OTAN asiatique : Quelles Implications pour la Sécurité en Asie-Pacifique ?
Le ministre japonais de la Défense, Shigeru Ishiba, a récemment suscité un débat en appelant Washington à “unir” son réseau d’alliances informelles en Asie pour créer un bloc militaire formel, une sorte d'”OTAN asiatique”. Cependant, un haut responsable du département d’État américain a déclaré qu’il était “trop tôt” pour envisager la construction d’un tel bloc, refroidissant ainsi les ardeurs de Tokyo.
Une proposition ambitieuse du Japon
Shigeru Ishiba, l’un des principaux candidats à la succession du Premier ministre Fumio Kishida, a lancé la semaine dernière un appel pour la création d’une “version asiatique de l’OTAN”. Son idée est d’unifier les divers accords de sécurité existants dans la région en un pacte de défense formel. “Nous devrions au moins approfondir nos discussions sur ce sujet”, a-t-il déclaré. Voir l’article du Nikkei Asia sur les propositions d’Ishiba.
Cette proposition intervient dans un contexte de tensions croissantes en Asie-Pacifique, où les rivalités géopolitiques s’accentuent, notamment avec la montée en puissance de la Chine et les ambitions nucléaires de la Corée du Nord.
La réponse prudente des États-Unis
Lors d’une conférence à Washington, le secrétaire d’État adjoint américain pour l’Asie de l’Est et le Pacifique, Daniel Kritenbrink, a rejeté la suggestion d’Ishiba. “Il est trop tôt pour parler de sécurité collective dans ce contexte et de [la création de] structures plus formelles”, a-t-il déclaré, selon le journal japonais Nikkei.
“Nous nous concentrons sur l’investissement dans l’architecture formelle existante de la région et sur la poursuite de la construction de ce réseau de relations formelles et informelles. Nous verrons ensuite où cela nous mène.” Lire les déclarations de Kritenbrink.
Un responsable américain anonyme a ajouté qu’une OTAN asiatique “n’est pas ce que nous recherchons dans la région”. Bien que les États-Unis souhaitent éviter la création d’une “alliance de type bloc” en Asie-Pacifique, Washington a passé des décennies à construire un réseau de partenariats et d’accords multilatéraux dans la région, que ses rivaux – en particulier Pékin – considèrent comme des étapes vers une “OTAN asiatique” de facto.
Les alliances existantes et les réactions chinoises
Le pacte AUKUS entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, ainsi que le Dialogue quadrilatéral pour la sécurité (Quad) entre l’Australie, l’Inde, le Japon et les États-Unis, ont tous deux été critiqués par la Chine. Pékin les voit comme des tentatives de Washington pour “provoquer la confrontation” dans la région. Analyse du Monde sur le pacte AUKUS.
La coopération accrue de l’OTAN avec le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande a également été condamnée par Pékin. Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Lin Jian, a appelé en juillet les dirigeants du bloc à “cesser de créer des tensions, de colporter la mentalité de guerre froide et de provoquer une confrontation de blocs en Asie-Pacifique”. Déclarations de la Chine sur l’expansion de l’OTAN en Asie.
Les inquiétudes de la Russie et de la Corée du Nord
La Russie, la Chine et la Corée du Nord ont toutes critiqué les traités de défense que les États-Unis maintiennent avec la Corée du Sud et le Japon. Les exercices conjoints entre les armées américaine, sud-coréenne et japonaise ont augmenté en ampleur et en fréquence, et ont des “sous-entendus anti-russes et anti-chinois”, a averti la semaine dernière Gueorgui Zinoviev, le chef du premier département Asie du ministère russe des Affaires étrangères. Article de Sputnik sur les déclarations russes.
Les divisions au sein du Japon
La proposition d’Ishiba a également été critiquée au Japon. “L’essence de l’OTAN est de protéger collectivement un État membre contre une attaque armée d’un ennemi étranger commun”, a déclaré Toshimitsu Motegi, qui est également en lice pour succéder à Kishida, au Nikkei. “Contrairement à l’Europe, l’Asie est composée de pays aux cultures et systèmes politiques divers. Chaque pays a des relations différentes avec la Chine.” Interview de Motegi dans le Nikkei.
Cette divergence d’opinions au sein du parti au pouvoir reflète les défis que le Japon doit surmonter pour naviguer entre son alliance avec les États-Unis et ses relations économiques étroites avec la Chine.
Le départ imminent de Kishida et l’avenir de la politique japonaise
Kishida, qui a également déclaré que le Japon doit “renforcer sa coopération avec l’OTAN et ses partenaires”, a annoncé le mois dernier qu’il quitterait ses fonctions de Premier ministre et de chef du Parti libéral-démocrate (PLD) en raison de taux d’approbation désastreux. Le PLD tiendra un vote interne pour choisir son successeur le 27 septembre. Informations sur le départ de Kishida.
Le prochain leader devra équilibrer les aspirations du Japon à jouer un rôle plus actif en matière de sécurité tout en évitant de provoquer inutilement ses voisins. La question de savoir si le Japon doit poursuivre la création d’une alliance militaire formelle en Asie reste donc ouverte.
Analyse : une Asie divisée face aux alliances militaires
La proposition d’Ishiba met en lumière les défis complexes de la sécurité en Asie-Pacifique. Contrairement à l’Europe post-Seconde Guerre mondiale, où l’OTAN a été formée face à une menace soviétique commune, l’Asie est une mosaïque de cultures, de systèmes politiques et d’intérêts nationaux divergents.
Un équilibre délicat entre sécurité et diplomatie
Les pays de la région doivent jongler entre la nécessité de se protéger contre des menaces potentielles et le désir de maintenir des relations stables avec la Chine, un partenaire économique majeur pour la plupart d’entre eux. La formation d’une “OTAN asiatique” pourrait être perçue comme une provocation directe par Pékin, risquant d’accroître les tensions et de déclencher une course aux armements.
Les États-Unis et leur stratégie ambiguë
Bien que Washington affirme ne pas chercher à créer une alliance militaire formelle en Asie, ses actions – notamment le renforcement des alliances existantes et l’augmentation des exercices militaires – envoient un message différent. Cette ambiguïté stratégique peut être interprétée de diverses manières par les acteurs régionaux, compliquant davantage la situation.
Réflexions finales
Dans ce grand théâtre géopolitique, chaque acteur joue sa partition avec prudence, mais aussi avec un soupçon de calcul. La proposition d’Ishiba, bien qu’ambitieuse, semble pour l’instant vouée à rester dans le domaine du débat académique.
Peut-être que le ministre japonais de la Défense a simplement lancé un ballon d’essai pour mesurer les réactions, ou peut-être cherche-t-il à se positionner comme un leader fort dans la course à la succession.
Quoi qu’il en soit, il est clair que l’Asie-Pacifique est à un carrefour crucial. Les nations de la région devront décider si elles veulent embrasser une coopération plus étroite en matière de défense, au risque de froisser la Chine, ou si elles préfèrent maintenir le statu quo, en naviguant habilement entre les superpuissances.
En attendant, les diplomates continuent de boire du thé vert lors de réunions formelles, tout en évitant soigneusement de renverser la tasse. Après tout, personne ne veut être celui qui déclenchera une tempête dans cette tasse déjà bien remplie.
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