Il est loin le temps où le ministre algérien des Affaires étrangères en visite à Bamako fustigeait la France aux côtés d’un Premier ministre malien de transition tout sourire. C’était en octobre 2021 : Ramtane Lamamra, envoyé à Bamako par le président Tebboune, dénonçait en sortant de son entretien avec Choguel Maïga la « faillite mémorielle » de l’ancien colonisateur, ennemi commun affiché des deux pays.
L’histoire des relations entre le Mali et l’Algérie est ponctuée de périodes de tension, mais en l’espace d’environ une année, l’Algérie est passée du statut de partenaire stratégique à celui de paria, accusé d’« hostilité » et « d’ingérence ».
Des termes utilisés en janvier dernier lorsque le Mali a officiellement rompu l’accord de paix qui avait été conclu en 2015 avec les rebelles indépendantistes du Nord, sous l’égide de l’Algérie. Bamako, qui reprochait à l’Algérie de continuer de consulter sur son sol les groupes armés pour tenter de sauver l’accord de paix, avait alors carrément accusé Alger de considérer le Mali comme son « arrière-cour », un « État paillasson » traité avec « mépris » et « condescendance ».
La réponse plus mesurée d’Alger, clamant sa « bonne foi » et sa « solidarité indéfectible » envers le « Mali frère » n’a clairement pas permis de restaurer les liens entre les deux pays, ni de convaincre Bamako d’abandonner l’option strictement militaire désormais retenue contre les groupes rebelles du Nord. «
L’Algérie reste attachée au principe d’un accord de paix et d’une solution négociée », analyse un chercheur africain spécialiste de la zone et requérant l’anonymat. « Alger ne changera pas de paradigme, or ce n’est pas du tout la ligne des autorités de Bamako. Il ne faut donc pas s’attendre à une évolution, plutôt à une stagnation. »
Bamako considère désormais les groupes rebelles du nord du Mali comme « terroristes », au même titre que les jihadistes du Jnim, lié à al-Qaïda. La présence ou les séjours de certains de leurs chefs en Algérie, où l’accord de paix de 2015 avait en grande partie été négocié, sont donc perçus comme une forme de collaboration avec l’ennemi.
« Ces derniers temps, poursuit le même chercheur spécialiste du Sahel, des cadres du Cadre stratégique permanent (CSP) ont pris la direction de la Mauritanie plutôt que de l’Algérie, cela pourrait apaiser un peu les relations entre Bamako et Alger. »
Par ailleurs, depuis l’été dernier, environ 50 000 civils maliens du nord, selon une estimation du HCR (Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés), se sont réfugiés à la frontière algérienne, fuyant la reprise des combats entre l’armée malienne, ses supplétifs de Wagner et les rebelles du CSP.
Mais le HCR, des deux côtés de la frontière, n’a pas été autorisé à leur porter assistance : le Mali lui refuse l’accès à des zones où l’armée mène des opérations et l’Algérie, si elle n’a pas fermé ses portes, ne souhaite pas enregistrer de demandes pouvant conduire à l’obtention du statut de réfugiés, selon les explications du HCR.
Les autorités maliennes de transition appellent les réfugiés et déplacés de la région de Kidal à rentrer chez eux, mais ceux que RFI a pu joindre, d’un côté ou de l’autre de la frontière algérienne, affirment ne pas avoir suffisamment de garanties quant à leur sécurité.
Passe d’armes à l’ONU sur les frappes de drone
Le ton est encore monté d’un cran il y a une dizaine de jours, lorsque l’Algérie a dénoncé les frappes de drones opérées fin août par l’armée malienne à Tinzaouatène, ville frontière entre le Mali et l’Algérie, et qui avaient fait une vingtaine de victimes civiles, dont des enfants – des informations vérifiées et recoupées par RFI.
Après la sévère défaite infligée fin juillet par les rebelles du CSP à l’armée malienne et à ses supplétifs russes de Wagner, le Mali a multiplié les frappes de drones dans la zone de Tinzaouatène. Certains projectiles ont explosé si près du territoire algérien que l’aviation algérienne a même été mobilisée, sans que la situation dégénère.
Le représentant de l’Algérie aux Nations unies a donc réclamé des sanctions onusiennes et appelé à « mettre un terme aux violations des armées privées utilisées par certains pays », en référence aux mercenaires de Wagner qui suppléent l’armée malienne, et dont la présence à ses portes a toujours été vue d’un mauvais œil par Alger. Réponse immédiate et scandalisée du Mali : son propre ambassadeur aux Nations unies a qualifié ces accusations de « graves et infondées » et accusé l’Algérie d’être un « relais de la propagande terroriste ».
Le Mali, qui ne reconnaît toujours pas la présence dans le pays du groupe Wagner, désormais intégrés au « Corps africain » contrôlé par Moscou, dément avoir tué des civils et assure n’avoir jamais « détruit » que des « cibles terroristes » à Tinzaouatène – comme dans le reste du Mali d’ailleurs, toutes les accusations d’exactions ayant été catégoriquement rejeté par les autorités politiques et militaires en place. « Personne ne souhaite aller au conflit »
« Pour l’instant, ni Alger ni Bamako ne sont allés au-delà des déclarations, il n’y a par exemple pas eu de rappel d’ambassadeur », note le chercheur spécialiste du Sahel sous couvert d’anonymat, qui estime que « pour le moment, tout le monde va tenter d’éviter la rupture. L’Algérie aurait souhaité que les Fama et Wagner s’arrêtent à Kidal [et ne s’approchent pas davantage de la frontière ndlr], donc on verra comment les choses évoluent, mais je crois que personne ne souhaite aller au conflit. Les conséquences seraient mauvaises des deux côtés. »
Les autorités maliennes de transition reprochent à Alger ses relations avec les groupes rebelles du Nord, mais aussi avec l’opposition politique malienne. Cela fait bientôt un an que l’imam Mahmoud Dicko, venu se faire soigner en Algérie en décembre 2023, n’a plus quitté le pays où il a même été reçu par le président Tebboune en personne.
Ce qui avait profondément irrité les dirigeants maliens de transition. Ancien président du Haut conseil islamique du Mali, Mahmoud Dicko est progressivement devenu un virulent opposant du régime en place, dénonçant les dérives antidémocratiques d’une transition malienne « sans trajectoire » et s’éternisant au pouvoir.
Son organisation, la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko (CMAS), a officiellement été dissoute par les autorités maliennes de transition en mars 2024. Le coordinateur général de la CMAS et proche de l’imam Dicko, Youssouf Diawara, est en prison depuis le mois de juillet : sa participation à une manifestation à Bamako réclamant la fin des coupures d’électricité et l’organisation d’élections lui vaut d’être poursuivi pour « opposition à l’autorité légitime ».
Les partisans de l’imam estiment qu’à travers cette procédure, c’est Mahmoud Dicko lui-même qui est visé et menacé : difficile pour lui, dans ses conditions, d’envisager un retour au pays.
Le président algérien Abdelmadjid Tebboune, officiellement réélu, aura donc fort à faire avec le Mali, mais aussi avec ses autres voisins : le Maroc, avec qui le conflit ancestral sur le Sahara occidental s’est à nouveau envenimé ces derniers mois, ou encore la Libye, où l’ANL du maréchal Haftar, qui recourt également au groupe Wagner, a mené pendant l’été des opérations à la frontière algérienne, officiellement pour la « sécuriser ».
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