Histoire du Kenya: La Présence Européenne à Partir de Vasco de Gama Jusqu’à la Colonie Britannique

de la colonisation à l’indépendance en 10 dates

De la Colonisation à l’Indépendance en 10 Dates

1. Le 7 avril 1498: le navigateur Vasco de Gama fait escale à Mombasa

La toute première présence européenne en Afrique de l’Est date de 1498 lorsque le navigateur portugais Vasco de Gama fait escale sur les rivages maritimes de l’actuel Kenya.

Vasco deGama

La statue du navigateur Vasco de Gama

Au cours de l’histoire, la région côtière africaine bordant l’océan indien avait vu pousser et prospérer, sous l’influence des peuples navigateurs et commerçants (arabes, indiens, persans), des cités qui ont bâti leurs richesses à partir du trafic avec l’Inde, mais aussi avec l’Asie mineure et l’Extrême-Orient. Vasco de Gama fut chargé par son souverain de nouer des alliances avec les autorités swahilies afin de soustraire aux Arabes le commerce lucratif des épices et des esclaves.

Pendant les siècles qui ont suivi le passage de l’explorateur, le commerce côtier sera dominé successivement par les Portugais et les Arabes omanais. Ces derniers vont, à leur tour, passer la main à l’Angleterre, la puissance maritime montante du XIXe siècle dont les navires croisaient dans l’océan Indien depuis deux cents ans. La statue du navigateur Vasco de Gama,

2. 1884-1885: La question kényane à la Conférence de Berlin

Les missionnaires commencent à s’installer dans la région à partir des années 1840. C’est en 1884-1885, à la conférence de Berlin, où les grandes puissances occidentales se partagent l’Afrique, que se joue le sort du Kenya qui tomba dans l’escarcelle des Britanniques. La sphère d’influence britannique s’étend progressivement à l’intérieur des terres et comprend aussi l’Ouganda à partir de 1890.

L’administration de la sous-région est dévolue à une société de commerce et de négoce britannique, l’Imperial British East Africa Company (IBEAC), soutenue par Londres.

3. 1er juillet 1895: naissance d’une colonie

Vue aérienne de l’ancienne cité portuaire de Mombasa, Kenya

Lorsque la British East African Company périclite et fait faillite en 1895, la région est placée sous l’autorité directe du gouvernement de Londres sous le nom officiel de « Afrique orientale britannique », avant de se réincarner sous le nouveau nom de « Protectorat et colonie du Kenya », correspondant à l’actuel territoire du Kenya et séparé du protectorat de l’Ouganda.

Sir Arthur Hardinge est le premier gouverneur dépêché par Westminster pour organiser la gestion administrative de la colonie. Pour les colons britanniques, le territoire du Kenya devait servir de porte d’entrée dans l’Ouganda riche en minéraux.Des travaux furent entrepris dès 1895 pour la construction d’un chemin de fer reliant Kampala au front de mer à Mombasa. La voie ferroviaire atteignit le lac Victoria en 1901. 

4. 1920 – 1945 (1):  l’Aliénation des Terres Kényanes

C’est la découverte des hautes terres kényanes, au centre et à l’ouest du pays, aux sols fertiles, bien arrosés, qui conduisit à la colonisation proprement parler du Kenya. La légende des fameux « white highlands » (“hautes terres occupées par les Blancs”) voit affluer dès le tournant du siècle des immigrants venus des îles britanniques, dont de nombreux rejetons d’aristocratie anglaise, à qui l’administration coloniale distribue quelque 12 000 kilomètres carrés des meilleures terres.

L’opération fut menée au mépris des populations locales détentrices des droits sur le sol et expropriées à coup d’ordonnances autorisant l’attribution de domaines aux colons. Les exploitations européennes bénéficient du quasi-monopole des productions d’exportation et de l’abondance d’une main-d’œuvre composée de paysans sans terre (squatters) spoliés par l’administration coloniale.

Cette main-d’œuvre est d’autant plus facilement exploitable qu’elle est contrainte de rechercher un emploi pour payer l’impôt réclamé par le colonisateur. C’est sur fonds de ce scénario d’injustices et d’exploitation que s’organisera la résistance anticoloniale kényane.

