Deux semaines que Salomon Kalonda, le conseiller spécial de Moïse Katumbi, a été interpellé de façon très violente sur le tarmac de l’aéroport international de N’djili, le 30 mai dernier.
”Un vrai rapt”, pour ses avocats qui ont dû attendre plus de dix jours pour pouvoir rencontrer leur client lors de son audition à l’auditorat militaire samedi 10 juin après-midi. “Et encore, c’est grâce aux réseaux sociaux que nous avons pris nos toges et sauté dans nos voitures pour venir à l’auditorat. Nous n’avons jamais été avertis officiellement”, poursuit l’avocat.
Salomon Kalonda est accusé entre autres par les services des renseignements militaires de collusion avec le Rwanda et la rébellion du M23 “pour renverser le président Félix Tshisekedi au profit d’un ressortissant de la région du Katanga”.
En RDC, avec les élections législatives et présidentielles qui se dessinent, il n’est guère compliqué d’imaginer que ce “ressortissant du Katannga” s’appelle Moïse Katumbi, ancien gouverneur de cette province érigé en bête noire du régime.
Depuis de longs mois, Félix Tshisekedi et son équipe de communication ont élaboré une approche des scrutins à venir qui consiste à fédérer l’opinion publique congolaise autour d’un sentiment d’unité contre le Rwanda, présenté comme le responsable de tous les maux du pays. Depuis de longs mois, le président et a sa suite font le siège des principales chancelleries pour tenter de les sensibiliser sur la question et bâtir un front anti-rwandais.
Où sont les sanctions ?
Sur le plan intérieur, cette politique marque des points. Félix Tshisekedi apparaît pour beaucoup comme “le premier président à oser tenir tête à Kagame”, comme l’explique Patrick, un Kinois originaire de la province du Kwilu. De nombreux Congolais espèrent aujourd’hui en découdre militairement avec le régime rwandais. Dans le premier cercle de la présidence, ce message belliqueux revient comme une antienne. “Le président sait qu’il tient un élément de langage qui parle à de nombreux Congolais”, explique un politologue qui ajoute : “le discours de son ministre de la Communication est bien rodé. Depuis plus d’un an et demi, il frappe sur le même clou anti-rwandais. Le souci, c’est que le scrutin est en décembre, soit dans plus de six mois. C’est encore long. Le pouvoir aura passé la moitié de son quinquennat à dénoncer le Rwanda. Il a obtenu des condamnations mais aucune sanction n’est tombée sur Kigali malgré les appels répétés du président de la République à tous ses interlocuteurs”.
RDC : Répression de l’opposition, « la diplomatie du bisou ne suffit pas »
Les parlementaires belges qui ont rencontré le président Tshisekedi à Kinshasa à la toute fin du mois de mai le confirment. “Lors de notre entretien de deux heures, le président Tshisekedi a appelé à ce que la Belgique et l’Union européenne sanctionnent le Rwanda pour son rôle dans la déstabilisation de l’est”. Mais rien ne se dessine. Pire, pour Kinshasa, Kigali a été officiellement désigné ce lundi comme siège de l’Agence africaine du médicament. “Ce n’est pas vraiment un régime de sanction de la part des autres pays africains contre le pouvoir de Kagame”, sourit notre politologue qui craint un raidissement de Kinshasa sur ce front de l’Est. “Le statu quo actuel est un échec pour le pouvoir congolais qui ne peut se prévaloir d’un quelconque bilan économique ou social.” Dans ce contexte, la mobilisation de plus en plus visible à Goma (Nord-Kivu) de centaines d’hommes blancs armés jusqu’aux dents renforce le sentiment que Félix Tshisekedi pourrait être tenté d’engager une vraie confrontation avec son voisin rwandais avant le scrutin.
Katumbi à tout prix
La question rwandaise est donc au centre de toute la stratégie électorale en RDC. “La volonté d’impliquer le conseiller de Katumbi dans une quelconque affaire avec le Rwanda fait partie des plans du pouvoir pour discréditer la pièce maîtresse de l’opposition qu’est Moïse Katumbi”, poursuit un observateur européen installé à Kinshasa.
L’ancien gouverneur du Katanga apparaît une fois de plus comme le principal adversaire du pouvoir congolais. “Il a conservé une bonne dose de popularité et, surtout, il dispose de l’assise financière pour mener une campagne présidentielle dans tout le pays contrairement aux autres candidats potentiels”, poursuit notre observateur. Tshisekedi le sait très bien, lui qui a bénéficié du soutien du “chairman” quand il vivait encore chichement en Belgique. “C’est aussi ce que paie Salomon Kalonda qui sait tout de ce soutien discret”.
Dans ce dossier, les pièces à charge du conseiller de Katumbi apparaissent très fragiles (quelques sms automatiques envoyés par l’opérateur téléphonique local qui montrent qu’il s’est rendu dans la région). Le pouvoir kinois est conscient des limites de ce dossier, ce qui explique la tenue d’une réunion de travail discrète en fin de semaine dernière au ministère des Affaires étrangères où étaient conviés quelques ambassadeurs parmi lesquels les diplomates belges, français, chinois ou angolais. En présence des ministres des Affaires étrangères, de la Communication et du patron des renseignements, le général Ndaywel, les diplomates ont eu droit à une présentation des éléments à charge de Salmon Kalonda. Objectif, les mettre dans la confidence et éviter une levée de boucliers de ces diplomates dans un dossier sensible. Ces diplomates sont sortis très dubitatifs de cette présentation qui rappelait une mission similaire, à charge de Katumbi, sous le régime Kabila. “Les vieilles méthodes ont la peau dure mais ce qui n’avait pas marché contre Katumbi, ne semble pas marcher contre son conseiller”, explique un diplomate, surpris par “ce modus operandi et la pression que tente d’imposer le gouvernement congolais sur les ambassadeurs. Si tout le monde n’a pas été convié, il n’a pas fallu longtemps pour que les téléphones chauffent entre diplomates. Une opération clairement contre-productive ”.
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