L’orage se fait de plus en plus menaçant sur l’est de la République démocratique du Congo et des vents violents ont déjà atteint Kinshasa, la capitale du pays, à plus de 1500 kilomètres du front entre les rebelles du M23 et l’armée congolaise. Là, sur la frontière ougandaise, à quelques kilomètres d’un poste-frontière rwandais, les affrontements se poursuivent, en mode apparemment mineur ces derniers jours, autour de la ville de Bunagana, dans le territoire de Rutshuru, dans la province du Nord-Kivu. La ville est tombée lundi dernier entre les mains du M23, mouvement présenté par les autorités congolaises comme “terroriste” et “soutenu ouvertement par le Rwanda”.
À Kinshasa, face à cette confrontation qui s’intensifie avec Kigali, certaines voix se sont fait entendre pour lancer une “chasse aux Tutsis” qui rappelle des événements similaires remontant à la toute fin du XXe siècle, quand le chef de la diplomatie de Laurent Désiré Kabila, Abdoulaye Yerodia, disciple de Lacan, avait appelé les Kinois à se lancer à la chasse aux indésirables, aux “cloportes”, les “Inienzy” en lingala, contre les mêmes Rwandais qui avaient aidé au renversement du régime du maréchal Mobutu.
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La semaine dernière, certains discours, prononcés notamment par un des leaders des “parlementaires debout” de l’UDPS, citant les lieux où se trouvent certains rwandophones, ont été de vrais appels aux meurtres. Ce week-end, des membres d’une “Brigade spéciale de l’UDPS/Force du progrès”, chemise brune, ont été vus et largement filmés en train de “patrouiller” dans les rues de la capitale, armés de machettes, arrêtant en toute impunité les véhicules à la recherche de “Rwandais”. Dans les églises du réveil, certains “pasteurs” sont apparus en tenue militaire et ont encouragé leurs ouailles à dénoncer les “Tutsis”… Certains cas d’exécutions sommaires ont été rapportés, comme dans la commune rurale de Kalima, à une centaine de kilomètres de Kindu, dans la province du Maniema, où un “sujet rwandais a été assassiné et son corps brûlé”, selon un témoin, vidéo insoutenable à l’appui. Plusieurs sources dénoncent le fait que cet homme a été “victime de sa morphologie”. Une dangereuse poussée de fièvre raciste que le pouvoir congolais ne semble pas chercher ou n’est pas capable de canaliser.
Dans ce climat d’hypertension, le Kenya, qui préside actuellement l’association des pays de l’Afrique de l’Est (EAC), dont font partie le Rwanda et la République démocratique du Congo, a convoqué un sommet régional des sept chefs d’État (Tanzanie, RDC, Rwanda, Sud-Soudan, Burundi, Ouganda, Kenya) pour ce lundi pour discuter de la situation sécuritaire dans l’est de la RDC, selon le communiqué de la présidence kényane.
Semaine cruciale, région divisée
Le président kényan Uhuru Kenyatta, vu comme très proche de Félix Tshisekedi (c’est à Naïrobi que ce dernier, flanqué de Vital Kamerhe, a lancé sa campagne pour la présidentielle de 2018), a aussi appelé mercredi dernier au déploiement d’une force régionale dans l’est de la RDC afin d’y rétablir la paix. “La Force régionale de l’Afrique de l’Est doit être déployée immédiatement dans les provinces d’Ituri, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu afin de stabiliser la région et de rétablir la paix”, avait-il expliqué.
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Des chefs militaires régionaux de l’EAC planchent jusqu’à ce lundi sur les modalités de ce déploiement qui s’annonce très compliqué.
En fin de semaine, le gouvernement congolais a en effet refusé que le Rwanda participe à cette force régionale qui doit être déployée sur son sol. Le Rwanda est membre de l’EAC et la RDC a rejoint l’organisation en 2022. “La sécurité continue à se détériorer dans l’est, fondamentalement parce que le Rwanda essaie d’occuper notre pays, riche en or, coltan et cobalt, pour son propre profit. C’est une guerre économique pour le contrôle des ressources, menée par des gangs terroristes du Rwanda”, a expliqué pour sa part le président congolais.
Félix Tshisekedi a aussi appelé la communauté internationale, “en particulier les États-Unis et le Royaume-Uni”, à “condamner cette invasion” et à faire pression sur le président rwandais Paul Kagame pour qu’il “rappelle ses troupes qui ont envahi l’est du Congo”.
Sommet du Commonwealth
Ces négociations au sein de l’East African Community se dérouleront parallèlement au 26e sommet du Commonwealth, qui doit se tenir de ce lundi soir au 25 juin… à Kigali.
Paul Kagame espérait faire de ce sommet une vitrine mondiale pour son pays. L’actualité ne le lui permettra pas, mais il paraît peu probable que l’EAC parvienne à constituer une force régionale sans le Rwanda, qui représente ce qui se fait de mieux militairement dans la région, d’autant que le mouvement anti-Tutsi qui émerge en RDC a aussi le don d’irriter le pouvoir ougandais qui, après avoir soutenu le régime congolais, semble ces derniers jours fermer les yeux sur les actions du M23 et de ses éventuels “sponsors” sur sa frontière avec la RDC. L’est du Congo est au bord d’une nouvelle guerre régionale. Les errances du pouvoir congolais, ses promesses ingérables faites à tous ses voisins ont autant aiguisé les appétits que fait naître des frustrations et aucun scénario avancé aujourd’hui ne semble capable de faire retomber vraiment cette fièvre.
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