Surprise à Bruxelles et réconfort à Kiev, le jeudi 14 décembre, alors que les temps sont difficiles pour l’Ukraine. Et les bonnes nouvelles sont plutôt rares. Et ce, précisément le jour où, à Moscou, Vladimir Poutine plastronnait lors de sa séance annuelle de questions-réponses, annonçant que la victoire russe dans les terres d’Ukraine est « désormais certaine ».
La surprise, c’est que les négociations en vue d’une adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne ont été formellement lancées lors de la première journée du sommet trimestriel des 27 dirigeants des États membres.
Alors qu’on attendait le veto de la Hongrie contre une décision qui nécessite l’unanimité, le premier ministre Viktor Orban n’a pas pris part à la décision. Lui dont l’opposition à l’Ukraine et l’amitié envers Moscou sont un secret de Polichinelle, il a accepté de sortir de la salle au moment du vote.
Il y a eu donc unanimité… des 26 chefs d’États et de gouvernements présents autour de la table. Un feu vert historique Il est vrai qu’il y a beaucoup d’étapes bureaucratiques dans les processus de décision européens. Il y a cinq semaines, il y avait déjà eu une annonce semblable par la Commission européenne.
Les hauts fonctionnaires dirigés par l’Allemande Ursula von der Leyen s’étaient entendus, avec leurs homologues ukrainiens, sur un calendrier et sur les sujets à négocier : État de droit, lutte contre la corruption, harmonisation des réglementations, etc.
Il y a sept conditions à l’admission, dont trois, selon Bruxelles, ne sont pas encore remplies par Kiev. Ce jeudi, c’est l’instance politique, avec les chefs d’États et de gouvernements autour de la table, qui a dit oui à son tour.
Dans le système européen, ce type de décision d’une importance stratégique – mais pas toutes les décisions, contrairement à ce qu’on croit – requiert l’unanimité. L’Europe ou l’espoir du salut Un feu vert historique, mais dont on ne connaît pas encore l’issue.
L’Ukraine reste un pays en guerre. Le long processus qui doit concrétiser le choix résolument occidental de l’écrasante majorité des Ukrainiens peut encore trébucher en chemin. Mais pour Kiev, l’Europe représente désormais l’espoir d’un véritable salut et un horizon indépassable à l’abri des tempêtes venues de l’Est.
Une ironie, car l’Europe, divisée sur tant de sujets, doute d’elle-même et s’interroge sur son identité. Ce oui politique à l’Ukraine a été célébré par les premiers intéressés. Volodymyr Zelensky – le président-commis-voyageur pour qui les temps sont difficiles – s’est réjoui sur les réseaux sociaux : Victoire pour l’Ukraine. Victoire pour toute l’Europe.
Victoire qui motive, inspire et renforce. Et le président du Conseil européen, Charles Michel, en écho : Un signal clair d’espoir pour leur peuple et pour notre continent. Deux citations entre mille, qui lient explicitement le destin de l’Europe à celui du champ de bataille ukrainien.
Et ce ne sont pas là que de belles paroles théoriques. Par son implication profonde derrière l’Ukraine, avec l’idée de défendre la liberté d’une nation et son choix politique, l’Europe a, pour le meilleur ou pour le pire, lié son destin à celui de ce pays. Une victoire de la Russie serait, pour elle aussi, une grave défaite. Zelensky le sait, Poutine le sait, et de plus en plus de leaders européens s’en disent convaincus. Visite décevante aux États-Unis.
Cette décision intervient à un moment crucial pour Zelensky, qui revient tout juste de Washington, où il a plaidé pour obtenir l’argent dont il a désespérément besoin pour son effort de guerre. La résistance de la droite républicaine aux crédits en faveur de Kiev devient plus forte.
L’avenir dira si le vote négatif sur l’aide à l’Ukraine, le 6 décembre au Sénat, est définitif ou s’il n’était qu’une péripétie. Mais il est clair que les divisions politiques au Congrès et les curieuses pratiques parlementaires américaines, qui lient dans un même vote des sujets séparés (l’aide à l’Ukraine, l’aide à Israël, le contrôle de la frontière mexicaine), desservent aujourd’hui les intérêts ukrainiens.
Il y a aussi très clairement, dans le Parti républicain, la montée d’une aile de plus en plus ouvertement prorusse. Une extrême droite prorusse : singulière nouveauté historique dans le panorama idéologique américain, qui fait le délice de Vladimir Poutine. Les circonstances d’une abstention Les circonstances de l’abstention de Viktor Orban, jeudi soir, méritent d’être relatées.
