| Proche-Orient, l’éternel conflit
C’est aujourd’hui que commencent devant la Cour internationale de justice (CIJ), à La Haye, les audiences préliminaires sur la demande de l’Afrique du Sud pour faire suspendre immédiatement les actions militaires d’Israël dans la bande de Gaza. De quoi s’agit-il?
L’Afrique du Sud a accusé Israël, à la fin de décembre, de manquer à ses obligations en vertu de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948. Les deux pays sont parties à la Convention, ce qui les oblige à ne pas commettre de génocide, à le prévenir et à le réprimer. Dans une requête de 84 pages, l’Afrique du Sud exhorte les juges à ordonner d’urgence à Israël de suspendre immédiatement ses opérations militaires dans la bande de Gaza.
Pretoria estime qu’Israël s’est livré, se livre et risque de continuer à se livrer à des actes de génocide contre le peuple palestinien à Gaza . Ses actes et omissions s’accompagnent de l’intention spécifique requise […] de détruire les Palestiniens de Gaza en tant que partie du groupe national, racial et ethnique plus large des Palestiniens , écrit-elle. La requête mentionne également qu’Israël a échoué à fournir de la nourriture essentielle, de l’eau, des médicaments, du carburant, un abri et d’autres types d’aide humanitaire à la bande de Gaza.
Elle souligne aussi que la campagne de bombardements soutenue a détruit des centaines de milliers de maisons, a forcé l’évacuation de 1,9 million de Palestiniens et a tué plus de 23 000 personnes, selon les autorités sanitaires de Gaza. Une délégation menée par le ministre de la Justice de l’Afrique du Sud, Ronald Lamola, se rend à La Haye pour soutenir l’initiative. Nous sommes déterminés à voir la fin du génocide qui se déroule actuellement à Gaza.
Plusieurs pays ont signalé leur appui à la requête sud-africaine, dont l’Indonésie, la Turquie, la Bolivie, la Jordanie et la Malaisie. La représentante palestinienne au Canada et le haut-commissaire d’Afrique du Sud ont appelé publiquement le gouvernement canadien à soutenir la démarche. Ottawa n’a pas encore exprimé de position sur cette affaire.
Quelle est la position d’Israël? Israël nie catégoriquement l’allégation de génocide. Ouvrir en mode plein écran « Non, Afrique du Sud, ce n’est pas nous qui sommes venus perpétrer un génocide, c’est le Hamas », a déclaré le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou.
Le porte-parole du gouvernement israélien, Eylon Levy, a déclaré que l’État d’Israël comparaîtra devant la Cour internationale de justice pour dissiper la diffamation sanglante absurde . L’Afrique du Sud donne une couverture politique et juridique aux attaques du Hamas et se rend ainsi criminellement complice de la campagne de génocide du Hamas contre notre peuple , a affirmé Eylon Levy.
L’Histoire jugera l’Afrique du Sud pour avoir encouragé les héritiers modernes des nazis. Israël a juré de détruire le Hamas après son attaque sur le sol israélien, le 7 octobre, qui a fait environ 1140 morts. Quelque 240 personnes ont également été enlevées. Israël insiste sur le fait qu’il respecte le droit international et concentre ses actions militaires exclusivement contre le Hamas. Il soutient ne pas cibler les habitants de Gaza.
Il a affirmé prendre des mesures pour atténuer les dommages causés aux civils et pour permettre à l’aide humanitaire d’entrer sur le territoire. Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a aussi rejeté la position sud-africaine, soutenant qu’il s’agissait d’allégations sans fondement et affirmant que celles-ci détournaient l’attention des efforts visant à améliorer la situation humanitaire à Gaza.
C’est particulièrement irritant, étant donné que ceux qui attaquent Israël, soit le Hamas, le Hezbollah, les Houthis et leur défenseur, l’Iran, continuent à appeler à l’anéantissement d’Israël et au meurtre collectif des Juifs , a-t-il déclaré. À quoi s’attendre de ces audiences? Après avoir écouté les arguments des deux parties, jeudi et vendredi, les juges décideront s’il existe des raisons plausibles de croire qu’il y a un risque de génocide, comme le plaide l’Afrique du Sud.
