RFI : Vous venez de recevoir le Visa d’Or humanitaire du CICR pour votre exposition « Déplacés par le M23 » qui met en lumière le sort des réfugiés obligés de fuir le conflit en cours au Nord-Kivu en République démocratique du Congo (RDC) .
Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Hugh Kinsella Cunningham : C’est une magnifique récompense de savoir que des organisations humanitaires comme la Croix-Rouge s’intéressent à mon travail et qu’elles estiment qu’il est utile de le mettre en lumière. J’ai passé beaucoup de temps à suivre des travailleurs humanitaires dans différents contextes au Congo, et j’ai vraiment un immense respect pour le travail qu’ils font dans ces zones.
J’ai couvert l’épidémie d’ebola au Congo, j’ai toujours été épaté par les docteurs et les infirmières qui travaillent dans ces conditions. Ils font partie des personnes les plus courageuses que vous pouvez rencontrer dans ces situations. C’est donc réellement une grande fierté que de recevoir ce prix. Hugh Kinsella Cunningham devant les photos de son exposition qui se tient à Perpignan lors du festival Visa pour l’image le 5 septembre 2024.
Vous couvrez le conflit qui oppose les rebelles du M23 à l’armée congolaise au Nord-Kivu depuis plusieurs années. Est-ce que vous pouvez nous expliquer cette guerre, ainsi que le but de votre travail ?
Pour faire simple, ces deux dernières années, l’ampleur du conflit a pris une nouvelle envergure. Les rebelles du M23 sont d’anciens mutins de l’armée congolaise. Ils sont aujourd’hui armés et supportés par le Rwanda, qui a également déployé des milliers de soldats de son armée régulière à sa frontière avec la RDC.
Mon travail retrace les deux dernières années de l’offensive rebelle du M23. Au début, cela a commencé doucement. Ils ont attaqué des petits villages, et des positions de l’armée congolaise ont été débordées. Petit à petit, l’offensive du M23 s’est étendue et les rebelles ont occupé une grande partie du Nord-Kivu, forçant au passage plus d’un million de civils à fuir leur maison.
Votre travail se concentre tout particulièrement sur le sort des civils ?
Oui, la plupart des civils doivent fuir pour sauver leur vie. Très souvent, les attaques ont lieu vers 4 ou 5 heures du matin. Les familles sont réveillées par des coups de feu et des explosions à proximité de leur village et elle doivent fuir en emportant le peu qu’elles ont avec elles. Des civils fuyant les violents combats dans le territoire de Masisi avec leurs biens.
En décembre 2023, une offensive majeure des rebelles du M23 sur le territoire de Masisi a forcé les civils à s’abriter dans les villes de Sake et de Goma. J’essaie également de montrer ce qui attend ces civils après ces moments de terreur et de trauma lorsqu’ils arrivent dans des camps de déplacés, qui sont des endroits terribles.
Pour ces civils, c’est comme être au purgatoire. Ils pensent avoir atteint un endroit sûr, mais en fait, leurs problèmes ne font que commencer, car ces camps font face à de nombreuses épidémies, et ils sont très dangereux, en particulier pour les femmes. Il y a un nombre inimaginable de viols et de violences sexuelles.
Selon vous, pourquoi cette guerre particulièrement meurtrière n’attire-t-elle pas plus l’attention des médias internationaux ?
C’est difficile à dire, mais je pense que d’une certaine manière, la complexité de la situation n’aide pas à mettre ce conflit en lumière. C’est une histoire incroyablement compliquée, car vous ne pouvez pas parler des conflits au Congo sans parler de décennies de prolifération de groupes armés et de forces rebelles. Les civils n’ont aucun contrôle sur leur destin, ils sont ballotés par les vagues successives des différents conflits. Une famille de déplacés fuyant la guerre n’aura certainement jamais la chance d’écrire sa propre histoire, de construire sa vie, tout cela par ce qu’elle est bloquée dans ce conflit.
Le grand public n’a pas vraiment envie de faire l’effort de s’intéresser à la situation, d’autant qu’il y a des questions politiques assez complexes en jeu. Le Royaume-Uni et la France ont été assez proches du Rwanda ces dernières années, et Kigali sait très bien comment faire pour obtenir l’indulgence de la communauté internationale, notamment en participant activement aux missions de maintien de la paix de l’ONU.
Actuellement, il est presque impossible de déterminer exactement qui prend part ou pas à ce conflit. L’armée burundaise a également déployé des soldats au Nord-Kivu, il y a l’armée congolaise, mais aussi des compagnies militaires privées et des groupes rebelles locaux, et ils se battent tous entre eux… Essayer de digérer tout cela et en faire quelque chose de compréhensible pour le grand public, c’est très compliqué.
Pour quelle raison avez-vous donc commencé à vous intéresser à ce conflit ?
J’ai travaillé pour la première fois en RDC en 2018. J’ai été inspiré par le combat mythique de George Foreman contre Mohamed Ali à Kinshasa en 1974, « The Rumble in the Jungle », donc j’y suis allé et j’y ai fait mes premières photos sur l’héritage laissé par ce combat sur les jeunes boxers congolais.
Je ne pensais pas que cela déboucherait sur quoi que ce soit. Pour moi, c’étaient presque des vacances. Finalement, mon reportage a été publié. Les choses ont plutôt bien commencé. Je me suis installé sur place et, en 2019, j’ai été envoyé dans l’est du Congo couvrir l’épidémie d’ebola.
C’est là que j’ai vraiment commencé à me concentrer sur le sujet des déplacés par le M23, car je me suis rendu compte que tout ce qui se passe dans l’est du Congo est défini de près ou de loin par les conflits qui s’y déroulent. C’est une grande chance pour moi de pouvoir passer autant de temps dans la région. Cela permet d’apporter beaucoup de perspective à mon travail, car c’est impossible de saisir toute la complexité de la situation en passant seulement quelques jours sur place.
À l’ère des images créées par intelligence artificielle et des « fake news », vous pensez que la photographie a encore un avenir pour mettre en lumière ce genre de conflit ?
Ce conflit est sujet à beaucoup de fausses informations qui polluent son narratif. Il est plus important que jamais de pouvoir compter sur des correspondants locaux dignes de confiance et totalement dévoués à leur travail. Être sur le terrain est capital, car c’est aussi un moyen de collecter des « preuves » de ce qu’il s’y passe.
Certaines de mes photos témoignent de crimes contre des civils, des crimes contre l’humanité. Pouvoir fournir une information vérifiée est donc crucial.
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