Mali-Niger-Burkina: une monnaie commune, à quel prix?
Le général Abdourahmane Tiani, chef du régime militaire au Niger, a remis cette ambition sur la table dimanche soir dans une interview télévisée, estimant que la création d’une telle monnaie constituait une étape nécessaire pour que le Niger, le Mali et le Burkina sortent de la colonisation et recouvrent leur souveraineté.
La semaine dernière, c’est le président de transition burkinabè, le capitaine Ibrahim Traoré, qui abordait le sujet et rappelait sa volonté de couper tout lien avec la France. Depuis que ces trois pays ont annoncé leur départ de la Cédéao, le 28 janvier dernier, la création d’une monnaie commune est donc présentée comme une prochaine étape.
Son possible nom, le Sahel, a déjà été éventé par des personnalités proches des régimes malien, nigérien et burkinabè. Sur les réseaux sociaux, des modèles des futurs billets ont même été proposés, à l’effigie du colonel Assimi Goita, du capitaine Ibrahim Traoré et du général Abdourahmane Tiani.
Quitter l’UEMOA pour quitter le franc CFA Pour lancer leur monnaie commune, les pays de l’AES devront d’abord quitter l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA ), dont les huit pays membres ont pour monnaie commune le franc CFA. RFI a interrogé des économistes et des juristes indépendants, ainsi que des experts internes de l’UEMOA : tous vont dans le même sens, avec des arguments à la fois juridiques, liés aux traités qui régissent l’UEMOA, et politiques, vu le contexte dans lequel la question se pose.
Du fait de l’histoire de sa construction, deux traités régissent actuellement le fonctionnement de cet espace : le traité UMOA (Union monétaire ouest-africaine) et le traité modifié de l’UEMOA, qui le complète. Les experts sollicités par RFI se fondent notamment sur l’article 3 du traité UMOA, selon lequel « les États membres s’engagent, sous peine d’exclusion de l’UMOA, à respecter les dispositions du présent traité, du traité de l’UEMOA et des textes pris pour leur application », et sur l’article 103 du Traité modifié de l’UEMOA qui fixe les conditions d’adhésion des États membres.
Ces textes semblent pourtant laisser une fenêtre de tir aux pays de l’AES, puisqu’ils indiquent qu’un pays ne peut quitter le franc CFA sans quitter l’UMOA, mais sans être aussi catégorique pour ce qui concerne l’UEMOA. « C’est vraiment un tout », explique une source au sien de l’UEMOA, qui rappelle que les différentes instances de décision de l’UEMOA sont communes aux huit États membres. Au-delà d’un éventuel débat juridique, les experts interrogés rappellent aussi l’aspect politique de la question : en substance, ils expliquent que les pays membres défendant l’intérêt de leur Union, on voit mal la conférence des chefs d’État de l’UEMOA accepter de laisser trois pays « rebelles » s’affranchir de certaines règles – monétaires – et continuer de bénéficier d’autres avantages, douaniers notamment.
Impossible juridiquement, irréaliste politiquement : les experts interrogés excluent donc unanimement cette possibilité. Or les trois pays de l’AES ont annoncé fin janvier leur départ de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), mais pas de l’UEMOA. Or ce maintien est aujourd’hui un filet de sécurité pour les pays de l’AES, comme l’a d’ailleurs rappelé le chef de la diplomatie malienne, Abdoulaye Diop, puisqu’ils continueront de bénéficier, au sein de cet espace, de la libre circulation des biens, des personnes et des marchandises.
Les membres de l’UEMOA bénéficiant sur ces points des dispositions similaires à celles de la Cédéao. Héritage colonial, déjà en sursis Pour abandonner le franc CFA et se doter d’une politique monétaire propre, le Mali, le Niger et le Burkina devront donc accepter de perdre les avantages qu’offre l’appartenance à l’UEMOA, sur lesquels ils comptent actuellement pour limiter les conséquences économiques et humaines de la sortie de la Cédéao.
C’est le prix à payer pour s’affranchir d’une monnaie que les dirigeants de l’AES considèrent comme une tutelle. Son nom rappelle d’ailleurs à lui seul et sans équivoque l’héritage colonial que constitue le franc CFA. Un héritage colonial symboliquement très fort, mais déjà en sursis, puisque la Cédéao et la France ont officiellement acté sa mort en décembre 2019, et son remplacement par une monnaie commune à toute la Cédéao : l’éco.
Sa mise en place est longue et complexe, avec un lancement prévu en 2027 – échéance que certains jugent même très optimiste –, mais la France a déjà, depuis quatre ans, cessé de siéger dans les instances de la Banque centrale d’Afrique de l’Ouest et la BCEAO n’a plus pour obligation de stocker la moitié de ses réserves de change au Trésor français.
À ce jour, la France ne joue plus qu’un rôle de garant financier, avec le maintien de la parité fixe avec l’euro et la garantie de convertibilité. Un dernier lien dont les pays de l’AES veulent également s’affranchir. Réserves et infrastructures Enfin, la création d’une monnaie implique de posséder d’importantes réserves de change, afin d’assurer à la nouvelle devise une certaine stabilité.
Le Mali, le Niger et le Burkina n’en disposent pas, mais possèdent des matières premières, notamment de l’or pour le Mali et le Burkina ou du pétrole et de l’uranium pour le Niger. À ce stade, les économistes sollicités par RFI notent cependant que ces trois pays ne disposent pas de stocks qui permettraient de jouer un tel rôle de garantie.
Les pays de l’AES devront aussi se doter d’infrastructures pour battre monnaie et investir pour adapter leurs systèmes de paiement ou, comme ils l’avaient déjà recommandé en novembre dernier, créer un fonds de stabilisation et une banque d’investissement. Des impératifs qui ne semblent en aucun cas diminuer la détermination des dirigeants de l’AES, qui n’ont toutefois donné aucune indication de calendrier pour ces projets d’envergure.
« Au moment opportun, nous déciderons », a déclaré, sans plus de précisions, le général Tiani dimanche soir. Toutes ces considérations ne sont de surcroît relatives qu’aux conditions concrètes d’une sortie de l’AES du franc CFA et ne portent pas sur les conséquences d’une telle décision.
La balance entre les avantages et les risques pour les trois pays concernés de créer leur propre monnaie posant encore d’autres questions en termes de stabilité à long terme de la future devise, d’attractivité pour les investissements extérieurs ou encore de capacité pour ces États à lever des fonds sur les marchés internationaux. Dans tous les cas, ce sont les populations qui bénéficieront ou pâtiront des conséquences de cette décision.
Soyez le premier à commenter