Afin de prouver sa valeur et de pouvoir gagner le cœur de sa belle, un jeune Prince koushite part à la conquête de l’Égypte voisine. Face à l’ampleur de la tâche, il demande conseil aux différents dieux. En démontrant son respect pour le vivant et pour les hommes, il conquiert les provinces les unes après les autres. Sa sagesse fait des merveilles. Ce conte, plein de faste et de symétries, est une ode à l’ambition, à la lucidité et à la confiance en soi.
Le Pharaon rappelle aussi la splendeur de la civilisation koushite originaire du Soudan et son influence mesurable jusque dans l’Égypte ancienne. Cette civilisation, qui perdura durant trois millénaires, accordait une place de choix aux femmes et, en particulier, à la Reine mère. À travers ce conte, Michel Ocelot marie deux de ses grandes passions : l’Afrique et l’Égypte ancienne, en revisitant une partie de l’histoire de ce royaume dont l’importance a été négligée par les archéologues et les historiens.
Dans son nouveau film en trois volets, Michel Ocelot continue à cultiver le goût des histoires, des couleurs et des saveurs lointaines avec des récits venus de différents points du globe: Egypte, Auvergne, Turquie. La comédienne Aïssa Maïga endosse le rôle de grande narratrice de ce film où fleurissent les caractéristiques du cinéma de Michel Ocelot : messages de tolérance et d’humanisme, attention accordée aux plus humbles et aux plus petits, éloge de la bonté et de la débrouillardise. Sans oublier la mise en lumière de différentes traditions orales à travers le conte traditionnel.
Privilégier des histoires courtes mais intenses
« Après Dilili à Paris qui était un projet assez lourd à porter, j’ai eu envie de quelque chose de plus léger. De films plus courts. Les enfants de Kirikou ont grandi, ce sont maintenant de magnifiques jeunes adultes qui viennent me remercier avec émotion. C’est très touchant. Mais il n’y a pas que Kirikou ou Azur et Asmar qui ont aidé les enfants, j’ai tellement de retours sur les petits contes aux silhouettes faits à mes débuts avec innocence et très peu de moyens, au fin fond de la campagne. On ne jetait rien : même un tout petit bout de papier noir, on le gardait pour faire une main. Je me suis dit qu’il fallait que je refasse des films courts et intenses. Finalement, c’est plus compliqué qu’un long métrage classique… Mais j’aime ça et je sens bien que chaque histoire a sa propre durée. En trois minutes, le temps d’une chanson, on peut dire des choses intenses et inoubliables. Et puis les contes traditionnels, en général, sont courts. Je me suis offert des moyens métrages. Ce n’est pas interminable, on voit le bout du tunnel assez rapidement. L’histoire adopte son propre rythme. »
L’enfance de Michel Ocelot, conteur reconnu, n’a pas été rythmée par le conte. « Depuis tout petit, j’aimais les histoires, mais c’est moi qui en racontais à ma grand-mère dans les lettres que je lui envoyais. » Des textes qu’il illustrait en bas de page, « un peu comme des story-boards. Je pensais que j’étais dessinateur mais, au bout d’un certain temps, j’ai réalisé que j’étais peut-être encore plus conteur. J’aime beaucoup inventer des histoires, des dialogues. Beaumarchais disait : ‘Je n’ai aucun mérite à écrire les dialogues, ce sont les personnages qui me les dictent.’ Je le ressens comme cela. »
Poussé par le public, Michel Ocelot a imaginé deux autres Kirikou, « les dialogues me venaient naturellement. J’utilise des mots que les enfants ne connaissent pas pour qu’ils les découvrent, il faut les submerger de choses jamais rencontrées ».
