A’Salfo : « Faire de la Côte d’Ivoire le vrai pays du chocolat »

A’Salfo : « Faire de la Côte d’Ivoire le vrai pays du chocolat »

Le 30 avril dernier se clôturait dans la joie et la nuit de Bouake une 15e édition du FEMUA à nouveau couronnée de succès. Au fil du temps, la grand-messe des musiques urbaines d’Anoumabo a su évoluer, s’améliorer et assoir son identité pour devenir l’un des plus grands festivals organisés en Afrique de l’Ouest aujourd’hui. Aux lendemains des concerts de Didi B, Baaba Maal, Santrinos Raphaël (star montante du Togo, pays invité), Roseline Layo, Ferre Gola, Singuila ou encore Booba, tous présents cette année, l’heure est aussi venue de tirer les enseignements de cinq jours d’échange d’idées au sud de la douce Abidjan.

Car s’il est question de notes ici, il s’agit surtout d’ouvrir le débat. Au-delà des podiums, le Carrefour Jeunesse se veut l’articulation scientifique de l’événement, lieu de réflexions et de partage destinées aux jeunes de toutes les couches socioprofessionnelles. Autant de panels, conférences et autres ateliers qui planchaient cette année sur le thème « Sécurité alimentaire et agriculture durable ». Sans oublier l’ouverture future de deux nouvelles écoles Magic System dans le sillage du festival. Rencontre avec Salif Traoré alias A’Salfo, Directeur du festival.

Le FEMUA utilise la musique comme produit d’appel pour mobiliser les populations et susciter le débat. L’engagement est-il inhérent au rôle d’artiste ?

Être artiste aujourd’hui, c’est bien plus que faire de la musique, sortir des disques ou performer en concert. Les artistes sont des leaders d’opinions en puissance, qui peuvent et doivent utiliser leur art comme un canal de communication, transmettre de valeurs et interpeller quand il le faut. C’est une mission qui nous tient particulièrement à cœur de remplir avec le FEMUA. Notre volonté n’est pas de vendre des billets d’entrée – pour rappel, l’accès au festival est gratuit –, mais plutôt de rassembler le public grâce à la musique autour de thématiques aussi cruciales que la sécurité alimentaire et l’agriculture durable. En outre, outre mes devoirs en tant que musicien avec Magic System, j’ai la casquette de Conseiller économique et social et je me dois de plaider pour les populations.

Qu’est-ce qui motivé le choix de la thématique « Sécurité alimentaire et agriculture durable » cette année ?

La pandémie du COVID et la crise provoquée par le conflit russo-ukrainien a permis de constater que l’Afrique n’était pas assez autonome côté alimentation, et que nous dépendions encore de l’Occident. On a même vu des dirigeants faire la navette pour trouver des solutions afin que les voies restent ouvertes et que nous puissions continuer à importer du blé et du maïs. Il y a un paradoxe à cette situation. On ne peut pas avoir la population la plus jeune au monde, forte de bras valides en nombre, et tendre la main pour manger. Si l’on n’y accorde pas l’attention nécessaire à l’avenir, la prochaine crise qui nous frappera sera alimentaire (…) C’est ce qui a motivé le choix du thème, pour interpeller les jeunes sur l’importance de s’engager davantage vers l’entreprenariat agricole.

Au-delà de bras jeunes et valides, il y a également en Côte d’Ivoire de nombreuses ressources naturelles… Encore trop peu exploitées ?

Un éveil des consciences consisterait à rappeler à l’Afrique et aux Africains que nous avons tout ici à portée de main. Et que la transformation locale des matières premières est très clairement l’une des solutions aux problèmes et à la précarité de nos paysans. Finalement, le petit Ivoirien a beau voir pousser les cacaotiers sous son nez, pour lui manger du chocolat reste un luxe. C’est cela qui doit changer, et des infrastructures capables de transformer nos ressources ici en Côte d’Ivoire, c’est la clé (…) C’est vrai pour le cacao, c’est vrai également pour les mangues, qui poussent ici en abondance mais dont une grande quantité pourrit à même le sol à défaut de bras, d’usines et de destination. Des tonnes de fruits qui pourraient finir en jus et autres produits, et un manque à gagner énorme pour notre économie. Ce débat-là a déjà été initié et nous sommes en chemin.

Peut-on imaginer voir, comme ce fut le cas pour la bière il y a quelques années, l’apparition sur le marché national de nouvelle marque ivoirienne forte ?

Certains jeunes entrepreneurs, enthousiastes et très investis, planchent actuellement sur la question d’un grand chocolat ivoirien. Fabriqué à partir de leurs propres fèves. Pour autant, leur activité demeure artisanale et limitée à défaut de moyens et d’une industrie sur laquelle s’appuyer. En mettant ces différents acteurs autour de la table, nous espérons encourager du même coup les bailleurs de fonds et les autorités à accompagner les jeunes initiatives dans ce domaine spécifique. C’est aussi le but des débats que nous initions ici au FEMUA (…) L’idée n’est certainement pas de mettre au chômage les chocolatiers européens (rires). Nous respectons leur savoir-faire et l’on aura besoin de leur expertise. Néanmoins, on ne peut pas continuer d’appeler la Côte d’Ivoire « le pays du cacao » et laisser à la Belgique ou à la Suisse le titre de « pays du chocolat ».

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