Félix Tshisekedi, qui entend rempiler (”en étant enfin élu et non désigné”, persifle un proche de Jean-Pierre Bemba, pourtant proche du président en exercice), Martin Fayulu, qui veut récupérer le mandat qu’il prétend avoir gagné en 2018 dans les urnes, Moïse Katumbi, qui espère enfin être qualifié pour cette course à la magistrature suprême, et Denis Mukwege, Prix Nobel de la paix 2018, qui rêve de décrocher la présidence pour son entrée en politique, ont tous rendez-vous dans les locaux de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) cette semaine pour le dépôt de leur candidature.
Delly Sesanga, le patron du parti Envol, devrait aussi en être, Muzito et Matata Ponyo, deux anciens Premiers ministres sous Joseph Kabila, eux, ont déjà rempli cette formalité.
Aucune surprise dans ce casting, dans lequel se sont invités quelques seconds couteaux capables de réunir les 160 millions de francs congolais (soit approximativement 60 000 dollars) nécessaires pour le dépôt de la caution non remboursable.
Les deux dernières confirmations
Dans cette liste de candidats présidents ne subsistaient en fait que deux demi-surprises : Martin Fayulu et Denis Mukwege. Le camp du Front Commun pour le Congo de Joseph Kabila ayant lui toujours affirmé qu’il ne présenterait pas de candidat, mettant en avant “l’absence de crédibilité de ce suffrage”, selon un des lieutenants de l’ancien président.
Entre Fayulu et Mukwege, le premier à trancher a été le patron de la plate-forme Lamuka. Martin Fayulu, qui avait pourtant appelé les membres de son parti Ecidé à boycotter le scrutin législatif organisé le même jour que la présidentielle, le 20 décembre prochain, a laissé entendre un certain temps qu’il pourrait ne pas concourir si la Ceni ne mettait pas en place un audit international et indépendant du fichier électoral qui reprend l’ensemble des Congolais qui se sont inscrits pour ces élections.
Samedi 30 septembre, lors de l’annonce de sa candidature, Martin Fayulu a justifié son revirement en expliquant : “ayant entendu la demande pressante de la population, la coalition Lamuka, a décidé de déposer ma candidature pour la présidentielle de décembre 2023. Comme nous n’avons pas eu la transparence par l’audit du fichier électoral, nous l’aurons dans la surveillance des élections”.
Selon lui, sur 43,9 millions d’électeurs inscrits, il y en aurait “10 millions de fictifs”. “Cette fois-ci, ça ne passera pas… Nous refusons de blanchir la fraude […], nous devons nous mobiliser pour empêcher que la parodie électorale en préparation ne se réalise”, a-t-il lancé ce samedi 30 septembre.
Mais l’ancien cadre Exxon, 68 ans, estime malgré tout que sa position a permis certaines avancées du côté de la Ceni, qui tout en refusant cet audit indépendant du fichier, a annoncé, explique-t-il, la publication des résultats électoraux bureau de vote par bureau de vote.
On se souviendra que lors de l’annonce de la victoire de Félix Tshisekedi en janvier 2019, et jusqu’à ce jour, aucun procès-verbal d’aucun bureau de vote n’a été publié par la Commission électorale nationale indépendante, ce qui ne fait qu’accentuer les doutes sur la victoire de Félix Tshisekedi.
”Martin Fayulu a demandé à la Ceni de rouvrir les inscriptions pour les élections législatives afin que nos membres puissent quand même déposer leur candidature”, explique un cadre de son parti. “Mais nous ne nous faisons guère d’illusion. Denis Kadima, le patron de la Ceni ne nous fera pas ce cadeau”. Martin Fayulu part donc à la conquête de la magistrature suprême en sachant pertinemment bien qu’il devra gérer le pays, s’il est élu, sans un seul membre de son parti à l’Assemblée nationale.
En réalité, Martin Fayulu, officiellement arrivé deuxième en 2018 avec 34,8 % des voix derrière Félix Tshisekedi qui en aurait décroché 38,5 %, prenait le risque de disparaître complètement de la scène politique s’il boycottait ce scrutin. Sa position, ferme, lui a offert une posture qui collait bien à son image d’homme sans compromis avant la campagne. Son rétropédalage lui vaut aujourd’hui certaines rancœurs au sein même de son parti, dans le chef de candidats députés qui ont suivi son mot d’ordre et qui ont le sentiment d’avoir été trahis.
Mukwege en sera
Le dernier prétendant de poids qui laissait planer un doute a mis fin au suspens ce lundi en annonçant sa candidature. En réalité, le docteur Denis Mukwege, “l’homme qui répare les femmes”, avait déjà balayé les dernières interrogations en annonçant, il y a un peu plus de deux semaines, qu’il avait reçu et accepté les 100 000 dollars d’une cotisation populaire pour sa candidature et sa campagne.