Le cas échéant, ils pourraient ordonner des mesures conservatoires , c’est-à-dire des mesures d’urgence susceptibles d’ordonner la fin des hostilités. Mais on pourrait aussi imaginer d’autres mesures, par exemple, l’obligation des autorités judiciaires israéliennes d’engager des poursuites contre ceux qui tiendraient des propos considérés comme une incitation au génocide, ou d’assurer l’accès humanitaire ou l’accès aux enquêteurs internationaux, y compris de la Cour pénale internationale, à la bande de Gaza , explique l’avocat et expert en justice internationale Johann Soufi, qui doute cependant que la Cour s’engage dans cette voie.
Il est fort possible que les juges rendent un verdict favorable à l’Afrique du Sud, estime Johann Soufi, qui a travaillé avec l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens à Gaza. À partir du moment où il existe des raisons plausibles de croire qu’un génocide est en cours ou qu’il existe un risque sérieux qu’un génocide ait lieu, les juges doivent ordonner des mesures conservatoires , note-t-il. Il ne s’agit toutefois que d’une mesure temporaire, précise-t-il, en attendant d’examiner le fond de l’affaire.
Sur la violation de la Convention, c’est-à-dire sur le fond de la demande sud-africaine, on n’est plus sur ce standard de preuve des raisons plausibles, on est sur la constatation d’une violation. Pour rendre un jugement favorable, la barre sera beaucoup plus haute, puisqu’il faudra prouver une intention génocidaire. Ouvrir en mode plein écran Manifestation de soutien au peuple palestinien à Valence, en Espagne, le 19 novembre 2023.
Il ne s’agit pas simplement de tuer un très grand nombre de personnes. Il doit y avoir une intention de détruire un groupe de personnes (classées par race ou par religion, par exemple) en tout ou en partie, dans un lieu particulier , expliquait dans un courriel à l’AP Juliette McIntyre, experte en droit international à l’université d’Australie-Méridionale.
L’Afrique du Sud aura du mal à franchir le seuil de la preuve du génocide, a estimé Mme McIntyre. Même si, dans les déclarations publiques, les dirigeants israéliens rejettent les accusations comme étant totalement infondées, Israël prend l’affaire très au sérieux. La preuve : il envoie des experts de très haut niveau pour se défendre, dont l’avocat britannique Malcolm Shaw et Aharon Barak, ancien président de la Cour suprême et survivant de l’Holocauste.
Quelles répercussions aura le jugement? Les décisions de la CIJ sont sans appel et juridiquement contraignantes. La Cour n’a cependant aucun pouvoir pour les faire appliquer. Il est donc peu probable qu’Israël mette un terme à ses opérations militaires, si le jugement de la Cour devait le lui ordonner. Ouvrir en mode plein écran De jeunes Palestiniens regardent la destruction causée par des frappes israéliennes dans le sud de la bande de Gaza, à Rafah.
Au-delà de la symbolique, toutefois, un avis défavorable à Israël aurait des conséquences politiques, estime M. Soufi. Si la Cour internationale de justice devait reconnaître qu’on est peut-être dans les prémices d’un génocide, ça changerait de manière assez fondamentale la position canadienne et de certains pays européens, qui seraient obligés de prendre des distances avec les opérations militaires israéliennes qu’ils ont soutenues jusqu’à maintenant.
La CIJ n’a jamais jugé un pays responsable d’un génocide. En 2007, elle avait jugé que la Serbie avait violé l’obligation de prévenir le génocide lors du massacre, en juillet 1995, par les forces serbes de Bosnie, de plus de 8000 hommes et garçons musulmans à Srebrenica. On s’attend à ce que le jugement soit prononcé d’ici quelques semaines.
La décision sur le fond, en revanche, ne sera probablement pas rendue avant plusieurs années. La Cour internationale de justice, qui statue sur les différends entre États, est différente de la Cour pénale internationale, qui poursuit les crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis par des individus. Cinq pays, dont l’Afrique du Sud, ont demandé en novembre une enquête de la CPI sur le conflit à Gaza.
Avec les informations de Agence France-Presse, Associated Press et Reuters
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