“Je n’ai jamais connu une situation économique aussi catastrophique”. La soixantaine bien frappée, notre interlocuteur a “tout vécu au Burundi, les assassinats au sommet de l’État, les guerres, les changements de régime, les crises économiques mais la situation actuelle est inédite. Il y a une tension palpable à tous les niveaux de la société et la crise économique s’aggrave de jour en jour.”
“Ça va péter”
Au Burundi, pays où le silence, plus que partout ailleurs, est d’or, les langues se délient. Pas publiquement, le pouvoir et ses milices maintiennent la pression. Mais, à l’abri des oreilles indiscrètes, nos interlocuteurs martèlent leur certitude ; “Ça va péter” ; et leurs interrogations ; “Où ? Quand ? Comment ? Qui ?”. Personne n’ose une réponse définitive mais plusieurs évoquent le message du chef de l’État, le général Évariste Ndayishimiye, alias Neva, à ses proches collaborateurs pour évoquer “la fin d’une période”. Il y a un peu plus d’un mois, à l’occasion d’un congrès ordinaire du parti au pouvoir, le CNDD-FDD, le président de la République a invité les responsables de l’État à restituer dans les caisses publiques, l’argent qu’ils ont dérobé”. Trois comptes ont été ouverts à la Banque de la République du Burundi (BRB, la banque nationale) pour la “restitution de l’argent volé”. Le succès n’est pas vraiment au rendez-vous.
“Le business tourne au ralenti. Tout le monde évite de sortir son argent. Du coup, le cash commence à manquer, les prix s’envolent, le taux de change aussi”, explique un habitant de Bujumbura. Au taux officiel, un euro vaut 2 200 francs burundais. Au marché noir, la devise européenne atteignait 4 100 francs, ce 14 mars. “Et ça ne cesse de s’envoler et forcément, comme tout ou presque est importé, même les biens de base comme les haricots et le maïs, tout coûte plus cher.” Officiellement, le taux d’inflation annuel est de 26 %. “Mais ce chiffre ne veut rien dire. Les poches des Burundais savent que c’est bien plus”.
Les “grosses coupures, (les billets de 10 000 francs, NdlR) sont presque introuvables. Les hauts dignitaires du régime, les généraux, tous ceux qui ont eu la possibilité de faire de l’argent, thésaurisent, le plus souvent en monnaie locale tant il est difficile d’avoir des dollars ou des euros. Du coup, ils se retrouvent vraiment avec des montagnes de billets.” Dans ce contexte, le président de la République a évoqué à plusieurs reprises la possibilité de changer de monnaie pour “noyer les voleurs dans leur piscine de billets”, selon l’expression d’un de ses proches collaborateurs. “Ce sont des mots. Il ne peut pas le faire. D’abord parce que ça a un coût, il faudrait imprimer tous ces nouveaux billets et, ensuite, parce qu’il se mettrait à dos toute l’élite burundaise et tous ses proches, il pourrait ne pas y survivre”, poursuit un autre habitant de Bujumbura qui aime rappeler que le régime au pouvoir est issu de la guérilla. “La violence est une réalité de ce pouvoir. il n’y a rien de feutré”. “Les caisses de l’État sont vides, explique un autre interlocuteur, il n’y a plus rien dans les réserves d’or de la République. Tout a été vendu”.
Reprise en main morale et chasse aux hmosexuels
Dans ce climat de crise complet, la présidence a décidé de jouer la carte de la reprise morale. Après avoir appelé les voleurs à rendre l’argent dans les caisses de l’État, le président Neva a décidé d’instituer, à partir du 7 mars, une prière quotidienne obligatoire de “7 h 30 à 8 heures” pour les membres de ses services, les collaborateurs de la vice-présidence et du Premier ministre. Le communiqué insiste : “vous êtes tous inviter à y participer pour commencer chaque journée de travail avec la présence de Dieu”.
Mais cette “reprise morale en guise de cache-misère” s’accompagne aussi de mesures bien plus terribles, notamment pour les homosexuels pris pour cible par le président de la République lors du “National prayer breakfast” du 1er mars.
La famille de “Georges”*, un exilé burundais qui a trouvé refuge il y a plusieurs années en Belgique après avoir subi les violences de la milice proche du pouvoir, a ainsi été prise à partie dans la foulée de ce discours. Le 4 mars, trois jours après le message présidentiel, la mère de Georges, a reçu la visite de miliciens qui l’ont interrogée, tout en la menaçant de la jeter en prison. L’interrogatoire a porté sur son fils, accusé d’être homosexuel. “Le lendemain, ces hommes sont revenus mais la dame avait trouvé refuge chez un voisin”, explique un proche. Le lundi 6 mars, deux sœurs de Georges ont été incarcérées, frappées, interrogées. En cause l’activisme présumé de Georges en Belgique. Les deux femmes ont été libérées en soirée contre paiement d’une rançon (2 000 euros). Mais le calvaire n’était pas fini, deux jours plus tard, ces deux femmes ont de nouveau été incarcérées et leur séjour derrière les barreaux a duré plusieurs jours, le temps que la famille s’organise pour trouver les 5 000 euros de la seconde rançon.
Recrudescence de la torture et des disparitions d’opposants au Burundi
“Cette chasse aux homosexuels permet à certains de se faire de l’argent tout en poussant celles et ceux que le pouvoir stigmatise vers le chemin de l’exil”, explique un Burundais. Les instances consulaires belges et européennes ont été avisées de cette situation.
(*) prénom d’emprunt.
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