Le Figaro a fourni des détails exclusifs de la scène : c’est le chancelier allemand Olaf Scholz qui, en réunion plénière à huis clos, aurait convaincu Viktor Orban de se retirer au moment du vote. Il lui aurait dit ouvertement, devant les autres : Pouvez-vous ne pas participer au vote? Et là… Viktor Orban a hoché ta tête, s’est levé puis est sorti quelques minutes , écrit Le Figaro.
On sait que le premier ministre hongrois est le plus prorusse de tous les leaders européens. Peut-être même le seul qui le soit vraiment (on pose parfois aussi des questions sur les allégeances des leaders tchèque et slovaque)… On sait qu’Orban a un rapport personnel et privilégié avec Vladimir Poutine depuis une quinzaine d’années et que la Hongrie est un des derniers pays d’Europe à acheter encore du gaz russe. Orban s’est-il laissé « acheter »?
Dans cette volte-face du Hongrois, l’argent a peut-être été un facteur. Orban se serait laissé acheter . Explication. Ces derniers jours, on a annoncé à Bruxelles qu’une somme substantielle du plan de relance européen post-COVID promis à la Hongrie (comme à tous les autres membres) – environ 10 milliards d’euros – sera finalement versée à Budapest.
Deux pays d’Europe centrale, la Pologne et la Hongrie, ont eu maille à partir avec la Commission européenne depuis deux ou trois ans. Pourquoi? À cause des atteintes, dans ces deux pays, à l’État de droit : sur l’indépendance de la justice, le contrôle partisan des médias publics, entre autres reproches… Avec comme punition le non-versement de ces sommes considérables.
Mais au cours des derniers jours – le calendrier a-t-il joué? Était-ce fondé ou arbitraire? – tout à coup la Hongrie est revenue en odeur de sainteté. En tout cas, assez pour recouvrer ces sommes promises. Peut-être que ça a fait bouger Viktor Orban qui, pendant quelques minutes, est allé faire une promenade hors de la salle, pour que les autres puissent dire oui à l’Ukraine par un vote de 26 à 0.
Contexte difficile et pronostic réservé Donc de (relatives) bonnes nouvelles pour Kiev, mais dans un contexte qui reste très difficile, avec un pronostic réservé pour la suite, et des rebondissements pas forcément plaisants. Dans les heures qui ont suivi l’abstention judicieuse d’Orban, le même trublion revenait à la charge, bloquant cette fois le budget qui prévoyait un plan d’aide européen multiannuel à hauteur de 50 milliards d’euros.
Nous reviendrons sur la question l’an prochain , a-t-il écrit. On le sait et on le répète, les nouvelles sont plutôt mauvaises depuis quelques mois pour la cause ukrainienne tant sur le terrain que sur le front diplomatique. Mais attention, à l’optimisme exagéré du printemps 2023 (reprendre en quelques mois tout le territoire volé) a succédé à l’automne un pessimisme peut-être exagéré.
L’année 2024 peut réserver encore d’autres surprises. Fatigue européenne? Mais non! Selon un haut fonctionnaire européen cité le 14 décembre par Le Figaro, il n’y a pas de fatigue des Européens sur l’Ukraine. Ce n’est pas parce que c’est difficile et laborieux que l’importance stratégique de voir la Russie échouer a décliné. Tenir dans la durée demande un très gros effort, et c’est sur cela que joue Orban en essayant d’instiller le doute parmi ses homologue .
Ce qu’on voit en Europe en cette fin 2023, plus que ce qu’on nomme la fatigue de la guerre ressemblerait plutôt à une détermination renouvelée (le cas américain est différent). Viktor Orban représenterait alors une exception et une sorte d’aiguillon qui pousse les autres à faire bloc dans le sens contraire. Malgré les coûts. Malgré les doutes sur l’issue de la guerre.
Malgré les querelles agricoles Pologne-Ukraine. Pour renforcer l’idée – répétée chaque jour par Zelensky, reprise à Paris, à Rome, et de plus en plus à Berlin – que dans ce drame sanglant depuis février 2022, où les victimes civiles sont toutes du même côté, c’est aussi la sécurité de l’Europe tout entière dont il s’agit, et pas seulement celle de l’Ukraine.
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