En entrant dans le jeu politique, le prix Nobel de la Paix 2018 pénètre dans un nouvel univers. S’il conserve son aura, “il risque de perdre rapidement la plupart des sponsors qui soutiennent sa fondation Panzi qui vient en aide aux femmes victimes de sévices sexuels dans l’est du pays”, explique un homme d’affaires congolais. “C’est évidemment très risqué et ça explique certainement une partie de ses doutes”, poursuit-il, tout en expliquant que “même les gardes du corps qui lui étaient accordés par la Monusco ne pourront plus l’accompagner”.
La candidature de Denis Mukwege pourrait par contre jeter une nouvelle lumière internationale sur ce scrutin congolais qui, jusqu’ici, ne semblait guère passionner les chancelleries internationales, beaucoup de diplomates semblant accepter l’organisation chaotique de ce scrutin. “Avec Mukwege dans le jeu, ça risque de perturber la machine mise en place par le pouvoir”, explique un de ces diplomates. “Sa candidature pourrait renforcer le poids des organisations qui se préparent à veiller sur le déroulement de ce scrutin. Je pense aux catholiques qui vont une fois de plus se mobiliser pour être présents dans tous les bureaux de vote. Mukwege va mobiliser cette communauté internationale et va la sensibiliser à ce scrutin”.
Comme Martin Fayulu, Denis Mukwege part seul à la présidentielle. L’homme ne dispose du soutien d’aucun parti, pis il n’a aucune expérience politique et ne dispose pas dans son pays de la notoriété dont il peut se targuer chez nous. “Au Congo, malgré l’ingéniosité du pouvoir en place, il y a toujours un facteur X qui vient tout perturber”, poursuit un homme politique congolais. “Denis Mukwege est ce facteur X de l’élection de 2023”.
La démonstration de force de Katumbi
Les deux derniers candidats à se présenter à la Ceni sont les deux favoris de ce scrutin : Moïse Katumbi et Félix Tshisekedi. Ce dernier, donné en tête par certains sondages, a organisé ce scrutin à sa main, avec “sa” Ceni et “sa” Cour constitutionnelle et un personnel politique acquis à sa cause à coups de dollars. Il dispose aussi de tous les leviers associés à l’exercice du pouvoir. Mais le scrutin de 2018 a démontré que cet avantage pouvait ne pas suffire. Emmanuel Shadary, le dauphin de Joseph Kabila, candidat tout désigné à la présidence, n’a pas réussi à convaincre un électorat largement acquis à la cause de l’alternance.
Le camp Tshisekedi promet de faire mieux et claironne sur tous les toits qu’il a un bilan à présenter. Le hic, c’est que l’actuel président s’est enfermé dans un pouvoir ethnique et que les quelques alliés qu’il a fait monter dans son gouvernement en échange de leur soumission ne parviennent pas à convaincre leur électorat. La grand-messe de Jean-Pierre Bemba, devenu vice-Premier ministre et ministre de la Défense lors du dernier remaniement, a démontré le rejet de Tshisekedi dans les rangs de son parti, le Mouvement pour la libération du Congo (MLC), qui célébrait ce 30 septembre ses 25 ans d’existence. L’annonce par le “chairman” Bemba de son soutien à Tshisekedi n’a soulevé, tout au plus, que quelques applaudissements de circonstance. Vital Kamerhe, vice-Premier et ministre de l’Économie, et Modeste Bahati, le président du Sénat, n’ont pas été mieux reçus quand ils ont évoqué leur pas de côté au profit du président sortant, respectivement dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu.
L’élection est donc loin d’être jouée dans ce géant d’Afrique centrale. Le dernier candidat, Moïse Katumbi, a réuni des dizaines de milliers de personnes à chacune de ses haltes dans le pays ces dernières semaines. Il est attendu désormais au Kasaï, la terre de Tshisekedi. Il devrait faire déposer sa candidature ce mardi 3 octobre. Reste à savoir si elle sera validée. Lors de la précédente présidentielle, le pouvoir de Joseph Kabila a cherché à discréditer le candidat sur base d’un hypothétique passeport italien qui aurait remis en cause sa nationalité congolaise. Mais la justice italienne a tranché, rejetant ces accusations. Joseph Kabila avait finalement empêché Moïse Katumbi de rentrer au pays pour s’inscrire. Cette fois, l’ancien gouverneur du Katanga est resté au pays et ne devrait pas être empêché de déposer sa candidature. Sera-t-elle pour autant validée ? Rendez-vous dans un mois pour connaître la réponse. Les États-Unis, par la voix du secrétaire d’État Antony Blinken, ont fait de l’inclusivité un des points essentiels de la crédibilité de ce scrutin. Tenter d’éliminer Katumbi de la course pourrait être perçu comme un élément discréditant tout le processus électoral.
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