Trois semaines après le début des violences au Soudan, le pays s’enfonce chaque jour un peu plus dans la violence. Depuis ce jeudi 4 mai, Khartoum, la capitale, est en proie à des explosions et des tirs nourris incessants.
L’annonce d’un “accord de principe” pour prolonger jusqu’au 11 mai une trêve qui n’avait jamais vraiment été respectée a volé en éclat au rythme des affrontements violents qui se propagent dans des quartiers jusqu’ici plutôt épargnés de la capitale. Selon diverses organisations humanitaires, la plupart empêchées de travailler à cause de la violence des affrontements, des milliers d’habitants de Khartoum (plus de 5 millions) sont pris au piège dans des maisons sans eau ni électricité, avec de moins en moins de nourriture, le tout dans une chaleur étouffante.
Depuis le 15 avril, la guerre entre l’armée du général Abdel Fattah Al-Bourhane et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), du général Mohammed Hamdan Dagalo, a fait au moins 700 morts et 5 000 blessés, selon un bilan que tout le monde sait largement sous-évalué.
Les infrastructures hospitalières sont dépassées quand elles sont encore en état de travailler. Seuls 20 % des hôpitaux de la capitale fonctionnement encore. Dans la province du Darfour, où la situation était déjà très critique avant le début des hostilités, “la situation est un cauchemar”, selon un expert retranché au Tchad voisin. “Il est impossible de rester sur place, c’est trop dangereux, les factions rivales ne respectent rien.” “Le niveau de violence observé à Khartoum et au Darfour contre les civils et les humanitaires est inquiétant”, a expliqué à l’agence France Presse Sylvain Perron, de Médecins sans frontières.
Washington n’a rien vu venir
“Nous pouvons dire que nous n’avons pas réussi à empêcher” la guerre qui a pris l’ONU “par surprise”, a concédé ce mercredi Antonio Guterres, son secrétaire général. Il faut dire que quelques heures avant que les combats éclatent entre les deux généraux, les Nations unies et les États-Unis tentaient de négocier l’intégration des FSR à l’armée nationale, étape incontournable pour entamer la transition vers un gouvernement civil et donc la reprise de l’aide internationale, suspendue depuis le putsch de 2021.
Le quotidien américain The New York Times tire à boulet rouge sur ce qu’il qualifie de “naïveté de la diplomatie américaine”. “Il y a encore quelques semaines, les diplomates américains pensaient que le Soudan allait franchir une étape dans sa transition politique, avec un accord qui transformerait la dictature militaire en une vraie démocratie. Le Soudan avait pris valeur de test pour la politique étrangère du président Biden, qui a fait du soutien à la démocratie dans le monde entier un objectif central”, écrit le journal qui poursuit en expliquant qu’une semaine plus tard, ces mêmes diplomates “impliqués dans ces négociations se sont soudain retrouvés à fermer l’ambassade et à fuir secrètement Khartoum par hélicoptère, de nuit, tandis que le pays s’enfonçait dans une possible guerre civile.”
Pour un spécialiste des affaires africaines ayant travaillé à Washington, cité par The New York Times, “les États-Unis ont accordé trop de confiance à ce que leur racontaient ces généraux. Ces types n’ont cessé de nous dire ce qu’on voulait entendre”. La conséquence de ce qui apparaît aujourd’hui comme une erreur de jugement voire de la naïveté, c’est cette explosion de violence, l’impréparation des États-Unis et l’inévitable chaos qui fait les affaires des pires aventuriers au premier rang desquels, dans cette région d’Afrique, il faut placer les mercenaires russes de la milice Wagner qui avaient déjà pu “collaborer” avec les hommes du général Dagalo, notamment en Libye.
Des menaces sans lendemain
En fait, si Washington est montré du doigt dans ce dossier, c’est aussi pour son manque de cohérence. Après avoir menacé de sanctions les généraux responsables du coup d’État de 2021, la Maison-Blanche n’a pas mis ses menaces à exécution, préférant tenter de travailler avec les généraux plutôt que d’ouvrir un nouveau front.
Un “pragmatisme” largement critiqué aux États-Unis même si l’ancien émissaire américain pour la Corne de l’Afrique, Jeffrey D. Feltman, a expliqué qu’il n’était pas certain “que cela aurait changé grand-chose”. “Beaucoup d’experts estiment qu’une transition démocratique au Soudan était improbable et qu’imposer des sanctions aux généraux n’aurait pas été efficace”, confirme Josh Rogin, du Washington Post. “Pourtant, eux aussi disent que l’administration Biden a mal géré la situation. […] Elle aurait au moins dû chercher à influencer davantage la tournure des événements.”
Aujourd’hui, à la lecture de ce passé récent, les derniers messages menaçants du président américain n’ont eu aucun impact sur le terrain. “La tragédie […] doit cesser”, a-t-il lancé ce jeudi, en agitant des menaces de sanctions contre “les individus qui mettent en danger la paix” sans donner de noms.
Le Soudan s’enfonce dans une crise qui prend de plus en plus les allures d’une guerre civile partie pour durer. Une descente aux enfers dans un pays de 45 millions d’habitants qui voit déjà des flux migratoires importants se déverser dans les pays voisins qui cherchent eux-mêmes à se stabiliser après des crises importantes comme le Soudan du Sud ou l’Érythrée.
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