Premier ministre Masra
Masra est d’abord un enfant du sud du Tchad. Il est né à Béboni, non loin de Doba, dans la province du Logone Oriental, le 30 août 1983. Selon son récit, il vient d’une famille modeste, et a dû travailler pour pouvoir payer ses frais de scolarité, à l’école locale puis à Sarh, dans le secondaire. Il dit en avoir tiré une maxime : « Répondre présent, comme à l’appel du maître, dans le combat de la vie. »
Brillantes études La suite, ce sont de brillantes études, des bourses et une litanie de diplômes : Université catholique d’Afrique centrale à Yaoundé, Université catholique de Lille, Sciences-Po Paris, Harvard, Oxford, et un doctorat en économie à la Sorbonne sur l’Afrique face aux défis de l’économie post-pétrole. Il cite souvent ses références.
Nelson Mandela en priorité, qui figure sur une fresque au siège du parti Les Transformateurs, au quartier Abena dans le 7e arrondissement de Ndjamena. De Madiba – surnom de Mandela – il met en avant la recherche du dialogue et du dépassement de soi. Thomas Sankara et Martin Luther King reviennent dans ses conversations. Barack Obama aussi, avec qui il partage le goût du basket-ball, les photos sur les playgrounds, et une certaine allure. Grand, athlétique et élégant, excellent orateur, Succès Masra soigne ses apparitions.
Il mobilise massivement dans certains quartiers de la capitale et dans le sud du Tchad, comme l’a montré la caravane menée récemment à son retour d’exil. Il insiste sur le besoin de justice, de diversité et d’égalité entre les communautés tchadiennes, ce qui séduit la jeunesse, qui n’a connu que la main de fer des années Déby. Son éducation et son éloquence lui permettent de tisser des réseaux aux États-Unis, en Europe et dans les principales capitales d’Afrique francophone.
Après des expériences dans le privé, le tournant politique Après des expériences dans le privé, Succès Masra rejoint la Banque africaine de développement (BAD) en tant qu’économiste financier principal. Mais le goût pour la politique le rattrape : en pleine mobilisation contre le projet de quatrième république porté par le président Idriss Déby, Succès Masra lance le mouvement Les Transformateurs, en avril 2018. La nouvelle Constitution relève l’âge plancher pour participer à l’élection présidentielle, ce qui exclut l’opposant du scrutin de 2021.
En avril de cette année-là, Idriss Déby meurt au front, Succès Masra fait partie de ceux qui refusent la « transition dynastique du pouvoir », et ne participe pas au Dialogue national inclusif et souverain (DNIS). Le 20 octobre 2022, alors que la transition est prolongée pour 2 ans suite aux conclusions du DNIS, l’opposition tente de mobiliser.
Le gouvernement dénonce une « tentative d’insurrection populaire et armée avec l’appui de forces extérieures afin de déstabiliser le pays ». La répression est brutale : le « jeudi noir » fait entre 73 morts, selon les autorités, et au moins 218, selon le rapport de la Ligue tchadienne des droits de l’homme. Parmi les victimes, de nombreux militants des Transformateurs. Succès Masra et des cadres du parti parviennent à passer au Cameroun. Suivra une année entre trois continents.
Certaines de ses déclarations lui valent des poursuites et des accusations de « divisionnisme ». Retour et revirements Après de longues tractations, et des déclarations mettant en avant le besoin de « réconciliation nationale », Succès Masra signe avec le gouvernement l’accord de Kinshasa, suite à la facilitation de la présidence congolaise, qui lui permet de rentrer au pays le 3 novembre 2023. Il rencontre Mahamat Idriss Déby le 22 novembre.
Les deux hommes se donnent du « mon frère ». L’opposant dit vouloir « se faire l’écho du peuple, qui est le co-pilote de la transition, et l’aider à dépasser les turbulences pour atterrir sur l’aéroport de la démocratie ». D’abord discret sur la question du référendum constitutionnel, il plaide pour le « ni-oui ni-non » tant le sujet est sensible au sein des Transformateurs, où beaucoup défendent le fédéralisme.
Mais alors qu’il mène une grande tournée dans le sud, aux allures de pré-campagne présidentielle, où il martèle son programme électoral, il change de positionnement mi-décembre, et opte pour le « oui » à la Constitution, qu’il qualifie de « moindre mal ». Il se justifie par la nécessité d’achever la transition et d’aller au plus vite aux élections. Les partisans du texte se satisfont de la « sortie de l’ambigüité », ses adversaires déplorent un « double langage », voire une « duplicité ».
Des critiques qui reviennent depuis sa nomination le 1er janvier 2024 au poste de Premier ministre. L’opposant Max Kemkoye dénonce ainsi un Succès Masra « au service, à quatre pattes, pour faire en sorte que Mahamat Idriss Déby soit élu président pour que la dynastie s’installe désormais au Tchad ». Beaucoup s’interrogent sur ses marges de manœuvres et craignent « un piège » tendu par le président Mahamat Idriss Déby, homme de la même génération et de la même ambition.
Le gouvernement, formé le 2 janvier, reprend l’architecture de l’équipe de Saleh Kebzabo, son prédécesseur à la primature, qui lui porte par ailleurs une sérieuse inimitié, que certains appellent plutôt de la « jalousie ».
Pour plusieurs analystes, Succès Masra prend son risque : celui d’entrer dans le système, pour tenter d’influer de l’intérieur sur l’organisation d’une présidentielle à laquelle il compte bien concourir, pour passer du « balcon de l’espoir » des Transformateurs, au « palais Toumaï » où siège la présidence du Tchad.
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