“Je jure devant Dieu et le peuple gabonais de préserver en toute fidélité le régime républicain”, “de préserver les acquis de la démocratie”, a notamment déclaré devant des juges de la Cour constitutionnelle le général de brigade Brice Clotaire Oligui Nguema en costume d’apparat rouge de la Garde républicaine (GR), l’unité d’élite de l’armée qu’il commandait.
Des militaires putschistes avaient annoncé le 30 août la “fin du régime” d’Ali Bongo Ondimba, qui dirigeait le Gabon depuis 14 ans (après 41 ans au pouvoir de son père Omar Bongo), moins d’une heure après la proclamation de sa réélection lors de l’élection du 26 août, estimant qu’elle avait été truquée. Le lendemain, ils avaient proclamé le général Oligui président d’un Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI).
Lors de cette prestation de serment, le nouvel homme du Gabon, homme du sérail qui a des attaches familiales avec le clan Bongo a évoqué le renversement du pouvoir après des élections tronquées en expliquant : “Les forces de défense et de sécurité avaient un double choix : soit tuer des Gabonais qui auraient légitimement manifesté, soit mettre fin à un processus électoral manifestement pipé […] C’est en toute liberté, responsabilité que nous avons dit non, plus jamais ça dans notre beau pays le Gabon”.
De Jerry Rawlings à Charles de Gaulle
Dans la foulée, le général Oligui a repris à son compte les propos de l’archevêque anglican et pourfendeur de l’apartheid Desmond Tutu (”Si vous êtes neutres devant une situation d’injustice c’est que vous avez choisi d’être du côté de l’oppresseur”) ou un de ses prédécesseurs, auteur d’un coup d’État au Ghana, Jerry John Rawling (”Quand le peuple est écrasé par ses dirigeants avec la complicité des juges, c’est l’armée qui lui rend sa liberté et sa dignité”) et, sans sourciller, comme un clin d’œil apaisant lancé à la France, il en a aussi appelé à Charles de Gaulle (”Nous, forces de défense et de sécurité, nous avons choisi d’être du côté du peuple et de la liberté”). Dans la foulée, il a annoncé la tenue d’un référendum constitutionnel, la nécessité de réformer le code électoral et la mise en place d’un “code pénal fiable qui garantisse à tous les mêmes chances. Notre pays le Gabon mérite des institutions fortes, crédibles, une gouvernance assainie plus en phase avec les normes internationales en matière de respects des droits humains, des libertés fondamentales, de la démocratie, de l’État de droit […].” Aucun calendrier n’a été évoqué pour envisager le retour du pouvoir entre les mains d’un pouvoir légitimement et démocratiquement élu.
“Le Gabon n’est pas le Niger”
Malgré les messages apaisants lancés par le nouveau pouvoir en place, le coup d’État a été condamné – mollement – par la communauté internationale. “Impossible de laisser passer un coup d’État sans au moins froncer les sourcils”, explique, tout sourire, un diplomate africain qui poursuit. “Mais il faut reconnaître que le système Bongo était devenu impossible à défendre surtout depuis l’AVC dont a été victime le président de la république en 2018”.
“L’homme était terriblement affaibli. L’image qu’il projetait était très mal vue par les Gabonais”, explique de son côté Frédéric Lejeal, auteur du Déclin franco-africain, l’impossible rupture avec le pacte colonial*. Il parle d’une “révolution de palais contre la famille Bongo” et insiste sur “le résultat des élections qui a poussé les militaires à sortir du bois devant le tripatouillage dans les urnes. Personne n’a oublié les violences qui ont entouré la proclamation des résultats de la présidentielle en 2016. On peut dire que dans l’histoire contemporaine du Gabon, il n’y a pas eu un seul scrutin qui n’a pas été entaché de fraude.”
Dans ce contexte de “faillite d’un système et d’une dynastie usée”, selon le diplomate d’Afrique centrale, “le coup militaire était prévisible et il devait se produire rapidement. Si la colère jetait les Gabonais dans la rue, les militaires auraient été des meurtriers ou des exilés. En agissant aussi rapidement, ils ont évité un bain de sang”, poursuit le diplomate. Frédéric Lejeal n’hésite pas : “On peut dire, je l’assume, qu’il y a parfois des coups d’État vertueux”. Le spécialiste de la Françafrique s’explique : “Tout dépend évidemment de la personnalité qui sort de ce putsch. Il y a évidemment des militaires qui sont tentés de conserver le pouvoir. Mais il y a aussi des grands hommes, je pense notamment à Jerry Rawlings au Ghana ou à Obasanjo au Nigeria. Des hommes qui ont pris le pouvoir, qui ont ensuite troqué la tenue militaire pour un costume civil et qui ont fait énormément de bien à leur pays.”
Ambiguïté française en Afrique
Le coup d’État militaire gabonais n’a, c’est une évidence, que peu d’éléments en commun avec ce qui s’est passé au Niger ou plus généralement dans le Sahel. Une région où la France, ancienne métropole, est stigmatisée pour son échec face à la hausse de l’insécurité et à la poussée djihadiste. “Au Gabon, c’est d’abord une affaire gabonaise. Un cri de révolte. Les États-Unis l’ont rapidement compris et ont préféré attendre avant de condamner le coup d’État”, explique Frédéric Lejeal. “Ce qui est étonnant, c’est de voir que Washington semble désormais mieux connaître cette région d’Afrique que Paris qui, lui, semble déboussolé et qui n’a rien vu venir au Sahel ou même au Gabon”, poursuit le diplomate qui met en avant la “condamnation rapide de ce coup d’État. Aujourd’hui, on voit que Paris a tout à fait accepté la situation, que les militaires ont donné les garanties qu’il ne s’agissait pas d’un mouvement anti-français poussé dans le dos par la Russie. Du coup, Paris se retrouve une fois de plus dans une situation très inconfortable sur l’Ouest africain”. “Une démonstration de plus que la France se coupe de plus en plus de l’Afrique. Elle a perdu la connaissance du terrain. Pour les diplomates français, l’Afrique est devenu une tache sur un CV à part des postes comme l’Afrique du Sud, le Sénégal ou l’Éthiopie”, conclut Frédéric Lejeal.
* Ed. L’Harmattan.
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