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Fin janvier 2025, l’armée rwandaise s’est emparée de la ville de Goma parachevant ainsi la conquête de la province du Nord Kivu en RDC. Aussitôt après, un sommet conjoint des chefs d’État des organisations régionales EAC et SADC s’est tenu à Dar Es Salam en Tanzanie et a recommandé aux belligérants un cessez-le-feu immédiat et sans conditions.
Mais à peine moins de 15 jours plus tard, les troupes de Paul Kagame s’emparaient de la ville de Bukavu, capitale de la province du Sud Kivu, le 15 février 2025. Et comme par coïncidence ou pour faire un pied de nez à ces organisations régionales et à l’Union Africaine, l’assaut de Paul Kagame sur Bukavu fut lancé au moment où se tenait le sommet annuel de l’UA à son siège d’Addis Abeba. Voyons comment et pourquoi on en est arrivé là.
Evolution sur le terrain depuis le sommet conjoint EAC-SADC
Durant la première quinzaine de février 2025, beaucoup s’attendaient à évolution allant dans le sens des résolutions et décisions du sommet conjoint des chefs d’Etats de l’EAC et de la SADC tenu à Dar Es Salaam le week-end du 8-9 février 2025.
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En effet, ce sommet, qui s’est tenu juste après la prise de la ville de Goma, capitale du Nord Kivu par les troupes des forces spéciales (unités des commandos cantonnées aux camps Bigogwe et Mudende) directement venues du Rwanda au profit de leur M23/RDF, a, dans ces résolutions, exigé aux deux belligérants, mais sans contraintes, un cessez-le-feu immédiat et sans conditions, et aux instances habilitées (chefs d’Etat-majors des armées de ces pays, ministres des Affaires étrangères) d’élaborer et de présenter dans les 30 jours une feuille de route pour restaurer la paix et l’intégrité territoriale de la RDC ainsi que les mesures d’accompagnement.
Le cessez-le-feu immédiat ne fut jamais respecté, mais au contraire on a noté la poursuite des combats par l’armée de Kagame sous son M23 pour la conquête du Sud Kivu. En effet, la progression du M23/RDF au Sud Kivu, a été fulgurante et les localités et communes sont tombés une à une tombent une à une jusqu’à la prise de Bukavu le 16 février 2025. Rien n’était encore sorti de la réunion des Chefs EM qui devait se tenir en principe à partir de jeudi 13/2/2025.
Pendant ce temps s’est ouvert le sommet ordinaire des chefs d’Etats de l’UA les 15 et16 février 2025. Ce fut, comme par coïncidence, l’occasion pour Paul Kagame avec son M23 de prendre Bukavu, après la prise de l’aéroport de Kavumu vendredi 14/2/2025
On a aussi noté aussi une étrange initiative et démarche des chefs religieux catholiques et protestants qui sont allés rencontrer le président Kagame à Kigali.
En conquérant le nord et le sud-Kivu, Paul Kagame lance un message fort à l’Afrique et au reste du monde : la « République du Kivu » peut donc être déclarée d’un moment à l’autre en attendant que les formalités juridico-diplomatiques soient remplies pour que cette “république” soit rattachée au Rwanda.
Signes indiquant l’acceptation du fait accompli
Pour en arriver là, des signes avant-coureurs ont montré que la balkanisation de la RDC et le rattachement de sa partie Est au Rwanda de Paul Kagame devait et allait être accepté comme un “fait accompli”.
On a ainsi noté la médiatisation de la prestation de serment des autorités administratives du Nord Kivu nommées par le M23/RDF ; la médiatisation de Corneille Nangaa et donc de son AFC/M23 dans les médias occidentaux comme son interview dans le quotidien belge « Le Soir » ; l’allégeance apportée par les leaders religieux catholiques et protestant au même Corneille Nangaa, qui leur a accordé une audience à Goma.
A ces signes qui ne trompent pas, il y a lieu d’ajouter la diabolisation de l’Afrique du Sud et du Burundi. Paradoxalement ces seuls états qui ont compris le danger que constitue Paul Kagame de part son obsession expansionniste et hégémonique et qui souhaitent la paix dans la région, sont systématiquement diabolisés par les médias et certaines instances promouvant le conquérant Paul Kagame.
