”C’est la même musique et les mêmes chants entendus au début des années 90”, explique l’avocat Bernard Maingain, un des avocats de ce collectif mis sur pied pour défendre les droits des Tutsis de la République démocratique du Congo et, surtout, “tenter d’éviter un nouveau génocide” dans cette région des Kivu, frontalière du Burundi, du Rwanda et de l’Ouganda.
Depuis le milieu des années 90 et le génocide des Tutsis rwandais, la tension entre les communautés dans l’est de la RDC n’a peut-être jamais été aussi intense. Depuis un an, le M23, mouvement rebelle composite mais essentiellement mené par des Tutsis congolais, a repris les armes. En 2013, après avoir occupé quelques jours Goma, la capitale du Nord-Kivu, les combattants de ce mouvement rebelle ont accepté de se replier sur le Rwanda et l’Ouganda à la demande des chefs d’État de la région en attendant des négociations pour faire entendre leur revendication avec les autorités de Kinshasa. Des négociations qui n’ont jamais débuté que ce soit sous Kabila ou sous Tshisekedi. En décembre 2021, face à l’impasse qui se dessinait, des factions ont repris les armes et un nouveau front s’est dessiné au Nord-Kivu opposant la résurgence du M23 aux militaires des Forces armées de la RDC.
Le M23 accuse l’armée régulière congolaise de s’associer à des milices d’autodéfense Maï-Maï et des troupes du Front démocratique de libération du Rwanda (FDLR), essentiellement hutu. Kinshasa, de son côté, ne voit dans ce M23 qu’une succursale du pouvoir tutsi du président rwandais Paul Kagame, lui niant toute légitimité congolaise.
Une approche qui empêche tout dialogue et qui cristallise tous les excès, notamment sur les réseaux sociaux où plusieurs activistes clairement identifiés appellent “au massacre” de tous les Tutsis, systématiquement assimilés à des Rwandais “qui doivent être renvoyés coûte que coûte chez eux”. Une plainte a été déposée en décembre 2021 en Belgique, avec constitution de partie civile. Les avocats sont mandatés par trois survivants d’un pogrom mené à Kalima, non loin d’Uvira dans le Sud-Kivu. Des exactions dûment documentées aussi par des experts des Nations Unies.
Atrocités au Sud-Kivu (RDC): un collectif d’avocats a rédigé des plaintes
”En Belgique mais aussi au Canada, aux États-Unis et dans d’autres pays de l’Union européenne, nous avons découvert de nombreux messages de haine”, explique Me Maingain, qui livre tout une série de publications sur différentes plateformes. “Nous avons toutes les preuves. Il y a des appels au meurtre, d’autres à des transferts d’argent pour des milices comme celle de Yakatumba. Envoyer des sommes, même modiques, à ces gens s’apparente à un soutien au terrorisme.”
En République démocratique du Congo, le président Félix Tshisekedi a plusieurs fois condamné ces agissements. “Mais condamner ou dénoncer ne suffit pas”, explique l’avocat Jean-Paul Shaka qui officie à New York où des plaintes devraient être déposées prochainement. “Le gouvernement congolais doit réprimer ces criminels. Il faut imposer la loi et l’état de droit sur toute l’étendue du pays. Ce qui se passe aujourd’hui est le fruit de longues années d’impunité. Il faut désormais des procès publics. Tant que la justice n’est pas dite, on peut avoir le sentiment que le gouvernement encourage cette violence”.
Impunité
Des violences à l’égard des Tutsis congolais largement documentées par le collectif. Il est question d’insultes, de menaces physiques, d’attaques contre les biens de ces personnes (souvent leur bétail) mais aussi des meurtres à l’arme blanche, des personnes ont été brûlées vives et, dans la province du Maniema, un cas d’anthropophagie a même été filmé.
La violence de ces attaques, la virulence de ces écrits, des propos de ces “activistes” qui s’affichent ouvertement démontre une absence de crainte des sanctions des autorités. “Le Congo entre dans une année électorale et on a le sentiment que cette haine est instrumentalisée”, explique un Congolais du Sud-Kivu interrogé, ce mardi, sur ces violences à répétition contre une communauté “qui est installé au Congo depuis bien avant la création de cet État par les Belges”.
En 2022, ce qui s’apparente à une “chasse aux Tutsis” a même atteint la capitale Kinshasa. Au printemps dernier, alors que le M23 progressait à l’est du pays, des membres de l’UDPS, le parti présidentiel, ont lancé des patrouilles de contrôle sur les routes de la capitale. Munis de machettes, ces “mouvements citoyens” nés avec la bénédiction du pouvoir s’arrogeaient le droit de contrôler les occupants des véhicules à la recherche de Tutsis. Une “chasse au faciès” à laquelle le pouvoir a rapidement mis fin sans que les auteurs soient poursuivis, renforçant une fois de plus ce sentiment d’impunité qui interroge sur la volonté réelle du pouvoir de mettre un terme à “ces agissements annonciateurs d’un retour du génocide”, comme le dit un des avocats engagés au côté de ces Tutsis congolais.
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