John Numbi. Un nom qui sent le soufre en République démocratique du Congo mais qui suscite aussi l’attention en Belgique où il est apparu dans le dossier du meurtre de Floribert Chebeya, le défenseur des droits de l’homme retrouvé assassiné dans la banlieue de Kinshasa en 2010. Le général Numbi est le principal suspect et les témoignages à charge sont nombreux.
Alors, quand le nom du général – en disgrâce depuis plus de deux ans en République démocratique du Congo –, proche parmi les proches de l’ancien chef de l’État Joseph Kabila, réapparaît accolé à celui d’un vendeur d’armes, les voyants virent au rouge. L’information est révélée jeudi 8 mars par la RTBF, la radio publiqu belge. Le Belge Thierry Lakhanisky a été arrêté le 13 septembre 2022 et il aurait été en contact avec John Numbi en 2021, explique la RTBF qui présente l’homme d’affaires comme un “spécialiste des gros hélicoptères de transport, arrêté pour son implication supposée dans le commerce d’armes de guerre”. L’homme, toujours détenu en préventive, est suspecté par la justice belge de l’acheminement de matériel militaire vers des pays frappés d’embargo en Afrique et au Moyen-Orient.
Toujours selon la radio publique, “les termes du mandat d’arrêt décerné le 14 septembre à l’égard de Thierry Lakhanisky et d’autres suspects font état ‘des contacts et des liens qu’ils paraissent entretenir avec l’ex-général Numbi, dans ce qui pourrait être un projet lié à un potentiel coup d’État organisé par ledit général’”. Le prévenu nie les charges et explique, par la voix de son avocat qu’il s’agissait de “sécuriser un référendum d’initiative populaire au sujet de l’indépendance du Katanga”.
“Lassitude katangaise”
“C’est un vieux dossier”, expliquent en chœur tous les interlocuteurs contactés par La Libre ces derniers jours. “Il faut se remettre dans le contexte de 2020 et 2021, explique un diplomate. La tension est très forte dans les institutions congolaises. Félix Tshisekedi, arrivé au pouvoir par l’unique volonté de Kabila, a trahi celui qui l’a mis sur le trône. À la mi-juillet 2020, Tshisekedi, poussé dans le dos par les Américains qui demandent des gestes au président de la RDC, et plus seulement des paroles, obtient la mise à l’écart de John Numbi qui était resté inspecteur général des forces armées de la RDC.” Numbi, le Katangais, qui était alors l’un des deux seuls généraux quatre étoiles de la RDC (avec Célestin Mbala Munsense qui fut, jusqu’en octobre dernier, le chef d’état-major général des FARDC) est remplacé par le général Amisi, alias Tango 4, autre ancien de l’écurie Kabila, originaire de la province du Maniema.
L’exemple du Sud-Soudan
Pour les Katangais, le coup est rude. Ils ont perdu la présidence de la République qui est revenue à un Kasaïen, et ils perdent alors aussi la tête de l’armée. “À cette époque, pas mal de responsables katangais, surtout ceux proches de Joseph Kabila vivent très mal cette situation et les premiers bruits d’une volonté réelle de reprise en main de la province apparaissent. On parle bien de sécession”, explique un observateur qui ajoute, “ce qui paraissait irréaliste jusqu’en 2011, est devenu crédible grâce à ce qui s’est passé au Soudan”.
En effet, le 9 juillet 2011, à la suite du référendum d’autodétermination, le Soudan du Sud a fait sécession de la République du Soudan. “La République du Sud-Soudan est une réalité aujourd’hui, elle siège aux Nations unies. Elle fait partie des États de l’East African Community, au même titre que la RDC, d’ailleurs”, explique un opérateur économique congolais originaire du Katanga qui insiste, “ce nouveau pays est un des plus pauvres du monde. Le Katanga, par contre, est le moteur économique de la RDC mais il n’en profite pas. Il est devenu la vache à lait du pouvoir du clan Tshisekedi qui ne se gêne pas pour ponctionner notre province. Tous les jours, des Kasaïens débarquent dans notre province, poussés par le manque de développement chez eux malgré le fait que le président de la République soit de cette région. Dans ce contexte, il ne serait pas étonnant que certains Katangais aient peut-être voulu organiser à leur tour un référendum d’autodétermination. J’en parle au passé mais je pense que ce que les Katangais vivent aujourd’hui pourrait remettre ce scénario au goût du jour”.
“Le prochain scrutin va être déterminant, explique une autre voix du Katanga. Tout le monde se rend compte, notamment avec le nombre de bureaux pour l’inscription des électeurs, très réduit par rapport à ce qui se passe au Kasaï, que le pouvoir en place tente de minorer le poids du Katanga. La tension est forte entre Kasaïens et Katangais, ce n’est pas neuf mais l’attitude du pouvoir jette de l’huile sur un feu qui couve et qui risque de s’embraser.”
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