La place de l’homme noir dans l’Histoire et de l’art dans notre vie. Ce sont les deux piliers de la réflexion et du travail de Kehinde Wiley, peintre afro-américain tout juste quinquagénaire, devenu mondialement célèbre pour avoir réalisé le portrait officiel du président Barack Obama, en 2018. Même si l’essence et le coeur de son oeuvre ont toujours visé à réinterpréter des grands classiques de la peinture européenne en y intégrant des modèles noirs, « loin des rôles de pages et de courtisanes ». Et c’est bien de cela qu’il s’agit à nouveau dans Le Dédale du pouvoir, le titre de sa nouvelle exposition, imaginée dès 2019 et visible jusqu’au 14 janvier au musée du Quai Branly, à Paris.
On y croise les portraits « en majesté » de onze chefs d’État africains dont une seule femme : Sahle-Work Zewde, présidente de la République d’Ethiopie. Ces onze tableaux monumentaux revisitent des portraits royaux ou aristocratiques européens des siècles derniers avec cheval se cabrant sur fond de nuages menaçants, sceptre, trône doré, canon, rose ou épée. Un apparat riche de dorures et de drapés que tout amateur de musée se souvient d’avoir forcément croisé à de multiples reprises dans les représentations issues des cours d’Italie, d’Espagne, de France, de Grande-Bretagne ou de Portugal, notamment.
A la manière de monarques de la Renaissance
Cette fois, ce sont les personnalités installées au sommet de divers Etats africains qui se donnent à voir au fil de ces onze portraits richement parés. Une provocation pour ceux qui pointent « l’insigne honneur » accordé à de véritables potentats. Les couleurs des oeuvres sont d’autant plus chatoyantes que la salle les accueillant, au rez-de-chaussée du musée du Quai Branly, est plongée dans la pénombre et jalonnée de murs tendus de noir.
Le visiteur y déambule des deux Congo au Sénégal, de l’Ethiopie à Madagascar, en passant par la Côte d’Ivoire, le Ghana, la Guinée, le Nigeria (cf. le portrait d’Olusegun Obasanjo, ancien président, présenté en tête d’article), le Rwanda et le Togo. Croisant ici un homme à cheval ; là, un décor simulant un champ de bataille ; là encore, une scène presque printanière ou bucolique. Dans un éclairant making of, projeté dans une petite salle attenante, le peintre explique ses choix de mise en scène et les conditions dans lesquelles ont été réalisés les différents portraits. Le réseau d’amis et de connaissances africaines de l’artiste lui a donné plus aisément accès aux dirigeants francophones qu’aux anglophones du continent. A charge pour lui d’étoffer son tableau de chasse par la suite…
La question de la majesté, réelle ou supposée, de ces onze dirigeants est balayée d’un simple revers de la main par l’artiste rappelant qu’il n’est pas là « pour juger leurs actes », mais pour voir quelle oeuvre classique ils ont choisi de détourner ou de reproduire pour s’y installer à leur tour. A une seule condition, impérative : le modèle et son entourage ne découvrent l’oeuvre qu’une fois terminée et publiquement exposée.
La primeur de l’ensemble a donc été réservée au public du Quai Branly. Et il faut bien reconnaître que certaines poses, certains choix (affublés d’un canon, d’un glaive, d’un trône doré, ou d’une épée en partie dissimulée) sont particulièrement éloquents et semblent en dire plus sur l’homme ou la femme concerné(e) que si l’Histoire les jugeait. Comme si l’inconscient de ces onze personnes puissantes nous parlait malgré elles… Et puisque l’exposition donne à voir le pouvoir et ceux qui l’exercent, le plus souvent, de manière absolue et sans partage, elle en dit long aussi sur l’imaginaire dont ils rêvent de s’emparer, l’image qu’ils aimeraient renvoyer. Les oeuvres se révèlent alors dans leur cruelle beauté, dévoilant à la fois l’homme ou la femme politique, et sa propre caricature… L’ironie y gagne.
Karin Tshidimba
Renseignements: www.quaibranly.fr
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