Plus de 5 000 militaires rwandais sont engagés dans des missions des Nations unies. Une mobilisation internationale qui confère un poids particulier à Kigali. Surtout l’opération face aux djihadistes du Mozambique.
Depuis qu’il est arrivé à la tête du Rwanda le 24 mars 2000, Paul Kagame est parvenu à peser et à jouer un rôle essentiel pour la stabilité de tout un continent – malgré le poids économique et démographique très “léger” de son pays. Un rôle qu’apprécient tout particulièrement les États-Unis et l’Union européenne qui ont trouvé dans le Rwanda un “relais efficace”, pour reprendre les termes d’un diplomate européen, qui leur permet de ne pas devoir envoyer leurs hommes sur certains champs de bataille africains.
Pour parvenir à peser ainsi, le président Kagame (64 ans), qui a commencé sa carrière professionnelle comme directeur adjoint des services de renseignement militaire de l’armée… ougandaise à la fin des années 1980, avant d’être envoyé aux États-Unis pour un stage de commandement militaire au Kansas, a bâti une armée qui est devenue un acteur essentiel des missions des Nations unies en Afrique.
Au 31 mars dernier, pas moins de 5 255 hommes des Forces rwandaises de défense (FRD) étaient engagés dans des missions onusiennes. Elles sont les principales pourvoyeuses de militaires de la Minusca (Centrafrique), de la Minuss (Sud Soudan) et de la Minuad (Darfour). Kigali mobilise ainsi 20 % de ses effectifs militaires (33 000 hommes pour une population totale de 12,5 millions) sous l’égide des Casques bleus.
L’échec de 1994
Impossible de faire abstraction du lien entre ces missions onusiennes et l’histoire sanglante du Rwanda, marqué à jamais par le génocide de 1994 qui demeure, avec le massacre de Srebrenica (7 000musulmans assassinés par les troupes serbes) le symbole de l’échec des Nations unies.
C’est sur cet échec que s’est bâti l’Armée patriotique rwandaise (APR) emmenée par Paul Kagame. C’est elle qui a mis fin aux massacres en prenant la ville de Kigali. C’est elle aussi qui, deux ans plus tard, s’est lancée dans la chasse aux génocidaires sur le sol de l’ancien Zaïre. L’APR a alors multiplié les attaques contre des camps de réfugiés, ce qui lui a valu d’être accusée de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité… sans qu’aucun de ces militaires ou responsables politiques ne soit jamais poursuivi.
Kigali a d’ailleurs toujours nié son rôle dans ces opérations.
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Aujourd’hui, avec son activisme sur les champs de bataille du continent, avec les excellents états de service de ses troupes sur le terrain et le changement de nom de son armée (l’Armée patriotique rwandaise a fait son lifting sémantique en 2002 pour devenir les Forces rwandaises de défense – FRD), les exactions du milieu des années 1990 sont largement “oubliées”, seuls certains Congolais qui ont payé un lourd tribut à ces opérations osent encore revendiquer au minimum un devoir de mémoire.
Opération bilatérale plus rémunératrice
Au fil des ans et de l’expérience acquise, les troupes rwandaises sont devenues une valeur sûre. À tel point qu’en décembre 2020, parallèlement au déploiement du contingent onusien en Centrafrique, l’armée rwandaise a été appelée pour “sécuriser le processus électoral” dans le pays. Plusieurs centaines d’hommes des Forces rwandaises de défense ont été envoyés à Bangui notamment – surtout ? – pour assurer la sécurité du président-candidat Faustin-Ange Touadéra, réélu dès le premier tour.
“Une coopération bilatérale réussie”, pour reprendre les mots d’un proche du président centrafricain. Une “réussite” qui s’est accompagnée d’un renforcement des liens diplomatiques (le Rwanda a annoncé l’ouverture d’une ambassade à Bangui) mais surtout économiques entre les deux États. Dès le mois de février 2021, le premier vol de la compagnie RwandAir atterrissait à Bangui avec à son bord, la ministre rwandaise du Commerce. Quelques jours plus tard, une quarantaine d’hommes d’affaires de Kigali débarquaient à leur tour. Ils étaient accueillis avec les honneurs et Bangui leur promettait de soutenir leurs projets d’investissement.
Début du mois d’août 2021, le président Touadéra était en visite à Kigali pour remercier son homologue rwandais pour “les appuis multiformes”apportés à son pays dans ses “efforts de recherche de la paix, de la sécurité et du relèvement économique”.
