“Un président ne devrait pas dire ça”, souriait un membre d’une agence internationale en poste à Kinshasa paraphrasant le livre de deux journalistes français sur François Hollande, au lendemain de la sortie de Félix Tshisekedi, le mois dernier à New York.
En marge de l’Assemblée générale des Nations unies, le président congolais avait expliqué que certains responsables de l’ancien pouvoir en République démocratique du Congo auraient été tentés de lui disputer sa victoire lors de la présidentielle de 2018.
RDCongo : Le président ranime le débat sur sa « victoire » à la présidentielle de 2018
Sûr de son effet, le président Tshisekedi lançait même deux noms de pontes de la kabilie, Néhémie Mwilanya, le directeur de cabinet de Joseph Kabila, et Raymond Tshibanda, ancien ministre des Affaires étrangères. Les deux hommes auraient finalement reconnu la victoire de l’opposant.
À trois mois d’un scrutin présidentiel programmé pour le 20 décembre, le chef de l’État rallumait ainsi, de sa propre initiative, les questions jamais tout à fait enterrées autour des résultats de ce scrutin de 2018 dont il a émergé devant l’autre opposant Martin Fayulu… sans que le moindre P.V. d’un seul bureau de vote n’ait été publié.
Quelques jours après cette sortie, Corneille Nangaa, président de la Commission électorale nationale indépendante en 2018, devenu opposant politique, exilé en Afrique de l’ouest, se fendait d’un courrier démentant la version new-yorkaise du président Tshisekedi. Il affirmait que cette victoire était le fruit d’un accord politique signé entre Tshisekedi et son prédécesseur sous le regard de témoins des deux camps et avec l’assentiment de trois chefs d’État du continent. Corneille Nangaa se présentait comme un des corédacteurs de ce texte baptisé “Accord pour la stabilité de la République démocratique du Congo”.
Les exilés ont la parole
Quelques jours plus tard, le week-end dernier, comme un second élément d’une contre-offensive qui ne demandait qu’à se mettre en branle, c’était au tour du général John Numbi, ancien inspecteur général des Forces armées congolaises, d’apparaître dans une vidéo d’une dizaine de minutes. Dans ces images qui ont largement circulé en RDC et dans les chancelleries, l’homme, porté déserteur et qui serait en exil au Zimbabwe, apparaît en tenue militaire. Il explique à son tour que Félix Tshisekedi doit son accession au pouvoir à un accord politique, ce que le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian avait évoqué comme “une espèce de compromis à l’africaine”, en février 2019.
Selon ses propos, outre les chefs d’États qui ont cautionné ce texte, des militaires étaient aussi présents, John Numbi était du nombre, il cite par ailleurs les noms de deux autres haut gradés, décédés depuis cet accord : les généraux Delphin Kahimbi et Tim Mukuntu. Chaque formation politique avait aussi amené trois témoins : deux hommes de Joseph Kabila (Tshibanda et Néhémie) ont été cités à New York par Félix Tshisekedi. Dans le camp du parti Cap pour le Changement emmené par le futur chef de l’État, on retrouvait notamment un homme politique récemment promu ministre et un ancien conseiller à la présidence invité à quitter son poste il y a quelques mois.
La sortie de John Numbi ne se limite pas à évoquer cet accord, il suggère au chef de l’État de faire un pas de côté et appelle les militaires à ne plus se soumettre aux “antivaleurs” de l’actuel président de la République. Il déclare : “l’armée et la police ainsi que toutes les forces de défense du pays ne sont plus liées au devoir d’obéir…”
Après avoir évoqué ses critiques sur le processus électoral en cours, sur le repli du pouvoir sur “une seule ethnie”, le général, sous sanctions américaines et européennes, évoque la possibilité de “barrer la route à Félix Tshisekedi” avant de lancer : “seul le fabricant du monstre est capable de le détruire. Autant nous lui avons donné le pouvoir, autant nous sommes capables de le reprendre de gré ou de force.”
“Faux bruits”
Face à cette double sortie, le président de la République reste silencieux, lui qui aime tant les joutes verbales. La justice congolaise, elle, qui a placé sous mandat d’arrêt depuis le 8 septembre le journaliste Stanis Bujakera pour “propagation de faux bruits” et “diffusion de fausses informations” à la suite d’articles qu’il n’a pas signés dans le magazine Jeune Afrique, n’a intenté aucune action ni contre Corneille Nangaa, ni contre le général Numbi…
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