Des mois que l’ancien président de la République congolaise joue la carte de la discrétion. Plus de quatre ans après avoir quitté le pouvoir, plus de deux ans après s’être fait dribbler par Félix Tshisekedi qu’il avait désigné pour lui succéder sans tenir compte de la volonté des urnes, Joseph Kabila est de retour sur le devant de la scène.
Pourquoi ce retour ?
Joseph Kabila n’avait plus le droit au silence. Dans la dernière ligne droite en perspective de la présidentielle et des législatives annoncés pour le 20 décembre prochain, “l’autorité morale” du Front commun pour le Congo (FCC), qui demeure une structure qui pèse sur la vie congolaise malgré la défection de très nombreux députés et sénateurs qui ont succombé aux mallettes de billets verts et aux voitures de luxe distribuées par la présidence de Tshisekedi, devait fixer un cap s’il veut conserver ceux qui lui sont restés fidèles.
Quel cap ?
Joseph Kabila, comme tous les opposants au régime de Félix Tshisekedi, ne veut pas des élections qui se préparent. Comme les autres opposants (Katumbi, Fayulu, Matata, Sesanga,…), il pointe la corruption de la Cour constitutionnelle où le chef de l’État a installé “ses” juges sans se soucier de la Constitution, il veut une réforme de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) présidée par un “tshisekediste” désigné sans compromis, il refuse un fichier électoral bâti à la va-vite et “audité” par les amis du président de la Ceni. Dans ce contexte, il a appelé les siens à ne pas s’inscrire sur les listes électorales. Un boycott qu’il est le seul à prôner jusqu’à aujourd’hui mais d’autres pourraient le rejoindre prochainement. “Une décision sera annoncée dans les prochaines heures, lance un proche de Martin Fayulu. Tshisekedi a tout acheté. Ce seront les pires élections jamais vécues dans le pays”, ajoute-t-il. Il rejoint ainsi nombre d’observateurs nationaux et internationaux qui rejettent déjà largement les résultats de ce scrutin qui s’annonce complètement biaisé. “Depuis 2006, le processus ne cesse de se détériorer”, ont constaté en chœur plusieurs analystes comme Jean-Claude Mputu, politologue et chercheur congolais, Bob Kabamba, politologue et professeur à l’université de Liège, ou le père Rigobert Minani, jésuite et chercheur au Centre d’Études pour l’Action sociale (CEPAS).
Joseph Kabila n’ignore pas que plusieurs élus qui lui sont restés fidèles s’interrogent sur ce positionnement synonyme, si le processus suit son cours, d’exclusion de la vie politique. L’ancien président de la République a donc tout intérêt à asseoir sa stratégie pour tenter de convaincre des autres opposants qui restent jusqu’ici dans le processus électoral de le rejoindre dans sa position plus radicale mais plus lisible. “Il est compliqué de comprendre qu’un opposant martèle que le système est truqué, tout en y adhérant”, explique un observateur qui insiste : “il y a encore quelques rendez-vous qui s’offrent aux opposants pour quitter ce processus”.
On prend les mêmes…
Le retour – même à dose homéopathique jusqu’ici – de Joseph Kabila rebat les cartes et installe une logique de confrontation qui rappelle singulièrement le scrutin de 2018. Comme il y a 5 ans, on retrouve trois grands attelages : Félix Tshisekedi (qui a retrouvé son colistier Vital Kamerhe), Moïse Katumbi (pour l’instant en association libre avec Martin Fayulu) et Joseph Kabila. Un trio façon “Le bon, la brute et le truand” où certains protagonistes auraient changé de rôle depuis 2018. Une fiction dans laquelle deux des trois protagonistes sont amenés à collaborer même sans envie.
Kabila a rappelé vendredi qu’il n’avait aucun contact avec Tshisekedi. Difficile d’imaginer Fayulu en avoir et le véritable kidnapping de Salomon Kalonda, le conseiller de Katumbi, démontre clairement les tensions entre ces hommes.
Tshisekedi dispose de tous les leviers du pouvoir, il s’est bâti un processus électoral pour l’emporter coûte que coûte… comme Kabila pensait l’avoir fait en 2018.
Le poids des maux
Joseph Kabila porte une évidente responsabilité dans l’accession au pouvoir de Félix Tshisekedi. Les Congolais ne sont ni dupes, ni naïfs, mais beaucoup préfèrent aujourd’hui retenir le fait qu’il a accepté de quitter le pouvoir, oubliant qu’il s’est assis sur la volonté du peuple qui avait voté pour Martin Fayulu, candidat d’une opposition largement fédérée. Oubliant même la répression des manifestations emmenées par les catholiques à la fin de son règne. Une “presque” absolution populaire qui s’explique par les ratés, la gestion chaotique, l’appauvrissement rapide de toute une nation depuis l’avènement de Félix Tshisekedi. Le peuple congolais manque de tout et voit une infime partie de la population baigner dans une opulence indécente, il constate une tribalisation de l’État et une instabilité de plus en plus grande non seulement à l’est mais dans des zones qui se rapprochent même de Kinshasa.
RDC : Répression de l’opposition, « la diplomatie du bisou ne suffit pas »
Le pouvoir congolais joue la carte de l’union du peuple contre un ennemi commun : le Rwanda. Dans ce scénario, le président apparaît comme le chef d’une guerre qui est à faire. Un chef qui, paradoxalement, a complètement tourné le dos à ses troupes. Les forces armées congolaises constatent que leur général ne compte pas sur elles pour mener sa guerre. Il en appelle à tous ses voisins et même à des mercenaires (comme les centaines d’hommes armés vus à Goma, dans le Nord-Kivu).
Pour conserver le pouvoir Tshisekedi réussit donc à se couper du Congo. L’opposition a l’obligation de trouver une voix commune pour présenter une alternative et tenter, comme en 2018, de brouiller les plans d’un pouvoir dont on voit mal comment il pourrait apporter fût-ce un début de réponse aux attentes d’un peuple de 100 millions d’âmes.
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