Physiquement, Amadou Papis Konez n’a rien de la sympathie que pourrait évoquer son surnom, « Big Boo ». Son t-shirt rouge, tendu par les muscles, ne parvient plus à dissimuler le colosse sénégalais qui flirte avec le mètre 90 et les 140 kilos sur la balance. Aujourd’hui, difficile à croire qu’il était autrefois surnommé « le squelette » par ses frères. Né en 1972 à Dakar, benjamin d’une famille de six enfants, il est longtemps resté le plus chétif.
« Je n’allais jamais à la plage, parce que j’étais trop maigre, ou alors, je gardais mon pantalon », lance Amadou avec un sourire. Pour lui, cette maigreur était presque une bénédiction déguisée : il n’aurait pas aimé être un monsieur muscles dans la petite chambre qu’il partageait avec toute sa famille, exception faite de sa mère.
« On n’avait pas les moyens d’avoir plus d’espace, souffle Amadou. C’est encore compliqué d’en parler aujourd’hui. » La lutte comme moyen de s’en extraire Entre deux photos de ses entraînements qu’il fait défiler sur son téléphone, « Big Boo » confie à demi-mot avoir même dû s’en remettre à la location de cassettes vidéo pour aider sa mère.
Il aime alors s’imaginer comme une version miniature de son père, aujourd’hui décédé, qui voyageait sans cesse pour « acheter des bobines et les revendre aux cinémas de Dakar ». Sur ces mêmes bobines, il découvre les exploits de Chuck Norris, de Rambo, et même de Rocky Balboa, dont il adoptera le pseudonyme pour en faire son nom de combat.
Pourtant, rien ne le prédestinait à se servir de ses poings. Depuis petit, Amadou préfère avoir le ballon au pied. Pas de chance, « le football ne paye pas » au Sénégal, où « la lutte est [au pays] ce que le football est au Brésil », regrette-t-il. « Ici, dès que tu sors de la maison, tu te mets à lutter ! C’est une tradition. » Amadou finit donc par troquer le terrain de foot pour le tapis de lutte et la musculation, puis devient coach sportif à l’Olympique Club de la capitale – « c’était la porte la plus facile », dit-il –, avant de s’envoler vers la Suisse où il pourra gagner plus d’argent et aider sa famille.
« Ce que je gagne en coachant une élève en Suisse, je le gagnais en un mois au Sénégal, se félicite Amadou. Et puis, pour la lutte, je ne voulais pas rester au Sénégal, parce que j’aurais mis dix ans avant de faire de grands combats. »
« En Suisse, c’est comme au Sénégal, on attrape par les culottes et on soulève », dit-il en riant. Il a déjà quarante ans lorsqu’il se met à pratiquer la discipline professionnellement, un âge proche de celui de la retraite des lutteurs. Ce qui ne l’empêche pas de combattre à Genève, ou même de vanter ses qualités sur les réseaux sociaux, où « Rocky Balboa » assure, pêle-mêle, « je vous terrasse tous », « le gladiateur est là, prêt à vous défigurer », ou encore « qui aime la paix se prépare à faire la guerre ».
Et la guerre, il la mène avant tout contre Bombardier, couronné Roi des arènes sénégalaises à seulement 23 ans. En 2015, un premier combat est organisé entre les deux lutteurs, aussitôt interdit par le CNG, l’instance dirigeante de lutte sénégalaise. « N’importe qui ne peut pas se lever un beau jour, sans avoir fait ses preuves dans l’arène, pour défier les champions de lutte du Sénégal », explique à l’époque Thierno Kâ, chargé de communication pour la structure.
Des mots qui se font l’ennemi d’Amadou. S’il a depuis perdu son action en justice, le sportif n’en démord pas : « on a voulu me nuire », peste-t-il. Sa rivalité avec Bombardier finit par exploser en mai 2018, lors d’un combat de MMA (arts martiaux mixtes) – qui aura bien lieu cette fois-ci – où celui-ci n’a besoin que de 70 secondes pour mettre K.O. un Rocky Balboa au rabais. Le corps en vrac et l’égo avec, le natif de Dakar martèle qu’il a été « marabouté ». « Je ne tiens pas à me focaliser sur la lutte.
J’avance dans ma vie, tout ça, c’est derrière moi. Mon rêve, c’est de coacher », se console encore le cinquantenaire, pourtant toujours dans l’attente de son match retour. Anciennement connu sous le nom de Rocky Balboa, Amadou Papis Konez a pratiqué la lutte au Sénégal et en Suisse avant de faire irruption sur le petit écran français.
En 2020, sa carrure lui ouvre les portes de l’émission de jeux français Fort Boyard. « J’ai entendu parler d’un casting sur les conseils d’un ami et j’y suis allé sans grande conviction, se souvient Amadou. Un jour, après plusieurs rendez-vous, la production m’a appelé. J’étais à la plage avec mon fils de six ans, qui adore l’émission. Il était fou de joie en apprenant la nouvelle et me répétait que ce rôle était fait pour moi. »
Chargé de sonner le gong et de garder les prisons, il incarne alors le rôle muet de « Big Boo », censé terrifier les candidats du jeu télévisé. La barbe teinte en rouge et le buste seulement recouvert d’épaulettes, le poids lourd combat chaque été dans la cage du fort. C’est dans cette arène qu’il affronte les candidats, face auxquels il doit parfois s’incliner – comme contre Cédric Doumbé, combattant de MMA, ou encore Yoann Huget, ancien ailier du Stade Toulousain et du XV de France.
Mais cette fois, sans rancune : « Fort Boyard, c’est une opportunité incroyable pour moi, ça a bercé mon enfance et ça me donne l’impression que rien n’est impossible. » À lire aussiJeux de la Francophonie: les lutteuses sénégalaises doivent faire face aux préjugés Sur le petit écran français depuis la 31e saison de l’émission, le lutteur se prépare cette année à passer plusieurs semaines aux côtés de Père Fourras et de Passe-Partout.
D’abord, pour la 35e édition du jeu télévisé français, puis pour son adaptation hongroise, qui revient à l’écran après son démarrage raté en 2000. Une première pour Amadou : « Ça enchaîne cette année ! » S’il espère encore pousser sa carrière jusqu’au cinéma d’action, « comme Sylvester Stallone », la tête brûlée s’est désormais armée de patience.
Le petit Amadou rêvait de sortir de chez lui, et il a réussi. Rendre hommage à son père, amener sa mère en Europe pour la première fois, vivre de ses combats… Toutes les cases sont désormais cochées, sauf une : « Mettre assez d’argent de côté pour aller à La Mecque avec ma maman. »
RFI
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