5. 1920 – 1945 (2): l’émergence du mouvement nationaliste

La résistance à l’impérialisme se met en place dès les années 1920, notamment parmi la communauté Kikuyu, avec la création en 1921 de la « Young Kikuyu Association » par le jeune militant Harry Thuku. Inspiré par le mouvement d’indépendance indien, ce militant pionnier du nationalisme kényan organisa en 1922 les premières manifestations citadines non-violentes pour protester contre la sous-rémunération du travail et les expropriations des paysans.

Ces manifestations furent violemment réprimées. Dans la foulée d’autres associations virent le jour à la même époque, faisant émerger des personnalités qui ont marqué le mouvement nationaliste kényan balbutiant. C’est en tant que militant au sein de la Kikuyu Central Association dans les années 1920 que se fit connaître le futur “père de la nation”, Jomo Kenyatta.

Envoyé par son association en 1929 à Londres pour faire des études supérieures, il s’engagea dans des recherches au long cours en anthropologie. Pendant son long séjour de seize ans dans la capitale britannique, Kenyatta rédigea son opus magnum Au pied du mont Kenya, considéré comme leur Bible par les indépendantistes kényans.

6. 1952-1956: l’insurrection Mau-Mau et sa brutale répression

Pendant la guerre (Seconde Guerre mondiale), les organisations africaines sont interdites, mais dès 1944 le mouvement nationaliste se fait parler de lui avec la formation d’un grand parti d’envergure nationale, le Kenya African Union (KAU) dont Jomo Kenyatta prend la tête à son retour au pays en 1946. Parallèlement, les conditions de vie des populations se dégradent sous l’effet de la modernisation de l’agriculture dans les plantations européennes, entraînant des expulsions massives des travailleurs africains.

Selon les historiens, la situation dramatique dans laquelle se retrouvent les paysans sans terre au sortir de la guerre est à l’origine de la rébellion mau-mau qui éclate pendant l’été 1952 avec des massacres de civils européens et africains. Cette rébellion avait aussi d’autres motifs, qui vont des inégalités foncières à la discrimination raciale, en passant par la lenteur des réformes politiques promises par le gouvernement colonial.

Or, ce dernier réagit aux premiers actes de violence perpétrés par les rebelles en proclamant l’état d’urgence dès octobre 1952 qui ne sera levé que sept ans plus tard, en janvier 1960. Entre temps, les attaques des insurgés et la répression du mouvement par l’armée firent plusieurs milliers de morts tant parmi les civils que parmi les militaires et conduisit à l’internement de soixante mille personnes dans des véritables camps de concentration.

Selon les estimations officielles, 10 000 Mau Mau perdirent leur vie lors de la confrontation avec les militaires déployés dans les maquis par l’administration coloniale. L’armée captura rapidement les chefs historiques du mouvement, dont le général China, capturé puis gracié, et le légendaire Dedan Kimathi,qui fut  arrêté, condamné, puis exécuté.

Quant à Jomo Kenyatta, identifié par la propagande coloniale comme le cerveau et le principal chef du mouvement Mau-Mau, il fut arrêté dès le début de l’état d’urgence, jugé lors d’un procès-spectacle, et condamné à sept années d’emprisonnement assorties de travaux forcés.

7. 1954-1961: des réformes constitutionnelles tardives

Les Britanniques avaient prévu pour le Kenya un avenir politique semblable à celui de la Rhodésie du Sud (l’actuel Zimbabwe), c’est-à-dire l’autonomie sous un gouvernement essentiellement européen. La violence de la révolte des Mau-Mau les persuada de la nécessité de revoir leurs plans et d’engager des réformes constitutionnelles afin de donner aux représentants de toutes les races des responsabilités dans le gouvernement du Kenya.

En 1944 déjà, en pleine guerre mondiale, l’administration coloniale avait nommé Eliud Mathu, le premier Africain à faire partie du Conseil législatif du Kenya. En 1952, le nombre d’Africains au Conseil législatif est porté à 6, mais ces réformettes s’avèrent insuffisantes car elles ne changeaient pas l’équilibre des pouvoirs, avec les Européens continuant de dominer le corps législatif.