« Au croisement de mes deux passions: l’Egypte et l’Afrique »
Dans son nouveau film Le Pharaon, Le Sauvage et La Princesse, au-delà des univers présentés, il y a un fil rouge : la volonté de ses héros de forger leur propre destin. « Je n’avais pas forcément vu de liens entre les trois histoires. Les gens me croient plus intelligent que je ne le suis. » (Il rit). « Mais c’est vrai que j’aime que les gens se libèrent des contraintes. »
Entre ses trois moyens métrages transparaît sa passion pour d’autres époques, d’autres cultures. « Lors de ma première année d’études secondaires, j’ai découvert l’Égypte et j’ai été conquis par la beauté absolue des visages et des corps, la qualité des bijoux colorés. Ce côté sensuel, je ne l’ai pas compris tout de suite, je l’ai découvert récemment… »
Michel Ocelot connaissait « la dynastie koushite qui a remonté la religion et l’art égyptiens et a réalisé de grandes constructions à Karnak. Je ne m’attendais pas du tout à être contacté par le musée du Louvre, mais quand j’ai appris qu’ils préparaient une expo sur cette dynastie, cela a fait tilt. D’un côté, il y a cette Égypte qui me fascine et de l’autre, l’Afrique dont je viens un petit peu puisque j’ai passé mon école primaire à Conakry, en Guinée. Les deux ensemble ont fait une réaction chimique et j’ai dit au président du Louvre : je peux vous faire un dessin animé. »
Les documents de l’exposition lui ont permis d’encore mieux exploré l’histoire de ces petits royaumes du nord du Soudan. « Je suis parti du songe d’un prince koushite qui voulait conquérir l’Égypte et j’ai remplacé le songe par le désir de conquérir une jeune fille. J’ai fait ce film avec le grand spécialiste des pharaons koushites qui dirige le département égyptien du Louvre. On s’est très bien entendu. C’était délicieux de travailler avec des gens qui ont appris tant de choses pendant leur vie et qui continuent. Il était content de voir que je faisais ce travail de l’intérieur, que j’aimais cela. » Et l’auteur a eu la surprise de découvrir ensuite quelques séquences de son film présentées au cœur de l’exposition à Paris.
Son lien avec la Belgique
Le conte égyptien a été réalisé à 100 % dans un studio en Belgique. « Sans la Belgique, je ne serais pas où je suis. Déjà dans Kirikou et la sorcière, il y a une forte participation de la Belgique alors que j’étais parfaitement inconnu et qu’un long métrage européen avait peu de chances de succès. Pour tous mes films, j’ai eu une participation de la Belgique y compris pour ce dernier qui ne trouvait pas preneur. » Malgré ses succès passés, Michel Ocelot éprouve de plus en plus de difficultés à boucler ses budgets. « Heureusement que la région Grand Est et la Belgique étaient là pour me soutenir. »
« Les contes permettent de dire beaucoup de choses sans qu’on s’en doute et rappellent des vérités parfois oubliées. Le conte est essentiel : il permet de tout dire sans qu’on se méfie. »
Surtout, il s’adresse à un public de tous âges. « Le fait que le mot enfant ait été gravé sur mon front me désespérait car je fais des histoires pour tout le monde. Maintenant, je m’en amuse et je suis de plus en plus ravi car ces enfants ont grandi et me disent merci. Au début, les enfants ne comprennent pas tout. Il y a des choses qu’ils comprennent très bien, certaines qu’ils devinent et d’autres qu’ils ne comprennent pas, mais ça ne les dérange pas parce qu’à la maison, ils ne comprennent pas tout non plus. Ils l’emmagasinent: cela servira plus tard. »
La suite de Kirikou attendue dans deux ou trois ans
Malgré les obstacles, le créateur ne se décourage pas. « Je suis en train de faire un film pour les enfants de Kirikou qui ont grandi. C’est à eux que je vais m’adresser. Un film avec des choses plus entières, à découvrir dans deux ans, si tout va bien. J’ai mis trois ans et demi pour faire ce film alors que d’habitude, je mets six ans, donc je fais des progrès. (Il rit) Mettez votre chronomètre, on verra si on se retrouve dans deux ou trois ans », conclut-il en souriant.
Entretien: Karin Tshidimba
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