Après le Mali et le Burkina Faso, la France va-t-elle perdre d’autres « amis » en Afrique

Après le Mali et le Burkina Faso, la France va-t-elle perdre d’autres « amis » en Afrique

“La France est bousculée mais pas au point d’accepter de se remettre en question”, lance d’entrée Frédéric Lejeal, politologue de formation, ancien directeur de La Lettre du Continent (une lettre d’information pointue sur l’Afrique) et grand spécialiste de l’Afrique de l’Ouest. Son dernier essai, titré Le Déclin franco-africain (éditions de l’Harmattan) en fait un interlocuteur de choix pour évoquer les liens entre Paris et ses “amis” africains et leurs évolutions récentes.

Son analyse sur plus de 450 pages, sans concessions, permet de comprendre l’évolution de ces relations lors de ces trente dernières années. Un ouvrage qui pourrait, pour certains de ses chapitres, permettre de comprendre aussi quelques tensions apparues entre Bruxelles et sa prétendue zone d’influence en Afrique centrale.

Frédéric Lejeal explique notamment ce désamour entre la France et la population, en particulier la jeunesse, de certaines de ses anciennes colonies par le fait que “les injonctions démocratiques s’accompagnent, dans le même temps, du soutien à des kleptocraties surinvesties dans la répression. L’aveuglement sur les situations intérieures de pays alliés continue de l’emporter sur la lucidité. Alors que Paris prétend régulièrement instaurer un nouveau narratif, son mode opératoire ne parvient pas à rompre avec un paternalisme devenu insupportable aux yeux d’une majorité d’Africains francophones, en particulier les plus jeunes.”

La fidélité de certains bastions

Faut-il dès lors s’attendre à une vague plus large de mécontentement et de tensions entre Paris et d’autres colonies françaises ? “Ce n’est un bloc monolithique”, explique Frédéric Lejeal. “Il y a des bastions qui sont inébranlables pour l’instant comme la Côte d’Ivoire, pour des raisons économiques et politiques, ou le Tchad, qui a des liens militaires très étroits avec la France. Ce sont deux États qui restent très tournés vers l’Hexagone.”

La dernière visite, mercredi 25 janvier, du président ivoirien Alassane Ouattara à l’Élysée, la chaleureuse accolade avec Emmanuel Macron sur le perron présidentiel, face aux objectifs de tous les médias, n’était pas innocente. Les deux hommes, qui se sont retrouvés pour évoquer notamment la lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest et au Sahel, voulaient mettre en scène cette rencontre, quarante-huit heures seulement après la confirmation de la demande burkinabée du départ des dernières troupes françaises. La relation entre Abidjan et Paris est au beau fixe, les deux chefs d’État se voient régulièrement et il est fréquent de voir débarquer des ministres français dans la capitale ivoirienne ces derniers mois.

Le pays accueille aussi 900 militaires français, pour 500 au Sénégal et ils sont 2 000 au Niger, qui se dessine comme la future base française après les retraits des contingents du Mali et du Burkina Faso. Ces deux pays seraient-ils finalement des exceptions ? Des “marchés” plus sensibles aux manœuvres et à la communication russes souvent pointées du doigt pour expliquer ces deux divorces récents et successifs ? “Il ne faut pas perdre de vue que la Russie ne débarque pas en Afrique”, explique Frédéric Lejeal. “Elle est notamment très présente en Afrique australe. Elle a un passé en Afrique du temps de l’URSS. Elle a soutenu la lutte anti-apartheid et s’est impliquée dans bien des combats pour l’indépendance. Souvenons-nous que Moussa Traore, le président malien (de 1969 à 1991, NdlR) a tissé des liens forts avec l’Union soviétique. Beaucoup de militaires maliens ont suivi leur formation en Russie. Au Burkina Faso, il y a évidemment l’ombre de Thomas Sankara (symbole de la volonté de rupture avec la colonisation, de la fin de la Haute-Volta, résolument communiste, NdlR). Pour la nouvelle génération, tout ça, c’est plutôt glorieux. Les jeunes, qui n’ont pourtant pas connu la colonie, retiennent et insistent aussi beaucoup sur le fait que la Russie n’a pas colonisé l’Afrique.”

Histoire de com ?

Le poids des réseaux sociaux, de la communication de la Russie est donc mis en avant. “C’est une évidence. La jeunesse africaine est très connectée, il est facile d’interagir avec elle, de lui faire passer toutes sortes de messages, poursuit Frédéric Lejeal. La Russie l’a bien compris et tisse sa toile. Elle est très active dans sur les réseaux sociaux dans l’espace francophone. Il y a évidemment les trolls russes mais aussi l’achat de journalistes locaux. Ce n’est pas bien cher, malheureusement car ils manquent de tout. Mais, il ne faut surtout pas perdre de vue que cette com est possible parce que le terreau est fertile. La Russie surfe sur un mécontentement africain réel. La France n’est pas au rendez-vous de ses engagements, notamment sur la lutte contre le djihadisme. Un constat qui remet en cause le poids militaire de la France.” Un procès fait à l’armée française que de nombreux observateurs rejettent. Pour eux, le sentiment d’échec mis en avant par les juntes qui ont pris le pouvoir au Mali et au Burkina Faso est tronqué. Pour eux, l’opération militaire française Barkhane a enregistré des résultats dans la lutte contre le djihadisme mais elle n’était pas tenable sur le long terme, Paris était trop isolé dans ce combat. “C’est une grave erreur de penser que les Russes, via leur porte-étendard Wagner, obtiendront de meilleurs résultats, tranche notre spécialiste français qui poursuit “mais c’est le droit des États africains de choisir leurs alliés dans ce combat. Même si cela doit aggraver la situation à moyen terme. Dans le cadre des relations du Burkina Faso et du Mali avec la France, on pourrait dire que ces pays ne veulent plus être en tête à tête permanent avec l’ancienne puissance coloniale de plus en plus mal vue par les jeunes générations.”

Pourtant, jusqu’à il y a peu, Paris semblait conserver assez facilement son pré carré africain. “Ce qui est vrai, c’est que quand la guerre froide s’exprimait à bas bruit au tournant des années 1960-1970, la France a réussi à verrouiller son espace. Cette mini-guerre froide ne semblait pas la concerner. Aujourd’hui, la course aux minerais, toutes ces matières premières dont le continent regorge fait que ces États africains ont pratiquement le monde entier à leurs pieds. Ils peuvent aller là où sont leurs intérêts”, continue Frédéric Lejeal qui se souvient du peu de condamnations par les États africains de l’agression russe contre l’Ukraine lors du vote aux Nations unies. “Beaucoup ont préféré s’abstenir”, abonde un membre d’une organisation des Nations unies en poste en Afrique centrale. “Pas pour soutenir Poutine, contrairement à ce qu’aime raconter le narratif russe, mais parce qu’ils ne veulent plus marcher comme un seul homme derrière un État. Ce que Frédéric Lejeal appelle “la volonté de ne plus être dans un face-à-face permanent avec l’ancienne puissance coloniale. Ce n’est pas la France qui est dans le collimateur, c’est sa politique. Tous les présidents français, ces 50 dernières années, ont promis de réformer leur approche dans les relations avec l’Afrique. Mais, derrière les mots, il n’y a jamais rien eu de concret. L’Élysée est toujours restée dans la condescendance et un besoin pathologique de conserver un quadrillage de bases militaires sur tout le continent. C’est unique. Il n’y a que la France qui se comporte ainsi”, conclut M. Lejeal

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