Ces deux pays soutiennent la RDC dans sa résistance contre l’envahisseur sous des mandats différents. En effet l’Afrique du Sud déploie ses troupes en RDC comme casques bleus de l’ONU de la MONUSCO, mais aussi dans le cadre de la force envoyée par la SADC.
Quant au Burundi, voisin de la RDC, il a signé avec ce pays un accord bilatéral de défense et donc qui est mis en application car la RDC doit se défendre.
Mais voilà que Paul Kagame insère dans ses conditions pour un cessez-le-feu, même humanitaire, l’exigence que l’Afrique du Sud devrait retirer ses troupes de RDC car ce pays serait belligérant alors qu’il ne fait que remplir la mission assignée par la SAMIDRC.
Le même agresseur Kagame accuse et menace ouvertement le Burundi d’être son prochain objectif pour avoir envoyé des troupes appuyer les FARDC. Et quand le président du Burundi déclare que son pays se défendra en cas d’invasion par l’armée de Paul Kagame, ce dernier l’accuse de tous les maux et exige des sanctions de la part des institutions internationales. Déjà, les institutions de Bretton Wood (FMI, Banque Mondiale) sont à la manœuvre avec leur imposition des mesures aussi obscures que assassines comme les ajustements structurelles, une dévaluation permanente de la monnaie nationale qui en est déjà à 1 $ pour près de 3 000 Fr Bu, un refus d’accorder des crédits, l’ordre de payement des crédits précédents exigé avant échéances, etc.
A cette liste des signes du fait accompli s’ajoute le fait que la désinformation et le cynisme de Paul Kagame sont répercutés à profusion par certains médias internationaux. Ainsi dans l’hebdomadaire Jeune Afrique, Paul Kagame, répond aux questions avec arrogance et menaces et renvoie la balle à Kinshasa et à Bujumbura lorsqu’on lui demande pourquoi il déstabilise ses voisins et donc toute la région. Il déclare:
« Ce que nous avons entendu de la part des présidents du Burundi et de la RDC, ce ne sont que des menaces constantes à l’égard du Rwanda […]. Ce sont eux qui ont créé cette situation en cherchant la confrontation, en incitant à l’action et en évoquant le renversement du gouvernement rwandais. Ce sont eux, les dirigeants burundais et congolais […], qui cherchent à fomenter un conflit régional élargi basé sur les tribus, les groupes ethniques et toutes sortes d’autres facteurs qui relèvent d’une conception primitive de la politique.»
Or c’est lui qui se sert de l’ethnisme et du tribalisme depuis 1990 pour conquérir et prendre le pouvoir dans certains pays, annexer les parties d’autres états, piller les ressources des pays voisins. Il a en plus massacré des peuples entiers au Rwanda, au Burundi et surtout en RDC, sous le prétexte de défendre les intérêts des Tutsi et assimilés où qu’ils soient.
Les déclarations ambiguës et floues du sommet des chefs d’Etats de l’UA qui vient de se tenir à Addis Abeba ne peuvent que profiter à l’agresseur.
Comme on pouvait s’y attendre, la déclaration du sommet des chefs d’Etats de l’UA au sujet de la guerre à l’Est de la RDC est évasive et traduit l’ambiguité de l’UA sur des sujets aussi sensibles que celui de la balkanisation de la RDC décidée par certaines puissances et mise en exécution par Paul Kagame. L’UA a en effet appelé au « retrait immédiat du M23 et de ses partisans de toutes les villes occupées», sans nommer le Rwanda.
Dans les coulisses on a même noté que beaucoup ont évité le sujet ou ont choisi de l’évoquer en des termes très flous. Mais c’est compréhensible dans la mesure où Paul Kagame fait trembler presque tous ces chefs d’Etat car beaucoup sont ses complices et d’autres ses obligés. C’est pourquoi l’Union Africaine n’a jamais pointé la responsabilité du Rwanda dans cette guerre.
Parmi les questions qui se posent maintenant il y a celle du devenir des actuels médiateurs, le kényan Uhuru Kenyatta, et surtout l’angolais João Lourenço, qui assure désormais la présidence tournante de l’organisation, et que le président rwandais juge trop proche des positions de Kinshasa. Il ne peut donc plus jouer ce rôle dès lors que Paul Kagame le récuse.
