À Washington, dans les couloirs feutrés du pouvoir américain, la paix dans les Grands Lacs se négocie désormais comme un contrat d’affaires. Le 15 mai, Massad Boulos, conseiller spécial de Donald Trump pour l’Afrique, a confirmé avoir échangé personnellement avec les présidents Paul Kagame et Félix Tshisekedi autour d’un projet d’accord de paix censé mettre fin à trois décennies de conflit dans l’est de la République Démocratique du Congo. Les États-Unis, qui attendent un retour final de Kigali et Kinshasa d’ici ce week-end, espèrent finaliser l’accord dans les prochaines semaines.
“C’était très positif des deux côtés”, affirme Boulos, optimiste.
“Ils sont prêts à avancer avec nous, avec les Qataris et l’Union africaine.”
Mais derrière ce ton consensuel, les enjeux sont autrement plus complexes et explosifs. Car ce projet de paix survient dans un contexte où les troupes du M23 — soutenues par Kigali selon l’ONU — ont pris Goma en janvier, puis Bukavu quelques semaines plus tard, semant la mort, les déplacements massifs, et un climat de défiance généralisée.
Dans les coulisses de cette diplomatie américaine, deux priorités émergent :
la fin officielle d’un conflit meurtrier… et l’accès sécurisé aux minerais stratégiques de la région.
Coltan, or, cobalt, lithium : le sol congolais est une mine à ciel ouvert pour l’économie numérique mondiale. Et la paix, dans ce cadre, devient autant une nécessité humanitaire qu’un passage obligé pour les flux d’investissements occidentaux.
Le Processus de Washington, adossé au Processus de Doha déjà amorcé entre Kinshasa et le M23 sous médiation qatarie, vise donc un double objectif : désarmer la guerre tout en armant les circuits logistiques du marché mondial. Ce que Boulos appelle un “accord final” pourrait surtout être une restructuration géopolitique du Kivu, sous parrainage américain.
Mais la paix peut-elle vraiment s’improviser à huis clos, entre capitales étrangères et accords bilatéraux ?
Depuis le terrain, les frustrations montent. Des sources proches des négociateurs, tant du côté du gouvernement congolais que du M23, dénoncent la lenteur, l’ambiguïté des concessions, et le manque de transparence dans les clauses proposées.
Pendant ce temps, des centaines de milliers de civils errent sans abri dans le Nord et le Sud-Kivu, et les armes n’ont toujours pas totalement cessé de crépiter.
Peut-on vraiment faire la paix avec un groupe encore armé, et avec un voisin accusé d’en être le parrain officieux ?
Peut-on parler de paix durable sans procès, sans justice, sans mémoire des massacres, sans le désarmement réel des belligérants ?
Officiellement, Washington n’impose aucun calendrier. Mais Massad Boulos est clair : dès que le texte est finalisé, le secrétaire d’État Marco Rubio est prêt à accueillir les délégations. Objectif : signer un “document historique” en grande pompe, dans la capitale américaine.
Un geste fort, une photo puissante, un symbole… Mais pourquoi maintenant ? Pourquoi ce soudain empressement ?
Depuis l’arrivée de Trump, les États-Unis ont affiché une volonté stratégique de contrôler les chaînes d’approvisionnement en minerais critiques, afin de réduire leur dépendance à la Chine. Dans ce contexte, la stabilité de l’Est du Congo devient un enjeu commercial autant qu’humanitaire.
Paul Kagame, accusĂ© d’armer le M23 mais toujours reçu en grande pompe Ă l’étranger, n’a jamais Ă©tĂ© aussi proche de sortir blanchi d’un conflit dont les preuves de son implication s’accumulent. FĂ©lix Tshisekedi, affaibli sur le plan sĂ©curitaire mais pragmatique, voit peut-ĂŞtre lĂ une opportunitĂ© de reprendre la main sur un dossier qui l’use politiquement depuis deux ans.
Et pendant que les grandes puissances dessinent la paix Ă leur mesure, les Congolais, eux, attendent un cessez-le-feu qui ne soit pas un mirage.
Dans ce théâtre diplomatique, une question brûle les lèvres de ceux qui vivent la guerre :
la paix de Washington, est-elle une paix pour le Congo… ou un pacte pour les marchés ?
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