William Ruto, le nouveau président kényan, est arrivé à Kinshasa dimanche soir pour une visite de moins de 24 heures et une rencontre ce lundi matin avec son homologue congolais Félix Tshisekedi. Une visite qui s’inscrivait dans la foulée du passage à Kinshasa, mais aussi dans les provinces de l’est, fin de semaine dernière, de l’ancien président kényan Uhuru Kenyatta, bombardé facilitateur de la Communauté des États d’Afrique de l’Est (EAC) pour la paix dans l’est de la République démocratique du Congo.
Dans un communiqué publié samedi 19 novembre, l’EAC expliquait que Uhuru Kenyatta et le président rwandais Paul Kagame avaient convenu par téléphone “de la nécessité d’un cessez-le-feu immédiat”. Dans le même communiqué, on pouvait lire que Paul Kagame avait aussi accepté d’aider Uhuru Kenyatta à “inciter” le M23 à déposer les armes et à se retirer des territoires occupés. Sur le terrain, samedi, une accalmie se dessinait qui pouvait laisser penser que l’appel conjoint avait été entendu. Dimanche, les armes retrouvaient de la voix alors que des pourparlers entre le gouvernement congolais et les groupes armés devaient commencer ce lundi à Nairobi.
William Ruto et Félix Tshisekedi se sont rencontrés pendant plus d’une heure hier matin. À la sortie de cet entretien, pas un mot sur d’éventuelles négociations. Le président kényan se contentant de confirmer l’envoi de troupes (900 hommes) en RDC avec un mandat d’“imposer la paix” aux groupes armés récalcitrants.
Un défilé présidentiel en vain
Félix Tshisekedi n’a pas infléchi sa position, il refuse de s’asseoir à la table des discussions avec le M23. Les efforts du président angolais, de l’ancien et de l’actuel présidents kényans, de la communauté des États d’Afrique de l’Est auront été vains. Le président congolais ne veut et ne peut négocier avec le M23, un groupe rebelle qu’il a toujours présenté comme “terroriste” (“négocier directement avec le M23 serait vécu comme une humiliation, notamment par sa famille politique de l’UDPS”, explique un élu de l’Est). “Depuis des semaines, le président se construit une image de chef de guerre en faisant un amalgame entre Kigali et le M23”, explique un politologue congolais. “Il a chauffé la population congolaise, presque naturellement hostile au Rwanda de Paul Kagame. Il a laissé croire, en appelant à la mobilisation du peuple contre cet ennemi, en faisant intervenir les deux seuls avions dont il dispose, qu’une guerre allait être engagée et gagnée sur le terrain. Or, on voit dans les faits que l’armée congolaise ne peut arrêter le M23”.
Une armée congolaise que Félix Tshisekedi a pourtant remodelée récemment, notamment pour tenter de répondre à ce défi de l’est mais sans résultat jusqu’ici. “Les militaires qui sont arrivés pour se battre sur le front viennent désormais du grand Kasaï et de l’Équateur. Ils ne connaissent pas le terrain, ce qui explique aussi les difficultés”, explique un chef coutumier de l’ancien grand Kivu.
“Le président de l’UNC Vital Kamerhe a présenté un plan de sortie de crise à son retour de sa tournée dans l’Est”, explique de son côté Juvénal Munubo, élu UNC du Nord-Kivu. “Il était question d’une réorganisation de l’armée et d’un plan régional qui appelait à une négociation entre Kinshasa et Kigali. Même si la population souhaite majoritairement une confrontation militaire et une victoire comme en 2013, force est de reconnaître que ça ne se présente pas bien sur le terrain. Il reste donc la piste de la négociation avec le Rwanda et même l’Ouganda, préférable à une négociation avec les groupes armés pour trouver une solution à la crise actuelle et aux crises futures.”
À condition que le Rwanda et l’Ouganda acceptent de jouer le jeu individuellement. Les signes envoyés par Kigali et Kampala au travers de l’EAC ne sont pas des garanties de l’ouverture d’un dialogue entre États.
À condition aussi que ces deux États puissent engager pleinement le M23, ce dont doutent plusieurs observateurs qui pointent du doigt les frustrations nées en 2013 lorsque le “premier” M23, héritier du CNDP, avait accepté de quitter ses positions congolaises sur base des promesses des présidents Museveni et Kagame, notamment sur le retour dans “leur Congo” de ces “rebelles”. Des promesses sans lendemain qui ont valu des tensions dans les deux pays et que n’ont pas digérées les rebelles d’aujourd’hui. Tshisekedi, lui, a pu faire taire les critiques et mettre sous l’éteignoir son bilan désastreux jusqu’ici grâce à sa position de chef de guerre. Mais il reste 13 mois avant la présidentielle. Et cette posture ne pourra tenir jusqu’en décembre 2023. Une pression internationale est nécessaire pour ouvrir un dialogue sous peine d’une longue descente aux enfers et d’un isolement dangereux du pouvoir congolais.
Soyez le premier à commenter