Paul Kagame, toujours gagnant dans ses aventures de conquête ?
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Quelles garanties Paul Kagame a-t-il de continuer à réaliser ses rêves fous, à récidiver dans les crimes contre l’humanité et contre le droit international, et tout cela sans être inquiété. Paul Kagame le doit à certains facteurs qu’il est le seul à en être doté, plus que de ses peu probables capacités intellectuelles ou militaro-stratégiques.
D’abord, sur le plan interne, Paul Kagame jouit du fait que la dictature et l’Apartheid qu’il a installés au Rwanda depuis sa conquête venant d’Ouganda il y a plus de 30 ans et soutenu par les puissances qui dominent le monde, cela lui permet de décider de tout et même de commettre ouvertement des crimes sachant qu’il n’aura de compte à rendre à personne parmi la population conquise, ce qu’un autre chef d’Etat au monde ne peut se permettre.
Ensuite, en RDC, il sait exploiter à son profit le fait que presque toutes les personnalités de la classe politique congolaise ne sont mues que par l’obsession d’accéder au pouvoir en remplaçant celles qui l’exercent sans tenir aucunement compte des intérêts supérieurs de la Nation comme l’intégrité du territoire ou le bien-être du peuple.
Paul Kagame les utilisent donc pour conquérir ou balkaniser la RDC, comme il a utilisé certains Hutu du Rwanda qui n’avaient comme tout projet politique que le remplacement à la présidence de Juvénal Habyarimana. Et quand le FPR de Kagame les a convaincu qu’avec lui ils y parviendraient, ils n’ont pas hésité à devenir des complices de l’ennemi en temps de guerre. Leur suite on la connait : seuls le FPR et Paul Kagame règnent sur le Rwanda de l’après Juvénal Habyarimana.
Et puis, sur le plan régional, Paul Kagame joue sur la solidarité tribale et ethnique suscitant des fantasmes hégémoniques et des convictions sans fondement comme le mythe voulant que les ‘‘nilo-hamites’’ devraient régner sur les Bantous car ils seraient “naturellement” les plus intelligents et donc plus aptes à gouverner. Ainsi, il compte tout le temps sur l’Ouganda aux mains du Hima d’Ankole Musevevi, le pays dont il fut officier dans l’armée et d’où il est venu pour conquérir le Rwanda. Et particulièrement il a dans ce pays un agent et allié plus engagé que lui-même. Il s’agit du général Muhoozi Kainerugaba, fils du président Museveni et son dauphin au trône d’Ouganda, qui est actuellemment le chef d’Etat-Major Général des armées de ce pays. Ainsi, dans ces toutes dernières sorties tonitruantes dont il est habitué, il vient de déclarer vouloir à son tour conquérir les villes de Beni et Bunia en Ituri, comme son “oncle” Kagame vient de conquérir Goma et Bukavu au Nord et au Sud Kivu. Paul Kagame compterait aussi sur le Kenya, le Soudan du Sud, l’Ethiopie et la Somalie qui dont certains politiciens , qui dans leurs fantasmes, considéreraient que les Tutsi seraient leurs descendants et donc qu’ils faudrait soutenir dans leur conquête de la région pour dominer les autres tribus.
Sur le plan international, Paul Kagame brandit le chantage du génocide de 1994 qu’il a pourtant déclenché le 06 avril 1994 pour causer le chaos propice à la conquête du Rwanda. C’est pourquoi il n’hésite pas à prévenir et à menacer à plusieurs occasions en disant : «…entre faire face à une menace existentielle et faire face aux menaces d’être puni par des sanctions extérieures, sans hésiter, je braque mes armes sur la menace existentielle ».
Et sur le même chapitre, il menace de révéler les secrets communs avec les puissances occidentales en compromission dans la guerre d’agression contre le Rwanda, l’assassinat de deux chefs d’Etats en exercice en 1994, la conduite du génocide au Rwanda, l’invasion du Zaïre et le renversement du maréchal Mobutu, le pillage des ressources minières de la RDC, etc. Ce chantage lui réussit.
A qui dépend le sort de la RDC et celui du Burundi ?
