Yaya Dillo
Les premières rumeurs sur la mort de Yaya Dillo avaient commencé à circuler dans la nuit de mercredi à jeudi, quelques minutes à peine après l’assaut d’une grande violence de forces de l’ordre qui avaient sortis les grands moyens – véhicules blindés, des dizaines de jeeps remplis de soldats et policiers surarmés, et même des chars de combat – sur le siège de son parti, le Parti socialiste sans frontière (PSF).
Tout de suite, les rares proches qui ont accès à internet grâce au réseau Starlink ou à des VPN dénoncent ce qu’ils qualifient d’« assassinat » sur les réseaux sociaux du Tchad. Côté pouvoir, c’est silence radio. Aucun responsable ne peut ou ne veut s’exprimer officiellement.
« À bout portant » Jusqu’à vendredi matin. Mahamat Zen Bada, le président du parti Mouvement populaire pour le salut (MPS) qui a adoubé Mahamat Idriss Déby comme candidat à la présidentielle de mai prochain, est le premier à dégainer. « Il s’est exprimé avant même le gouvernement ou la justice », pointe avec perfidie un cadre de son parti, en parlant d’« erreur de communication ».
C’est le procureur près le tribunal de grande instance de Ndjamena, Oumar Kebellaye, qui va finalement se charger d’officialiser la mort du farouche opposant. Yaya Dillo a trouvé la mort « des suites de ses blessures » indique le procureur, qui parle également de « dizaines de morts et de blessés », alors que le porte-parole du gouvernement, Abderamn Koulamallah, assure un peu plus tard sur la télévision nationale qu’il y a eu « quatre militaires tués, et trois membres du PSF » dont Yaya Dillo.
Ce dernier n’a « pas voulu se rendre », accuse le gouvernement, et ce sont ses hommes qui ont ouvert le feu en premier. Mais l’apparition sur les réseaux sociaux d’une photo de Yaya Dillo mort, où l’on voit nettement le trou d’entrée de la balle bordée de traces de brûlure de la peau, a relancé la polémique, ses soutiens dénonçant « une exécution avec une balle tirée à bout portant », malgré les dénégations du pouvoir de transition.
« Mahamat peine à s’affirmer » Chef rebelle dans les années 2005, rallié à Idriss Déby père avant de devenir un de ses plus farouches opposants au début des années 2020, puis celui de son fils Mahamat Idriss Déby qui lui a succédé à son décès il y a trois ans, Yaya Dillo était devenu à deux mois de la présidentielle « une véritable épine dans le pied du président de transition du Tchad », selon plusieurs spécialistes du pays.
Dernier opposant radical au pouvoir de transition, souvent coutumier de diatribes enflammées et d’actions qualifiées de provocatrices, il était membre influent du clan des Zaghawas au pouvoir depuis le coup d’État qui avait porté aux affaires Idriss Déby Itno, il y a 34 ans. Neveu du défunt président Idriss Déby par sa mère et neveu des frères Erdimi par son père, « Yaya Dillo avait une véritable assise sociale au sein du clan Zaghawas au pouvoir depuis le coup d’État de 1990 », explique le chercheur Roland Marchal.
Contrairement à son père qui était le chef incontesté du clan Zaghawas, « Mahamat qui a du sang gorane par sa mère est contesté par une partie du clan et peine à s’affirmer, estime un chercheur tchadien. Il cherche à consolider son pouvoir en s’entourant de commandants militaires qui lui sont fidèles, en mettant en place sa propre garde prétorienne, la force d’intervention rapide qui pourrait remplacer à terme la DGSSIE ».
Et il y a à peine deux semaines, le propre oncle du président de transition, Saleh Déby Itno, claque la porte du parti MPS fondé par son grand-frère, et rallie officiellement le parti de Yaya Dillo. De quoi diviser encore un peu plus le clan au pouvoir. « C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase », estime un autre chercheur tchadien. Calme apparent Jusqu’au « faux pas » de mercredi, lorsque l’un de ses adjoints est arrêté. Yaya Dillo et des proches « surarmés s’attaquent » alors au siège de la toute-puissante Agence nationale de sécurité, à Ndjamena, selon le gouvernement.
« C’est l’occasion rêvée pour les durs du régime qui en ont profité pour se débarrasser du farouche opposant une bonne fois pour toutes », estime le même chercheur, qui parle d’« un avertissement » lancé à tous les autres opposants. Mais tous sont unanimes : malgré le calme apparent, « la crise causée par le décès de Yaya Dillo est loin d’être terminée », explique l’un d’eux car le pouvoir de Mahamat Idriss Déby en sort « affaiblie » par les profondes divisions qu’elle va susciter au sein du clan.
« Et n’oubliez pas que pour ces hommes venus du désert, la vengeance est une question d’honneur », ajoute un autre, qui met un bémol toutefois : « Ils ont intérêt à trouver un arrangement en payant une diya comme ils savent le faire, car tous sont conscients qu’ils pourraient tout perdre, surtout le pouvoir, s’ils se lancent dans une guerre clanique. »
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