Ce jeudi, à l’occasion de la rencontre avec la jeunesse congolaise au stade des Martyrs de Kinshasa, à portée de voix du parlement, des milliers de jeunes ont scandé “Fatshi oyebela Mandat esili” (“Fatshi, sache-le, ton mandat est fini”).
Le pouvoir de Félix Tshisekedi, qui espérait transformer cet accueil du pape François en terres congolaises en une démonstration de force de sa “diplomatie galopante”, en est pour ses frais. Le message du pape a revigoré une Église catholique qui semblait à bout de souffle ces derniers mois. “Nous espérons des mots justes pour nous redonner confiance”, nous expliquait dimanche soir, à la veille de l’arrivée du Saint-père à Kinshasa, un évêque congolais, qui avouait : “on est un peu fatigué. On a lutté au côté du peuple pour la démocratie en prenant des risques sous Kabila. On a lutté pour la vérité des urnes et on se retrouve avec un régime qui est entre les mains d’un ancien opposant devenu peut-être pire que son prédécesseur. C’est terriblement usant”.
Quelques heures plus tard, après le premier discours “percutant” du pape face aux autorités et au peuple de Kinshasa, le ton a changé : “François a tout dit… dans les formules de la diplomatie vaticane”. “Il y aura bien un avant et un après voyage du pape au Congo”, explique un prélat.
”Le message du pape démontre que la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) a fait un bon travail en amont, explique Jean-Claude Mputu, politologue et chercheur congolais. François a bien été briefé. Son discours transpire de cette connaissance. Ses mots sont justes et il n’épargne personne. La communauté internationale en prend pour son grade sur l’exploitation des richesses du pays. Le pouvoir, corrompu, affairiste et tribaliste, n’est vraiment pas épargné. Le seul gagnant, c’est le peuple”, poursuit-il, jugeant : “il est réconforté, il retrouve de l’énergie pour se battre. La machine est relancée”.
La société civile au centre du combat
Cela signifie-t-il que la Cenco se retrouvera au centre du combat comme en 2016 face au président Joseph Kabila ? “Pas forcément, poursuit Jean-Claude Mputu pour qui ce rôle moteur pourrait revenir “aux laïcs catholiques et protestants associés aux mouvements citoyens.”
Mais les témoins de ces derniers jours à Kinshasa témoignent tous du changement de ton “à différents niveaux de la société”. L’Église catholique, jugée moribonde, a prouvé qu’elle était toujours une des forces essentielles de ce pays. “C’est une institution millénaire, continue M. Mputu. L’Église a son temps. Personne n’a oublié les injures qu’elle a reçues suite à sa position face à la désignation par le pouvoir du président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) Denis Kadima. Personne ne peut oublier que la résidence du cardinal a été caillassée par les supporters du pouvoir, c’est unique, c’est gravissime. Aujourd’hui, elle a remis les choses au point”.
Le cardinal sort renforcé
Ce voyage papal permet aussi au cardinal Ambongo, le successeur de Laurent Monsengwo, de reprendre sa position centrale sur l’échiquier national. L’homme, originaire de l’Équateur, s’est souvent montré très critique face au pouvoir tout en étant moqué par celui-ci et pointé du doigt par les diplomates en poste à Kinshasa pour qui il était mal venu de critiquer le patron de la Ceni. “Pour nombre de diplomates, l’essentiel est d’organiser les élections dans le respect du calendrier. La qualité importe peu”, explique un expert électoral qui avoue “son plaisir d’entendre les mots du pape. Il va obliger tout le monde à se remettre sur de bons rails. On ne peut pas faire n’importe quoi au nom d’un statu quo qui arrangerait tout le monde sur le dos du peuple. C’est insupportable. Oui, il faut avoir un regard critique sur l’organisation de ce scrutin. Oui, il faut oser dire qu’on va droit dans le mur.”
Trop souvent, la communauté internationale n’a présenté que deux options pour ce scrutin. Le premier prévoit le respect du calendrier comme élément essentiel et tant pis si tout est loin d’être parfait. En cas d’échec, le peuple congolais devrait accepter le second scénario qui consiste en un report du scrutin (glissement) avec une transition emmenée par le pouvoir actuel. “C’est se moquer ou, du moins, faire peu de cas du peuple congolais”, explique un activiste qui prône, en cas de non-organisation du scrutin dans les temps, “une vraie transition” sans accepter de laisser le président en place. “Ce serait un chèque en blanc pour ceux qui ne respectent pas les lois et le peuple”. “C’est le message du cardinal qui n’a parlé essentiellement que de deux choses : la souffrance du peuple et la nécessité d’avoir des élections libres et transparentes”, enchaîne Jean-Claude Mputu. Deux semaines avant l’arrivée du pape, catholiques et protestants ont remis un rapport intermédiaire sur les préparatifs électoraux qui fustigeaient le travail de la Ceni. Forts du message papal, catholiques et protestants, qui représentent approximativement 80 % des Congolais, sont appelés à mettre la pression sur un pouvoir qui tente d’organiser son maintien aux affaires “Il n’y aura plus de temps mort”, souligne Jean-Claude Mputu qui s’attend à ce que la pression populaire s’intensifie dès les prochains jours. “La marche de manœuvre de Tshisekedi est limitée, poursuit notre expert électoral. Le cardinal, lui, est intouchable. Il est la figure du pape en RDC et François a dit au visage du monde ce que le cardinal était le seul à dire jusqu’ici. Il est devenu un acteur encore plus essentiel pour l’avenir du processus électoral, pour l’avenir du pays”.
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