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Le sort des deux chefs d’Etat qui sont dans le collimateur ou déjà sous les coups de l’hégémonique conquérant Paul Kagame que sont la RDC et le Burundi, dépend de plusieurs facteurs entre les mains d’acteurs différents. Leur efficacité dépend aussi de chaque cas spécifique.
En RDC, le gouvernement en fonction, qui a dans ses devoirs de défendre l’intégrité du territoire national et assurer la sécurité de sa population, et donc qui devrait s’en donner les moyens. Ce qui n’est pas le cas actuellement.
Les FARDC, comme les défenseurs du pays et du peuple, devraient être au-dessus des clivages politiques régionaux ou tribaux pour uniquement s’atteler à cette tâche et noble devoir pour lesquels ils ont juré de se consacrer même jusqu’au sacrifice suprême. Mais ce n’est pas toujours le cas.
La classe politique congolaise qui, actuellement n’est obsédée que pour les hauts postes étatiques quelqu’un soient les moyens pour y parvenir, ont une lourde responsabilité quand elle ignore l’intérêt supérieur de la Nation jusqu’à s’allier à un ennemi pourvu qu’il leur permette de renverser le régime en place et démocratiquement élu.
Mais tous ces acteurs : gouvernement, FARDC, classe politique, religieux et société civile, …, devraient avoir toujours à l’esprit que dans toute guerre quand les négociations sont envisagées ou engagées, la logique et le principe absolu est que: “C’est le rapport des forces militaires sur le terrain qui donne du poids aux arguments juridico-diplomatiques de chaque partie en négociations.”
Lorsque ces négociations sont envisagées par une partie en conflit, il faudrait donc veiller à ce que le rapport de forces soit favorable ou tout au moins équilibré pour que ses arguments sur la table des négociations pèsent ou même soient écoutés.
Or, dans la situation actuelle, il apparait clairement que le rapport de forces sur le terrain est favorable au Rwanda de Paul Kagame et donc à ses supplétifs du M23/AFC. Ce seraient donc leurs exigences qui seraient dictées à la RDC pour signature et ensuite présentées comme des “accords de paix”. A moins que les FARDC ne parviennent à changer quelque soit peu ce rapport de forces militaires. Sinon appeler uniquement aux négociations sans tenir compte de ce facteur, ce serait irresponsable et à la limite de la trahison.
Au Burundi, le gouvernement en fonction n’a pas beaucoup de choix et devrait prioriser la défense de l’intégrité territoriale et la sécurité de sa population, mais aussi les acquis de la démocratie chèrement acquise et dont fut longtemps privée le peuple.
Les FDNB actuelles, comme forces de défense véritablement nationales contrairement à celles du voisin du Nord qui sont monoethniques, ceci devraient booster leur détermination à défendre la Nation et servir de modèle à la population en terme d’unité et de cohésion car l’ennemi compte jouer là-dessus.
La classe politique et la société civile devraient faire un examen de conscience et cesser d’être obsédées par le seul souhait du renversement du régime en place quel qu’en soit la cause (catastrophe naturelle, par les conquérants venus de l’extérieur, en trahissant au profit de l’ennemi, etc.), alors qu’ils ont, tous les cinq ans, l’occasion de le remplacer pacifiquement par les urnes. Hélas ! une maladie qui semble endémique chez presque tous les politiciens africains quand ils sont dits “ opposants”, celle de vouloir accéder au pouvoir à tout prix.
Au Rwanda, en 1990-1994, une de ces catégories d’acteurs, à savoir la classe politique, pour n’avoir pas compris le jeu de l’ennemi d’alors qu’était le FPR du même Paul Kagame et pour avoir confondu l’alternance à la tète de l’Etat et l’intérêt supérieur de la Nation, a contribué à la conquête du Rwanda, au rejet des acquis de la révolution sociale de 1959 (la république dans la démocratie) et au retour d’un régime dictatorial actuel avec Paul Kagame comme monarque absolu.
Est-il encore temps ou c’est trop tard? L’avenir proche va le dire, même si un adage dit qu’“il n’est jamais trop tard pour bien faire”.
Emmanuel Neretse
Echod’Afrique.com / MCP , via mediacongo.net
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