Le pays d’une centaine de millions d’habitants est coutumier du phénomène. A titre d’exemple, les élections mobilisent régulièrement les trolls employés par les ultras des différents partis pour décrédibiliser leurs adversaires, entre le camp des « Talibans » favorables au président Félix Tshisekedi et celui des opposants surnommé « Pyongyang ».
La désinformation a atteint des sommets à mesure que les rebelles progressaient dans le Nord-Kivu, s’emparant de vastes pans de territoires. Et attise encore un peu plus les tensions entre la RDC et le Rwanda, accusé de soutenir la rébellion majoritairement tutsi qui a repris les armes fin 2021.
« On assiste à un nombre croissant de fausses nouvelles en RDC, qui, dans la plupart des cas, sont diffusées à dessein par tel ou tel camp », affirme à l’AFP Patrick Maki, rédacteur en chef du journal en ligne congolais Actualité.CD.
L’AFP a déjà publié sur son blog de factchecking une dizaine d’articles réfutant les fausses affirmations qui circulent. Mais il ne s’agit que de la partie émergée de l’iceberg: chaque jour, des dizaines de comptes pro-M23, pro-Rwanda ou pro-Kinshasa inondent Twitter, Facebook et WhatsApp de rumeurs aussi nombreuses qu’invérifiables.
– Avantage sur le terrain –
Savoir qui a l’avantage sur le terrain constitue l’un des principaux enjeux de cette bataille informationnelle. Ces dernières semaines, alors que la rébellion étendait rapidement son territoire face à une armée qui semblait incapable d’arrêter sa progression, de nombreux messages assuraient au contraire que les combattants du M23 étaient en déroute.
Une vidéo virale annonçait la libération par les forces armées congolaises (FARDC) de Bunagana, ville stratégique à la frontière ougandaise prise en juin par le M23. Or, malgré le pilonnage de la zone par des avions de chasse congolais, la cité se trouve encore aujourd’hui sous contrôle rebelle.
Au même moment, des publications très partagées assuraient, photos à l’appui, que des dizaines de « terroristes rwandais » du M23 avaient été arrêtés ailleurs dans l’est. Ces images dataient en fait de 2021 et montraient des miliciens banyamulenge dans la province voisine du Sud-Kivu.
Opérant depuis Kinshasa, des jeunes chargés de distiller ce genre de propagande « ne maîtrisent même pas la cartographie de la région et utilisent des photos prises dans des villages qui n’ont rien à voir avec le territoire occupé par le M23 », explique Patrick Maki.
« Le gouvernement a levé une armée numérique », abonde Israël Mutala, président de l’association des médias en ligne de la RDC (MILRDC) et rédacteur en chef de 7sur7.cd. « Et pour une fois, quel que soit leur bord politique, il y a parmi les Congolais un consensus qui fait taire les divisions. Un seul ennemi commun : (le président rwandais) Paul Kagame ».
Si en retour, Kigali s’efforce de présenter ce conflit comme un problème congolo-congolais, niant toute responsabilité, les rebelles, eux, « ont multiplié les faux profils sur Twitter et diffusent de fausses nouvelles pour répandre leur idéologie, attirer la sympathie ou faire croire que les populations sous leur occupation leur sont favorables », relève le journaliste Patrick Maki.
Des images mettent par exemple en scène des combattants en treillis travaillant aux côtés d’habitants à la réfection d’un pont près de Rutshuru, lors des travaux communautaires – « salongo » en lingala – mis en place après le départ des FARDC, comme pour démontrer leur capacité à administrer les zones occupées.
– Guerre par procuration ? –
Les intox alimentent aussi le récit fallacieux d’une guerre par procuration avec d’un côté les Russes, de l’autre les Occidentaux. En novembre, certains comptes pro-rebelles ont usurpé l’identité de journalistes de France 24 pour affirmer que la RDC recevait l’appui de la Russie avec l’arrivée de chars de combat.
Les pro-pouvoir ont accusé un avion français en détresse obligé d’atterrir à Kisangani (nord-est) de ravitailler les rebelles en armes, ou encore l’ONU d’imposer au gouvernement un embargo sur les armes – donc de soutenir la rébellion.
« C’est plus simple de parler de complot, de se défausser sur la communauté internationale, que de dire aux gens qu’on n’a pas d’armée, parce qu’elle sous-équipée, minée par les luttes internes et infiltrée par l’ennemi », ironise sous couvert d’anonymat un parlementaire congolais, pourtant proche de la majorité.
L’accès difficile à cette région troublée complique le rétablissement des faits, comme l’a montré le récent massacre de Kishishe, en territoire de Rutshuru.
Kinshasa parle d’environ 300 civils tués par les rebelles, quand une enquête préliminaire de l’ONU évoque 131 victimes. Mais toutes ces estimations se basent sur des témoignages, faute d’avoir pu se rendre dans cette zone contrôlée par le M23, qui dément catégoriquement.
Les seuls supposés observateurs extérieurs à s’être rendus à Kishishe depuis la tuerie sont deux hommes qui se présentent comme journalistes mais sont connus comme étant de fervents soutiens du régime rwandais.
Soyez le premier à commenter