La nouvelle Constitution, connue sous le nom de « Constitution Lyttleton » adoptée en 1954, permet aux électeurs africains d’élire leurs candidats au conseil législatif. Les premières élections nationales organisées dans le cadre de ce nouveau processus constitutionnel ont lieu en 1957 et désignent les représentants africains des sept provinces au Conseil législatif. Elles favorisent l’émergence de nouveaux dirigeants tels que Tom Mboya, Odinga Oginga, Roland Ngala ou encore Daniel Arap Moi qui seront les figures majeures de la vie politique kényane postcoloniale.

Au cours de cette dernière décennie de la période coloniale, on assiste aussi à la formation de partis politiques rivaux, notamment le Kenya African National Union, créée en 1960, par la fusion de la Kenya African Union (KAU) fondée par Jomo Kenyatta, le People’s Congress Party (PCP) et le Kenya Independent Movement (KIM) et le Kenya African Democratic Union (KADU) créée en 1960 par Ronald Ngala, afin d’offrir une alternative au KANU. Ces partis seront les principaux interlocuteurs de Londres lorsque s’ouvrent les négociations pour l’indépendance.

8. 14 août 1961: libération de Jomo Kenyatta

Après avoir été l’opposant farouche de l’ordre colonial, l’homme qui sort de prison le 14 août 1961 se présente « comme le garant de l’ordre contre la menace de subversion » (2), comme l’a écrit Hélène Charton, l’historienne du Kenya. Il sera l’interlocuteur idéal de Londres dans les négociations qui s’engagent   pour la transition vers l’indépendance, tout en préservant les intérêts britanniques sur place.

Prônant la réconciliation, il soutient le projet britannique de vendre, avant la passation de pouvoirs, 1,2 millions d’acres de terres européennes à des petits propriétaires africains grâce à un système de prêts, connu sous le nom de “le Million Acre Scheme”. « Le Million Acre Scheme reconnut à la minorité européenne le droit de vendre des terres qui ne leur « appartenaient » pas », poursuit l’historienne Hélène Charton.

L’homme dirigea également la délégation kényane à la conférence constitutionnelle qui se tint à Londres en février 1962, qui fixa les modalités de l’autonomie interne effective, après les élections de juin 1963. Son parti, la KANU, remporta le scrutin avec deux tiers des voix dans tout le pays. Jomo Kenyatta devient Premier ministre.

9. 12 décembre 1963: indépendance

L’indépendance est proclamée le 12 décembre 1963. A 00 heure pile, suite à une cérémonie solennelle à l’Uhuru Gardens (« les Jardins de la liberté »), à Nairobi, le drapeau du nouvel État fut hissé et le gouverneur britannique, représentant la Reine, transmit le pouvoir au gouvernement kényan dirigé par Jomo Kenyatta, celui qu’on appelait déjà le « père de la nation ». Un an après, le 12 décembre 1964, la république du Kenya est proclamée, avec Jomo Kenyatta devenant président de la nouvelle entité.

10. 1963-2023: Indépendance et après

Depuis l’indépendance du Kenya en 1963, cinq présidents se sont succédé à la tête du pays. A la disparition de Jomo Kenyatta en 1978, son vice-président Daniel Arap Moi a assuré le leadership présidentiel jusqu’à 2002, conformément à la provision constitutionnelle limitant la durée de la présidence à deux mandats de 5 ans.

Depuis, Mwai Kibaki et Uhuru Kenyatta ont été les hôtes successifs de la State House à Nairobi, l’quivqlent de l’Elysée à Paris. Le dernier président en date est William Samson Ruto, élu à la magistrature suprême le 15 août 2022.


(1)    Pour être complet sur les Mau-Mau, il conviendra de rappeler qu’il y a dix ans, à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’indépendance du Kenya et à la faveur de la déclassification des archives, le Royaume Uni a reconnu la brutalité de la répression perpétrée contre les rebelles mau-mau, laissant entendre que le gouvernement va indemniser les victimes.

(2)    « Jomo Kenyatta et les méandres de la mémoire de l’indépendance du Kenya », par Hélène Charton, dans Vingtième Siècle, revue d’Histoire 2013/2, numéro 118, pp 45 à 59.

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