Taïwan
Le scénario catastrophe prédit par certains ne s’est pas produit. L’élection d’un nouveau président taïwanais en faveur du statu quo et de la souveraineté de l’île n’a pas vraiment déclenché la fureur de la Chine. Oui, Taïwan a enregistré mercredi le plus grand nombre d’avions de l’Armée de libération populaire chinoise à circuler autour de l’île en trois semaines (24 appareils), mais la Chine n’a pas vraiment accentué les pressions militaires.
Ces mouvements militaires sont loin des sommets enregistrés dans la dernière année, soit plus de 100 en une seule journée en septembre dernier. Pour le moment, la Chine semble se limiter à sa coercition habituelle : pressions économiques (sur Taïwan et ses alliés diplomatiques officiels afin d’isoler l’île) et mises en garde contre tout pays qui affirmerait son soutien à Taïwan.
La Chine communiste n’a jamais dirigé l’île souveraine, mais elle la considère comme une partie de son territoire. Et c’est là que l’on constate que la Chine adopte une position relativement calme vis-à-vis de ce résultat électoral , soutient Amanda Hsiao, analyste en chef pour la Chine d’International Crisis Group. Ils disent que cela n’a pas d’importance pour leurs objectifs à long terme d’atteindre l’unification et, par conséquent, peut-être qu’ils créent un peu d’espace pour que leur réponse dans les prochaines semaines et les prochains mois soit moins provocante et moins excessive.
Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a répondu aux journalistes présents au Sommet de Davos, plus tôt cette semaine, qu’il croit que Pékin s’est aliéné des appuis possibles dans la région en raison des intenses pressions exercées sur Taïwan au cours des dernières années. La Chine doit prendre des décisions sur ce qu’elle fera et ce qu’elle ne fera pas.
Cependant, je pense que l’approche qu’ils ont montrée ces dernières années a, en réalité, été totalement contre-productive pour leurs intérêts. En essayant d’exercer des pressions sur Taïwan – pressions économiques, pressions militaires, pressions diplomatiques, isolement –, cela n’a fait que renforcer l’esprit de beaucoup de personnes contre leur cause, des personnes que Pékin voulait garder de son côté , a dit M. Blinken.
Pour leur part, les États-Unis ont félicité le président élu de Taïwan, Lai Ching-te. Mais Joe Biden a aussi immédiatement réitéré son appui à la politique d’une seule Chine , tout en se prononçant à nouveau contre l’indépendance de Taïwan. Un message, confus pour certains, qui vise à calmer toute réaction de colère de la Chine.
Après tout, Washington et Pékin tentent depuis quelques mois de gérer leurs tensions et leur compétition, rappellent certains experts. Ils ont rouvert, entre autres, le canal de communications militaires interrompu en 2022. Mais cela dépend vraiment de la dynamique des relations entre les États-Unis et la Chine, de la mesure dans laquelle Pékin veut intensifier ou atténuer la pression, croit Brian Hioe, rédacteur en chef de la revue New Bloom à Taïwan. Et donc, ce n’est pas toujours seulement à propos de Taïwan, mais aussi du statut actuel des négociations ou des échanges dans la dynamique entre les États-Unis et la Chine.
L’influence des élections américaines La campagne électorale américaine ajoute au climat d’incertitude dans les relations Chine-États-Unis-Taïwan et inciterait Pékin à la prudence en ce moment, ajoute Brian Hioe. Nous ne savons pas s’il y aura un autre mandat de Donald Trump. Il y aura beaucoup d’instabilité et d’incertitude quant à l’orientation future de la politique américaine. Mais en ce qui concerne cette relation globale, les États-Unis ont souligné leur confiance dans les institutions démocratiques taïwanaises, tout en mettant l’accent sur un soutien continu.
Ce soutien américain, peu importe qui obtiendra les clés de la Maison-Blanche en novembre prochain, demeure d’ailleurs crucial pour Taïwan, qui a adopté la stratégie militaire du porc-épic, soit la dissuasion contre toute attaque ou tentative chinoise. La grande majorité des experts ne s’attend pas à de telles tentatives avant au moins 2027, et probablement dans un horizon plus tardif.
Dans cet esprit de dissuasion, l’accélération des dépenses militaires depuis cinq ans, de la production d’armes et de véhicules fabriqués à Taïwan ainsi que de l’achat d’armes américaines a été au cœur des priorités du gouvernement du PDP à Taïwan depuis 2016, même si les livraisons promises par les Américains accusent de sérieux retards.
Selon le budget proposé pour 2024, Taïwan investira l’équivalent de près de 26 milliards de dollars canadiens pour la défense, un montant record. C’est l’équivalent de 2,5 % du PIB . Les États-Unis souhaitent voir cette proportion grimper à 5 %. Le président désigné de Taïwan veut poursuivre l’accélération des dépenses militaires.
Par contre, l’Assemblée législative de Taïwan est divisée après le scrutin de samedi dernier et le parti d’opposition KMT détiendra le plus grand nombre de sièges lors de l’entrée en fonction du prochain gouvernement, le 20 mai prochain. Cela pourrait influencer la stratégie de Taïwan. Lors d’une entrevue avec le diffuseur public allemand Deutsche Welle, l’ancien président taïwanais Ma Ying-jeou [de 2008 à 2016], du KMT, qui conserve une influence importante au sein du parti, a réclamé une réduction du budget militaire pour apaiser les tensions avec la Chine.
C’est plutôt inquiétant, en fait. Si ce type de rhétorique devient de plus en plus courant au sein du KMT, cela pourrait être dangereux. Et je pense que cela pourrait éventuellement conduire à des tentatives de réduction du budget militaire ou du moins à sa stabilisation , précise Brian Hioe. Les prochains mois, d’ici l’assermentation du nouveau gouvernement de Taïwan, seront donc cruciaux pour les jeux de coulisses et de possibles alliances.
La date de l’assermentation du président désigné Lai Ching-te, le 20 mai prochain, est à surveiller, selon Amanda Hsiao. Les pressions militaires agressives de la Chine pourraient bien reprendre à ce moment-là. Cela sera l’occasion pour Lai de définir son approche des relations dans le détroit de Taïwan et de définir ainsi ce qui va se passer au cours des quatre prochaines années.
Ce n’est pas seulement une question des mots spécifiques qu’il utilisera, et il convient de noter ici qu’il est très improbable que Lai prononce les mots que Pékin souhaite qu’il dise. C’est aussi une question de ton plus général.
En réponse, Pékin pourrait intensifier les pressions après le discours, car à ce moment-là, ils pourront pointer ce discours et affirmer que, une fois de plus, Lai n’a pas répondu à leurs exigences politiques. La pression moins visible risque aussi de prendre de l’ampleur. Un article d’un chercheur chinois publié après les résultats de l’élection présidentielle taïwanaise recommandait de redoubler d’ardeur pour influencer et rendre la jeune génération plus réceptive au rêve chinois de prendre le contrôle de Taïwan.
Ces efforts pourraient bien être vains, selon une étude publiée mardi par le Pew Research Center aux États-Unis. À peine 1 % des Taïwanais de 18 à 34 ans ont répondu qu’ils se considèrent comme Chinois, alors que 83 % se disent Taïwanais. Près de 15 % se disent Taïwanais et Chinois.
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