Les militaires nigériens qui ont renversé le 26 juillet le président élu, Mohamed Bazoum, ont accusé ce lundi la France de « vouloir intervenir militairement », au lendemain d’un sommet des membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO – dont sont exclus le Burkina Faso, la Guinée et le Mali depuis leur coup d’État respectif) qui ont menacé d’utiliser la « force » s’il n’était pas rétabli dans ses fonctions d’ici à dimanche. Le président français, de son côté, a prévenu que son pays répliquerait « de manière immédiate et intraitable » à toute attaque contre les ressortissants de la France et ses intérêts au Niger, où des milliers de manifestants favorables au putsch militaire ont ciblé son ambassade à Niamey. Certains ont voulu y entrer, avant d’être dispersés par des tirs de grenades lacrymogènes.
La France de Macron voit inéluctablement se déliter son pré carré africain
Les pressions sur les putschistes sont de plus en plus fortes, venant de l’ensemble des partenaires occidentaux et africains du Niger, pays essentiel dans la lutte contre les groupes djihadistes qui ravagent les pays du Sahel depuis des années. La France et les États-Unis y déploient respectivement 1 500 et 1 100 soldats, qui participent à la lutte contre les djihadistes.
Un Président coupé de ses militaires
Cette menace d’une intervention militaire régionale ou française est-elle crédible ? Frédéric Lejeal, politologue, spécialiste de l’Afrique de l’Ouest et auteur de l’ouvrage Le déclin franco-africain, l’impossible rupture avec le pacte colonial (*), se montre sceptique. « D’abord, parce que le mouvement nigérien semble avoir fédéré toutes les forces armées du pays. Ensuite, parce qu’en cas de conflit le Burkina Faso et le Mali, qui ont été suspendus de la CEDEAO, se rangeront très certainement derrière les putschistes. Une intervention des autres membres de la CEDEAO risque donc de créer un chaos dans toute la région et personne n’en a envie. Enfin, on voit mal le président Bazoum revenir au pouvoir, il serait terriblement fragilisé. » La CEDEAO avait pourtant permis de réinstaller le président Kabbah à la tête de la Sierra Leone en 1998 après un coup d’État militaire, « mais le contexte est vraiment tout à fait différent », explique Frédéric Lejeal, qui poursuit en expliquant que la CEDEAO ne pouvait rester sans réagir.
Quant à une intervention française, elle, elle serait vécue comme une vraie agression non seulement au Niger, mais dans tout un Sahel traversé par de nombreux courants hostiles à Paris. « On peut peut-être imaginer une opération d’exfiltration, explique un diplomate africain à La Libre Belgique, sous le sceau de l’anonymat, mais certainement pas l’engagement de troupes au sol dans de véritables combats de rue. Il y aurait évidemment des pertes humaines et je ne pense pas que la France d’Emmanuel Macron soit prête à courir ce risque. »
Frédéric Lejeal, évoque, lui, un coup d’État « presque prévisible » et explique : « Le président Bazoum est très francophile. Quand il a décidé d’accueillir une partie des troupes de l’opération militaire française Barkhane sur son territoire (après qu’elle a été contrainte de quitter le Mali, NdlR), il n’a sollicité l’avis de personne. Il ne s’est pas présenté devant son Parlement. » « C’était un vrai pied de nez aux tenants des institutions nigériennes », enchaîne le diplomate africain pour qui « le président Bazoum a pris un risque inconsidéré. Il ne faut pas perdre de vue que ce sont des militaires français qui symbolisent le pouvoir colonial dans un climat terriblement hostile. Ensuite, ces troupes, ce sont les contingents dont ne voulait plus la junte militaire qui a pris le pouvoir au Mali. Il ne faut pas sous-estimer le fait que tous ces militaires se connaissent. Certains militaires nigériens, qui ont été mis devant le fait accompli, se sont sentis humiliés par la décision du président de la République ».
Jets de tomates pour Pompidou
« Il est évident que ces militaires se parlent. Le Mali et le Niger disposent d’une immense frontière commune. Regardez aussi le mode opératoire, il est identique. Le Président est arrêté et détenu dans son palais », confirme Frédéric Lejeal qui, dans son ouvrage, explique aussi que ce sentiment antifrançais n’est pas neuf dans la région, rappelant l’accueil avec des jets de tomates du président Georges Pompidou en 1972 ou des scènes durant lesquelles des drapeaux français ont été piétinés en 2004 à Niamey. « Mais il est évident que le sentiment antifrançais d’aujourd’hui n’a rien de commun, c’est beaucoup plus exacerbé« , poursuit-il en mettant en évidence le fait que la population du Niger, très jeune, est aussi très connectée et très attentive à ce qui se passe aux quatre du monde et surtout à Paris. « Et ce n’est d’ailleurs pas une spécificité nigérienne. Toute la bande du Sahel suit attentivement les débats qui traversent la société occidentale, notamment sur le port du voile ou sur le mariage homosexuel. Sur ce dernier point, la Russie martèle son opposition à ce type d’union. Un discours dans lequel se retrouvent les leaders africains et une grande partie de la population. Cela peut participer à cette envie de changer de partenaire d’autant que la Russie apparaît comme un État non colonisateur pour ces populations et un pays qui, du temps de l’Union soviétique, s’est toujours rangé du côté du combat contre le colonisateur. Tous ces messages sont véhiculés par les réseaux sociaux, mais aussi par des influenceurs, peut-être rétribués par Moscou, qui sont très populaires parmi les jeunes. Et dans ce contexte, dans ces pays, c’est la France qui est la plus exposée. »
La déception Macron
Une France et son jeune Président, né après les indépendances africaines, qui a suscité l’espoir d’une « autre approche » des relations entre la France et l’Afrique. « Mais Paris a conservé son ton paternaliste et, surtout, son incohérence. Comment expliquer que le président Macron assiste à l’investiture du nouveau président tchadien (le fils, non élu, du président Idriss Déby tué par balle dans des conditions étranges, NdlR) tout en se permettant de condamner des coups d’État au Burkina, au Mali ou au Niger ? C’est évidemment incompréhensible », conclut Frédéric Lejeal.
* Frédéric Lejeal, « Le déclin franco-africain, l’impossible rupture avec le pacte colonial », éd. L’Harmattan.
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