Au Sénégal, 16 des 19 candidats retenus pour la course à la présidentielle ont rejeté, ce 23 février 2024, le dialogue proposé par Macky Sall, au lendemain d’une interview durant laquelle le chef de l’État n’a pas fixé de nouvelle date pour ce scrutin initialement prévu le 25 février.
« Nous nous opposons à tout dialogue sur cette question, nous exigeons une présidentielle avant le 2 avril », date de la fin du mandat du président sortant, a dit devant la presse l’un de ces 16 candidats, Boubacar Camara. « Le seul dialogue possible, c’est celui avec les candidats validés par le Conseil constitutionnel », affirme de son côté le candidat Mame Boye Diao.
« Sinon, c’est aller vers une impasse », tant les points de vue sont divergents : présidentielle avant le 2 avril dans un cas, et reprise du processus électoral à zéro pour ceux qui avaient été recalés à l’étape du parrainage. Pour Amadou Ba, mandataire du candidat de l’ex-Pastef Bassirou Diomaye Faye, actuellement en détention provisoire, c’est inacceptable.
Dans ce dialogue, il demande aux acteurs de prendre des décisions de nature constitutionnelle ; il demande à une instance non juridique de déterminer la date d’une élection présidentielle qui est une prérogative propre que lui confère la Constitution ; il demande en outre à cette instance de décider si on maintient l’élection ou on reprend complètement le processus.
Vous comprendrez que le FC25 qui regroupe les candidats retenus ne puissent pas participer à ce dialogue sous ce format-là où le président convoque à une foire d’empoigne […] Amadou Ba Thierno Alassane Sall, le candidat du parti La République des valeurs, lui, promet de saisir le Conseil constitutionnel ce vendredi pour refus de fixer la date du scrutin.
Voix dissonante dans cette bronca, le Parti démocratique sénégalais, dont le candidat Karim Wade a été exclu de la course à la présidentielle du fait de sa double nationalité, ira au dialogue. Il veut remettre l’ensemble du processus électoral à plat. « À partir du 25 février, la liste [des candidats retenus] devient caduque, il va falloir reprendre le processus, explique Maguette Sy, coordonnateur de la campagne de Karim Wade.
La prochaine élection aura lieu à la date qui sera fixée au sortir du dialogue comme le dit le président. Après, un décret va convoquer le corps électoral. Il faut que le corps électoral soit convoqué pour qu’ensuite les candidatures soient reçues. On ne peut être candidat à une élection qui n’est pas encore convoquée. »
Enfin, rejet aussi du côté d’un important mouvement citoyen. Dans un communiqué distinct, le collectif de la société civile Aar Sunu Election (« Protégeons notre élection ») dénonce en effet une « tentative de diversion à travers l’invitation à un dialogue inapproprié (qui) est inacceptable ». La « seule exigence du moment étant la fixation de la date de la présidentielle » avant le 2 avril comme l’a demandé le Conseil constitutionnel.
Mamadou Mbodj, coordonnateur de la plateforme F24 dénonce un dialogue trop élargi, qui laisse la porte ouverte aux candidats recalés qui risquent de demander une reprise du processus électoral à zéro : « le dialogue, convoqué avec une composition hétéroclite, peut-il déboucher sur autre chose que sur un consensus biaisé voire sur la validation de conclusions imposées ou négociées d’avance. »
Dans une déclaration, dix-huit organisations de la société civile dont par exemple la Ligue sénégalaise des droits humains ou le Groupe de recherche et d’appui pour la démocratie participative et la bonne gouvernance (Gradec) ont annoncé qu’elles ne répondront pas à l’appel de Macky Sall.
Elimane Kane, membre de Aar Sunu Élection, explique qu’ils s’en remettent eux aussi au Conseil constitutionnel pour trouver une porte de sortie à cette crise. Des appels à manifester ont par ailleurs été lancés pour exiger la tenue du scrutin avant cette date. Mais seront-ils entendus, après les quatre morts déjà recensées dans les contestations qui ont suivi l’annonce du report et alors que le pouvoir tente de jouer la carte de la décrispation ?
La veille, dans un entretien accordé à plusieurs médias sénégalais, Macky Sall s’était livré à un exercice de clarification, alors que le report in extremis de la présidentielle le 3 février dernier a plongé le pays dans une crise politique sans précédent. Au final, le président sortant a assuré vouloir quitter ses fonctions comme prévu le 2 avril, à l’issue de son deuxième mandat, mais il n’a pas annoncé la date de la présidentielle dont il avait décrété le report. Et les zones d’ombres restent donc nombreuses.
D’un côté, il y a eu cet exercice de communication très attendu par les Sénégalais, avec un Macky Sall souriant, installé au palais présidentiel, le drapeau du Sénégal et de l’Union africaine derrière lui et qui a répondu sur un ton rassurant aux journalistes. Le président sortant s’est présenté comme un républicain attaché aux valeurs de la démocratie et de l’alternance démocratique. « Le 2 avril, c’est la fin de mon mandat, je compte donc quitter mes fonctions », a-t-il répété à plusieurs reprises.
Un pacificateur aussi : Macky Sall ne s’est pas dit contre la libération de son ennemi d’hier : l’opposant numéro un Ousmane Sonko, détenu depuis fin juillet 2023. À lire aussiSénégal: Ousmane Sonko, une saga politico-judiciaire en huit dates Mais, sur le fond, les principales questions subsistent : quand aura lieu cette présidentielle qu’il a lui-même annulée ?
Le chef de l’État s’est déchargé de cette responsabilité qui lui a pourtant été confiée par le Conseil constitutionnel le 15 février dernier : celle de fixer la date et de convoquer le corps électoral. Ce sera à un dialogue national de le faire en deux jours avec, autour de la table, les candidats retenus et recalés par le Conseil constitutionnel, les partis politiques, les syndicats, la société civile et religieuse.
Idem pour l’autre question cruciale : celle de l’intérim à la tête du Sénégal si la présidentielle devait se tenir après le départ de Macky Sall, le 2 avril. La question d’une prolongation des fonctions du président après le terme de son mandat reste une possibilité aujourd’hui, via l’article 36 de la Constitution, que Macky Sall a cité à deux reprises. Il stipule que « le président de la République en exercice reste en fonctions jusqu’à l’installation de son successeur ».
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