importance accrue à la lutte contre le phénomène en Afrique.

Les Occidentaux et les Européens semblent pour l’heure faire face à un problème difficilement soluble : ils interviennent quand le mal est et ne luttent pas à armes égales avec leurs adversaires, dont ils ne peuvent utiliser les méthodes pour riposter, sous peine de saper leur propre crédibilité. La bataille des récits est mal engagée.

(1) Afrique du Sud, Angola, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Ghana, Libye, Madagascar, Mali, Mozambique, Niger, Nigeria, République centrafricaine, République démocratique du Congo, Soudan, Zimbabwe

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