Chantre et chef d’orchestre du FEMUA, grande fête de la musique ivoirienne et africaine qui convie aujourd’hui les noms les plus prestigieux du genre sur l’estrade XXL d’Anoumabo. Un festival qui fait rimer musical et social, que son instigateur rêve de décliner à l’échelle de tout le continent.
Pourquoi est né le FEMUA ? D’où vient l’idée de créer un tel festival à Anoumabo ?
C’est un projet qui part de presque rien. Nous étions allés jouer dans un petit festival du sud de la France, du côté d’Orange je crois… J’ai découvert là-bas, toute une population motivée pour nous accueillir, une main-d’œuvre du coin, des chauffeurs venant des villages alentours, chacun mettant sa voiture ou son savoir-faire à disposition de l’événement. Et je me dis qu’avec ce bénévolat, on pourrait créer une manifestation du même type chez nous, dans notre village, à Anoumabo. Que chacun mette la main à la pâte et qu’on puisse égayer la population. Et le FEMUA est né au printemps 2008.
On a dégoté les premiers mécènes. Ça a commencé par des aides logistiques et matérielles. Des dons de médicaments pour l’hôpital, des équipements sportifs et des maillots de foot pour les jeunes du quartier… Puis l’idée m’est venue de construire une école. Histoire de montrer aux partenaires réticents que le FEMUA est bien plus qu’une grande fête, que l’âme du festival est avant tout sociale. Ainsi est sortie de terre la première école Magic System, financée à l’époque par mes droits d’auteur.
Bien du chemin a été parcouru depuis. Quel bilan faites-vous au lendemain de ce FEMUA 2022 ?
Quatorze éditions, un neuvième établissement inauguré cette année, pour un total de plus de 8000 enfants scolarisés dans les écoles Magic System. Si l’objectif de départ n’est pas atteint – dix écoles à l’horizon 2020, mais le COVID est passé par là, NdlR –, on peut affirmer que le pari a néanmoins été relevé. Cela a contribué à lutter contre la déscolarisation ici en Abidjan. Certains de ces enfants sont aujourd’hui devenus étudiants, et notre fierté. Le FEMUA a également permis la construction d’un centre de santé qui a changé la vie de nombreuses femmes des villages du nord de la Côte d’Ivoire, jadis obligées d’aller accoucher au Mali à défaut d’hôpital plus proche… Ce qui provoquait pas mal d’apatridie.
Comment finance-t-on un événement d’une telle ampleur ? Et tous ces chantiers ?
Au début, les sponsors étaient hésitants c’est vrai, à l’idée d’investir de grosses sommes pour un petit village perdu en Côte d’Ivoire. « En termes de marketing, ça ne fonctionne pas avec notre image » sont les premiers mots qui sortent… J’ai compris qu’il fallait donner une dimension sociale à notre festival. Pas seulement faire venir les gens pour les faire danser, chanter et leur donner rendez-vous l’année suivante, mais plutôt construire quelque chose et laisser une trace indélébile.
Tout en maintenant la gratuité pour le public.
Ma volonté de départ était simple : le FEMUA ne devait pas coûter un franc à la population. Car on ne pouvait pas faire du social d’un côté, et de l’autre demander aux gens de mettre la main au porte-monnaie pour assister au spectacle. Nous voulions donc faire supporter ces coûts par nos partenaires. Depuis, l’état de Côte d’Ivoire nous accompagne et nous soutient également à travers une subvention annuelle. Sans oublier nos sponsors tels que MTN, grosse maison de téléphonie à nos côtés depuis une décennie. Cette année, nous avions la chance d’accueillir des multinationales comme Bolloré ou encore Coris Bank… La confiance grandit, les partenariats évoluent et le FEMUA de déploie. Il y a cinq ans d’ici, le festival n’avait pas la carrure qu’il a aujourd’hui. De nouveaux volets viennent s’ajouter, tel que le pays invité d’honneur désormais à chaque édition.
Cette année c’est en effet la République Démocratique du Congo qui était mise à l’honneur…
Plus le FEMUA se développe, plus des opportunités apparaissent et une vision se dessine… La Culture est un facteur de rapprochement des peuples, qui ouvre toutes les portes. Est donc naturellement venue l’idée de convier un artiste en l’invitant à venir en délégation, pour présenter ses richesses musicales mais aussi culturelles, artisanales ou touristiques, l’histoire de son pays et son patrimoine national. Après un premier essai transformé avec le Burkina Faso et une dernière édition en date consacrée au Sénégal, c’est en effet le Congo qui était célébré cet été. Avec un pavillon qui trois jours durant n’a pas désempli.
Quelle est la suite pour le FEMUA ?
Mon plus grand rêve est de mettre sur pied un FEMUA éclaté sur l’ensemble du continent. Organiser des festivals simultanés dans chacune des grandes capitales africaines. Cela commence par une délocalisation des concerts finaux, comme ce fut le cas cette année avec la clôture du festival à San Pedro. L’an prochain, cela pourrait être à Ouagadougou, Dakar, Cotonou ou Lomé. On travaille ce projet et cette vision actuellement, qui fera encore grandir le FEMUA et lui donner un impact économique continental, pas seulement en Côte d’Ivoire (…) L’Afrique à l’Afrique, par et pour les Africains… C’est une nouvelle mentalité que nous développons. Il faut vivre avec son temps, profiter de ce qu’offre la technologie pour nous rapprocher, créer des plateformes d’échanges artistiques, être curieux et s’enrichir les uns des autres. C’est ce qui fera la force de l’Afrique… Là où la politique a échoué, la Culture peut faire bon chemin.
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