Au menu de cette visite, la signature de quatre accords de coopération qui portaient sur l’exploitation minière ; le développement du transport ; la réforme du secteur de sécurité dans le domaine de la défense et un protocole d’entente pour une coopération dans le domaine de la planification économique. Bref, la sécurisation du processus électoral centrafricain a été payante pour le Rwanda.
Billard à trois bandes à Maputo
L’expérience centrafricaine a donné de la visibilité aux troupes rwandaises et renforcé la conviction de Kigali que la diplomatie militaire pouvait s’entendre en dehors des missions de l’Onu dans des partenariats plus rémunérateurs.
Cap dès lors sur le Mozambique. Le pays a découvert une immense réserve de gaz naturel dix ans plus tôt. Trois projets d’exploitation ont vu le jour, menés par l’italien ENI, l’américain Exxon et le français Total. Mais depuis 2017, les autorités mozambicaines doivent faire face à un mouvement de révolte islamiste né dans le nord du pays, non loin de la frontière tanzanienne, là où se situent les projets gaziers. Les actions du groupe djihadiste Ansar Al-Sunna, qui a fait allégeance à l’État islamique, ont poussé le président mozambicain Felipe Nyusi, réticent à toute intervention étrangère, à faire appel aux mercenaires russes de Wagner et aux Sud-africains du groupe Dyck Advisory pour tenter de juguler la progression djihadiste, en vain.
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Début juillet 2021, face à la progression des djihadistes et poussé dans le dos par les groupes industriels internationaux qui ont misé des milliards de dollars dans les projets gaziers, le président mozambicain fait officiellement appel à l’aide militaire des États de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC). Un contingent essentiellement composé de militaires sud-africains, zimbabwéens et botswanais est mobilisé. Parallèlement, Felipe Nyusi se tourne aussi vers le Rwanda. Kigali ne se fait pas prier pour envoyer, le 9 juillet, un contingent de 1000 hommes dans ce pays d’Afrique australe au cœur de la zone d’influence de l’Afrique du Sud. Les forces rwandaises, composées de militaires et de policiers, se positionnent dans les districts de Palma et de Mocimboa de Praia tombés entre les mains des djihadistes depuis le mois de mars. Une attaque, qui a contraint le groupe français Total à stopper son mégaprojet gazier de 16,8 milliards d’euros. Un des plus importants projets de gaz naturel liquéfié d’Afrique.
Face à cette offensive djihadiste, le 12 juillet 2021, l’Union européenne avait aussi décidé de mettre sur pied une mission militaire de formation des forces mozambicaines afin de les aider à lutter contre l’insurrection islamiste.
Un mois plus tard, les autorités mozambicaines et rwandaises annoncent avoir repris le contrôle de Palma.
“Les fondamentalistes veulent installer un califat en Afrique australe”
Au mois de septembre 2021, Paul Kagame se rend au Mozambique, les deux pays viennent de signer un accord de coopération dans les secteurs du commerce et de l’investissement. Lors de ce voyage, le président rwandais assure que ses troupes ne sont pas là pour “protéger des projets privés”, en référence à l’omniprésence du patron de Total dans la région.
Kagame en position de force
En début d’année, le patron de Total, Patrick Pouyanné, est de passage à Kigali et s’entretient avec Paul Kagame. Pour remercier son hôte de son intervention militaire et en guise de “compensation à cette initiative que le Rwanda a financée sur fonds propre jusqu’à maintenant, TotalEnergies pourrait investir dans la production d’électricité au Rwanda”, expliquait en janvier le site AfricaIntelligence. Total veut surtout une reprise rapide du développement de son projet au Mozambique mais sa confiance dans les capacités militaires locales est réduite. Pouyanné a besoin que les troupes rwandaises demeurent au Mozambique. Mais cette présence a un coût, Kagame a fait comprendre que les partenaires de Maputo vont devoir mettre la main à la poche. L’UE a compris le message et négocie pour prendre en charge une partie des coûts de cette intervention. Une “concept note” intitulée “Rwandan Deployment in Mozambique” étudie la possibilité d’un financement des troupes rwandaises (passées à plus de 2 500 hommes) à hauteur de 20 millions €/an. La France pousse pour ce financement qui semble généralement bien accepté à condition qu’une série de garde-fous soient placés dans ce futur accord, notamment sur le respect des droits de l’homme autour de cette mission qui a l’avantage de répondre à la doctrine européenne qui prône “des solutions africaines aux problèmes africains”.
Paul Kagame est en position de force tant vis-à-vis de Maputo que de Total et de l’UE depuis que la guerre en Ukraine a démontré l’impérieuse nécessité de diversifier les sources d’approvisionnement en énergie.
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