« C’est faisable mais ce seront certainement les élections les plus cochonnées de l’histoire de la République démocratique du Congo depuis 2006”, explique un membre d’une structure internationale installé à Kinshasa.
La promesse de Tshisekedi
L’élection présidentielle est toujours annoncée pour le 20 décembre 2023 malgré la situation sécuritaire très préoccupante dans l’est du pays et les immenses défis techniques et d’intendance qui se dressent devant les organisateurs de ces scrutins. Le président de la République Félix Tshisekedi ne cesse de répéter que les élections auront lieu à la date fixée. Le président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) Denis Kadima Kazadi ne dit rien d’autre. “En aparté, il répète aussi que certaines incertitudes, certains freins, notamment financiers, existent toujours mais que ces élections seront ce qu’on peut faire de mieux dans les conditions qui prévalent aujourd’hui au Congo”, explique un diplomate qui rappelle que “ce discours n’a rien de neuf. Il y a près de deux ans, de passage à Bruxelles, au Palais d’Egmont, M. Kadima avait déjà expliqué qu’il ne fallait pas espérer que ces élections soient sans faille. Rien n’a changé”.
Philippe Bronchain, le Monsieur Afrique subsaharienne du ministère belge des Affaires étrangères qui a rencontré cette semaine Denis Kadima à Kinshasa a expliqué, au sortir de cette réunion : « la CENI se montre rassurante dans sa capacité à mettre en place les élections. On vient évidemment l’écouter. Nous ne sommes pas une observation électorale nous n’en avons pas la capacité mais il est important pour nous de venir nous enquérir auprès du président de la CENI… »
Voir la déclaration de l’ambassadeur Bronchain.
Compte à rebours
Félix Tshisekedi, assis sur le siège présidentiel à la suite d’un “compromis à l’africaine”, selon les propos du ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian en février 2019, veut cette fois une victoire éclatante. Il a mis le prix pour espérer parvenir à ses fins en achetant les faveurs d’une majorité de parlementaires, en imposant son président de la Ceni et en modifiant profondément la Cour constitutionnelle pour y installer des hommes à lui.
Il sait que tout retard dans la tenue du scrutin impliquerait une nécessaire négociation avec l’opposition dont il sortirait inévitablement affaibli. Il permettrait aussi au clan de son prédécesseur Joseph Kabila de se remettre en selle. Aujourd’hui, cette famille politique du Front Commun pour le Congo (FCC) s’est mis hors-jeu en refusant de participer à ce scrutin présenté comme une mascarade. En cas de négociations pour repousser la date du vote, le président Tshisekedi devra inévitablement remettre cette famille dans le jeu.
Il donnerait aussi un nouveau souffle à une opposition qui peine aujourd’hui à s’organiser et il serait contraint de composer avec la première force de la société congolaise : l’Église catholique qui apparaît toujours comme le seul acteur capable de gérer ce type de négociations.
Un possible candidat unique ?
Dans ce grand jeu électoral, l’opposition congolaise espère toujours trouver un accord entre les principaux candidats. Le temps presse mais le constat était identique en 2018 face au clan Kabila. À l’époque, les ténors de l’opposition s’étaient réunis à Genève pour désigner leur champion. Martin Fayulu était sorti vainqueur et était rentré au pays drapé d’une nouvelle légitimité, malgré la défection de Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe qui, moins de vingt-quatre heures après avoir participé à ce processus désignation, avaient repris leur signature pour se lancer dans une campagne en duo.
Aujourd’hui, ils sont cinq à se retrouver sur la ligne de départ et à se parler pour trouver un consensus sur cette éventuelle candidature unique : Moïse Katumbi, Denis Mukwege, Martin Fayulu, Denis Sesanga et Augustin Matata Ponyo. Ce dernier, ancien Premier ministre de Kabila, rattrapé par la justice congolaise, risque d’être le premier – peut-être pas le seul – à être écarté de cette course. “On parle”, explique un proche de Sesanga. “Mais il faudra encore un peu de temps pour se mettre vraiment autour de la table”. “Il y a encore beaucoup d’incertitudes sur la qualification de certains candidats. Il serait suicidaire d’annoncer aujourd’hui notre ralliement derrière un candidat si celui-ci devait être rejeté par la justice pour quelque motif que ce soit”, ajoute un supporter de Martin Fayulu.
Seule évidence, si elle veut éviter de donner le prétexte de la dispersion des voix dans un scrutin à un seul tour, cette opposition doit parvenir à s’entendre, ce qui est loin d’être gagné d’avance. “Les ego, les frustrations ne vont pas faciliter ce choix. De cette capacité à se dépasser dépendra une grande partie du scrutin”, explique encore notre diplomate qui souligne “le coup de projecteur international dû à l’arrivée de Denis Mukweke. Le processus fera l’objet de plus d’attention, ce qui ne peut être que bénéfique… Peut-être pas pour le pouvoir en place.”
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